Un des meilleurs groupes (Junon, les ex-General Lee pour ceux du fond qui n'ont pas suivi) avec un des meilleurs producteurs (Francis Caste) sur un des meilleurs labels (Source Atone Records), je me demande ce que ça peut bien donner...
Plus limité à un EP, les Nordistes peuvent donner leur maximum et étendre leurs idées, nous plonger dans leur magma avec des gants, le premier, c'est "Segue 1 - The final voyage", un titre introductif qui fait monter la lave et nous laisse le temps de fuir, il n'est pas trop tard, on entend que ça gronde, que les riffs s'aiguisent, que le chant prend de l'air et de l'ampleur, la menace se rapproche, si on reste, on sera enchaîné pour un dernier voyage en direction de la souffrance, la décrépitude, l'emprisonnement, les mensonges et le chaos. Tout un programme qu'on ne peut décemment pas refuser (contrairement aux mêmes propositions nationalistes pour les législatives qu'on fera tout pour laisser le plus loin possible du pouvoir). Et pour le coup, les promesses sont tenues, dès "Caught in hypocrisy loops", on se fait marteler la tronche, des variations dans le tempo, les chants, les sons donnent le tournis. C'est hébété qu'on se prend "Out of suffering", plus lourd mais aussi plus aiguisé, plus agressif mais aussi plus lent, c'est un modèle du genre "Junon". Si "The day you faded away" débute avec quelques caresses délicates, l'ambiance ouatée passe assez vite en mode "paille de fer", le genre de trucs qui ne fait que renforcer la douleur... Si tu t'es lavé les mains avec une solution hydro-alcoolique alors que tu avais une petite plaie ouverte, tu connais exactement cette sensation... Comme durant certains affrontements, on fait une trêve pour ramener les cadavres, ici, c'est "Segue 2 - Dragbody" qui lance un "Dead ends lead to somewhere" dont certaines idées empruntent au post-rock (les accords de guitare aussi clairs que progressifs) avant que le chaos rythmique ne détruise tout laissant une petite place au néant. Un vide comblé par un barreau de plus à la cage, morceau hard, morceau martial, morceau qui nous roule dessus, nous écrase et nous enfonce sous terre. "Making peace with chaos" apporte quelques rais de lumière mais ce n'est qu'une illusion, le ciel s'abat vite de nouveau sur nos têtes. Plus sludge et décousu, "Halo of lies" sonne comme notre agonie... mais tout n'est pas totalement terminé puisque "This dead place" surgit des ultimes profondeurs de la galette, un bon morceau bonus qu'il n'était pas nécessaire de cacher à mon sens, peut-être que ça pouvait aussi fonctionner en inversant ces deux-là.
Junon est une des incarnations de la transformation de la sauvagerie en beauté, n'est-ce pas elle qui a récupéré les yeux d'Argus après sa décapitation pour les mettre sur les plumes du paon ? Ainsi, Dragging bodies to the fall ne serait que férocité si Junon n'en faisait pas une splendeur.
Publié dans le Mag #61