Chanteur, guitariste, principal compositeur, réalisateur des clips, Emmanuel est pour beaucoup dans les créations d'Hypno5e, c'est donc à lui qu'on a posé quelques questions sur le nouvel album du groupe et la tournée à venir.
Pourquoi utiliser une référence biblique pour ce nouvel album ?
Direct dans le vif du sujet ! C'est un peu par hasard, je suis tombé sur une émission sur France Culture qui parlait du Sheol, la notion de cet espace qui n'est ni un paradis ni un enfer, une zone de transition où les gens bons et mauvais se retrouvent. C'est un territoire dur à définir et intraduisible en français. Ça m'a évoqué ce qu'on avait développé avec "Tauca", ce territoire qui accueille les spectres de ceux qui ont habité là-bas, un territoire d'errance qui correspond à la dramaturgie de l'album. Et comme il est peu traduisible et dur à définir, ça laisse une part d'interprétation assez large, ça ne fige pas les choses, c'est un espace imaginaire très flou, très vague qui rend l'écoute plus libre. Personne n'est croyant dans le groupe, j'ai toujours été attiré par la liturgie, la religion parce qu'il y a une forme de métaphysique qui nourrit beaucoup l'imaginaire, le fait d'aller chercher un terme de la Bible, ce n'est pas voulu, c'est par hasard.
C'est aussi un titre "court" par rapport aux précédents...
C'est quelque chose de plus brut, plus direct. C'est pas forcément volontaire mais ça traduit aussi la façon dont j'ai abordé la composition de cet album, à mon sens un peu moins cérébrale, plus directe, un peu débarrassé du côté intellectualisant qu'on avait auparavant.
Rien n'est laissé au hasard avec Hypno5e, que l'artwork soit dominé par le blanc, ça signifie aussi quelque chose ?
Il y a quelque chose de plus solaire dans cet album, par rapport à l'histoire du diptyque avec A distant (dark) source, on voulait quelque chose de plus lumineux, le précédent se déroule autour d'une nuit, là, c'est éveillé, ça se passe en journée, c'est éblouissant. Je n'ai pas trop donné de directives, j'ai récupéré des dessins de mon père et je les ai envoyés à Ivan Bertin avec qui on travaille depuis Alba - Les ombres errantes, il a écouté l'album et a sorti cette pochette là en quelques heures, il nous a touchés directement. C'était une évidence. Lui aussi a senti quelque chose de plus solaire, plus lumineux. Et je voulais de la clarté pour la lecture, un élément central assez lisible.
L'album dans son ensemble m'a paru plus calme. La direction générale d'un disque, c'est quelque chose de réfléchi ?
Je laisse toujours beaucoup de place à l'improvisation, c'est la manière dont je compose. Je n'arrive jamais en studio avec un truc fini, y'a toujours plein de petits trucs qui sont construits au moment de l'enregistrement. Les morceaux qui sont sur l'album, ils sont construits seconde par seconde en studio avec des éléments composés avant et d'autres ajoutés. Il n'y a donc pas vraiment de vision globale. Avec "Tauca part 2", j'avais commencé à déployer des parties calmes, des trucs un peu "transe", assez longs, je voulais retrouver ce genre de choses, et des instruments acoustiques comme sur Alba - Les ombres errantes. J'avais envie d'intégrer ça dans l'album mais au moment de l'improvisation, si ça sert le morceau d'avoir une partie longue et calme, alors ça vient comme ça. On a commencé à jouer l'album en live et y'a beaucoup de gens qui nous disent qu'en live, ça reste assez violent, les titres sont assez denses, on a des morceaux des autres albums et au final, le set est assez bourrin... (rires)
Deux membres ont changé mais pas Hypno5e, on a vraiment la suite logique de l'album précédent... Les nouveaux ne peuvent pas s'exprimer ? Tu ne ressembles pourtant pas trop à un dictateur...
Cet album a été composé avant qu'ils n'arrivent. Dans la structure, on compose toujours les guitares en premier avec une base de batterie et de basse avec un logiciel. Là, ils sont arrivés quand on allait enregistrer l'album, ils ont écrit leur partition assez vite. Quand on écoute la batterie, il y a une couleur qui a changé par rapport au jeu de Théo, c'était très tellurique, là, c'est plus organique, plus improvisé dans le jeu de Pierre. Pareil pour Charles. Ils ont composé leurs parties mais la base musicale était écrite avant. Même si je ne suis pas dictateur, j'aime bien avoir la main (rires). Pierre a presque tout improvisé en studio, j'étais en régie, je disais si c'était "oui" ou "non", il a proposé plein de supers trucs. Plutôt que de tout figer en amont, on a pris le parti de l'improvisation et donc c'est assez différent de ce qu'on avait avant.
