Hypno5e - Acid mist tomorrow C'est quand même un peu une exception ce groupe-là. A contre-courant de toutes ces formations metal hexagonales (hormis Gojira et quelques rares cas particuliers) qui n'ont pas encore compris qu'il ne servait à rien d'enchaîner les albums tous les uns an et demi pour faire croire qu'elles occupent le terrain, alors qu'il faut les travailler en profondeur ces disques justement ; ou qu'il ne sert pas plus à grand chose de se cantonner à l'hexagone quand bien même lesdites entités seraient prophètes en leur pays. Hypno5e a parfaitement assimilé tout cela et n'hésite pas à aller jouer aux côtés d'un Gojira sur le territoire nord-Américain ou de traverser le globe pour s'offrir un petit road-trip live en Australie. Musicalement, c'est la même histoire : on oublie les modes et on cause crossover aux inspirations variées : la créativité au service de la puissance et non pas l'inverse, le songwriting avant la déferlante de décibels... l'un n'empêchant, dans le même temps, pas l'autre.

Si le premier album du quartet (Des deux l'une est l'autre), avait révélé une griffe musicale particulière, une personnalité artistique déjà affirmée, Acid mist tomorrow, conjointement sorti par la Klonosphere (Jenx, Nojia, Memories of a Dead Man) et le label de The Ocean Pelagic Records (Abraham, Kruger, Earthship...), affine le propos des montpelliérains, lesquels s'affranchissent désormais de toute vaine tentative de classification stylistique (forcément réductrice) pour proposer quelques chose qui flirte avec la puissance métallique dévastatrice d'un Gojira, les aspirations atmosphériques évoquant la géométrie "Toolienne", les contorsions mélodiques d'un Opeth et les expérimentations post-rock cinematiques chères à Microfilm. On arrête là le petit jeu des comparaisons foireuses et on accepte de se laisser happer par le morceau-titre inaugural, grandiose ouverture d'un album désormais placé sur des orbites situées à des années lumières de la très grande majorité de ses contemporains. Dix minutes et quelques d'une symphonie métallique aux fulgurances rock/prog/post-rock/pop et au climax déchirant : Hypno5e vient de mettre la scène alternative hexagonale à ses pieds.

On attaque le (faux) diptyque "Six fingers in one hand she olds the dawn I & II" par une intro de quelques quarante-deux secondes (ça c'est la partie I) avant un second volet (un peu moins de huit minutes cette fois) qui de nouveau, prend d'assaut les enceintes avant de les lacérer de quelques foudroyantes déferlantes hardcore/screamo écorchées vives. Pendant ce temps, la frappe de batterie est phénoménale, agissant comme un bulldozer (death)metal en mode blitzkrieg "guerre éclair". Pour autant, les passages les plus apaisés, orientés progressif/post-rock ne sont toujours pas aux abonnés absents et le groupe a autant recours à un chant clair particulièrement mélodieux qu'aux samples vocaux, avant de s'offrir de nouvelles poussées de fièvres metal(core) de premier choix. Le terme peut ici paraître choquant, comme certaines comparaisons précédentes obséquieuses, mais là encore Hypno5e ne fait rien comme les autres. On pourrait qualifier le quartet frenchy d'"expérimental" certes mais dans le même temps, sa musique reste extrêmement accessible. Complexe oui, mais compréhensible par le commun des mortels. Ou l'intelligence de simplifier des concepts afin de se faire entendre du plus grand nombre. Et derrière des structures soigneusement élaborées et une foule de détails qui n'apparaissent à l'auditeur qu'au prix d'écoutes attentives et répétées, le groupe envoie les décibels s'entrechoquer sur une partition dont les silences volent régulièrement en éclat, cédant sous les coups de boutoir d'une musique à la violence éruptive... qui sait également retrouver son calme aussi soudainement qu'elle l'a perdu ("Story of the eye").

Un triptyque pour asseoir un peu plus sa position de véritable cas particulier de la scène dite "metal" frenchy, Hypno5e prend tout son temps pour développer des morceaux amples et aussi labyrinthiques qu'émotionnellement intenses. Un premier mouvement où règne un calme quasi absolu, un second qui s'offre quelques séquences de démembrement math-metal avant de tourner le dos au gros son qui karchérise les tympans pour s'en aller voguer vers des courants prog/pop ; puis un retour au gros metal empreinte d'une douleur indicible qui trouve sa catharsis dans l'expression d'une violence sonore épidermique. Le troisième et dernier mouvement de "Gehenne" laisse planer un calme relatif quelques minutes durant lesquelles il parle un langage aux mélodies pop secondées par quelques instruments qui se font régulièrement discrets... avant qu'une fois encore, les éléments ne se déchainent sous les déferlements exaltés d'un quatuor dont les poussées de fièvre aliénantes rythment elles-aussi la dynamique de l'album. Et si l'on s'était assez légitimement attendu à retrouver la même mécanique sur les deux dernières pistes de cet Acid mist tomorrow, un diptyque encore une fois ("Brume unique obscurité Part I & II"), Hypno5e surprend en segmentant son propos : un premier épisode au minimalisme feutré propice à l'accalmie sensorielle, puis une réponse immédiate en forme de tsunami métallique à l'émotivité exacerbée.

Pas étonnant qu'il se soit écoulé cinq années entre le premier album du groupe et Acid mist tomorrow : cet opus qui donne l'effrayante impression d'en contenir l'équivalent de trois en son seul sein. Et quelques cinquante minutes d'un quasi chef-d'oeuvre passionnel signé par un groupe qui semble avoir décidément tout compris, ce avec une étonnante facilité... tout en étant capable de mettre en oeuvre ce qu'il a à l'esprit avec un talent évident et une maestria proprement ahurissante. La très grande classe.