Et le prochain sera encore différent si vous vous connaissez mieux pour les impros...
De base, on travaille avec Jo' sur le gros de la musique avant de partager avec les autres, là, on va peut-être faire autrement. Mais jusque là, on n'a jamais composé ensemble, on ne se retrouve pas en répèt' pour écrire, la composition est toujours assez solitaire. On structure et on arrange ensemble les titres...
Il y a de nombreux samples, comment se fait la sélection ?
Ça dépend des albums, sur Alba - Les ombres errantes, c'était un acteur qui lisait les textes par rapport au film, là, c'est des choses que j'ai mises de côté en lisant ou en voyant les films. En général, c'est pendant la composition qu'on choisit les samples, là, c'est différent, c'est vraiment venu à la fin, je voulais en mettre moins qu'avant. On choisit en fonction de ce qui est dit, des textures de voix, du rythme du texte, on met ça comme un instrument. C'est César Vallejo qui ouvre l'album, c'est un de mes auteurs préférés, je voulais le mettre en ouverture, ça correspond très bien au décor. Il y a des films comme "Les enfants du paradis" que j'avais vu il y a très longtemps et que j'ai revu et le thème collait, et on greffe ça en studio.
Pour "Les enfants du paradis", c'est donc pas pour faire écho à Sheol...
Non, cette scène-là raconte un truc qui crée un dialogue avec l'album ou le précédent comme avec l'ouverture de "On the dry lake" et le grain de voix du duo, ça crée du lien entre les albums aussi. Ça m'a paru pertinent.
Tu les poses après la compo, si jamais ça ne matche pas, t'acceptes de le sacrifier ?
Oui, on a viré pas mal de samples de la préproduction, et à un moment donné, je voulais tous les enlever ! Je voulais être plus radical, laisser la musique raconter ce qu'elle avait à raconter sans intégrer de dialogues. Finalement, c'est une deuxième grille de lecture qui ne nuit pas et il y a de la place pour ces samples. Mais oui, parfois on s'en passe pour ne pas surcharger de sens.
Tu évoquais un dialogue entre les deux albums. Là, on a le début de "Tauca" qui arrive après la partie 2, il n'avait pas été gardé pour l'album précédent, ça semble un peu fou. À part Tool, y'a peu de groupes qui se permettent ce genre de choses, vous l'avez retravaillé pour le mettre sur Sheol, pourquoi aller aussi loin ?
Ça s'est fait naturellement, quand on a fini A distant (dark) source, on a trouvé qu'il n'avait pas sa place dans cette dramaturgie. C'était intéressant de créer une histoire sur un temps plus long, ça fait un pont et le titre s'est enrichi. Et il ne faut pas oublier que c'est un diptyque donc il y a plein de choses qu'on a gardé, les cris du dernier riff de "Slow steams of darkness" ce sont ceux du début de "On the dry lake", il y a plusieurs trucs comme ça qu'on retrouve sur les deux albums. Garder "Tauca", c'est donc assez naturel.
Tu as réalisé le clip de "Slow steams of darkness" avec pas mal de références et de poésie, c'est un énorme boulot. Visuellement, c'est très proche de "Lava from the sky", les deux ont-ils été travaillés en même temps ?
Non, mais on a la volonté de faire communiquer les clips entre eux. Le personnage de "Lava from the sky" réapparaît à la fin de "Slow steams of darkness", on veut créer du liant entre les morceaux, avec les textes ou avec une esthétique commune, on peut les regarder à la suite. On va continuer comme cela pour les prochains.
Ça servira aussi pour le live ?
On a décidé d'épurer le plateau, on n'a pas intégré d'images vidéos sur cette tournée. On a tout axé sur la scénographie pour ne pas trop figer les choses, comme la musique et le jeu de lumière sont assez denses, on s'est dit que ça ferait trop d'informations. On changera peut-être d'avis ensuite mais pour le moment, on travaille sans.
Tu n'arrêtes jamais de travailler pour le groupe ?
Si, j'ai fait un petit break. Mais j'ai envie de sortir des choses plus régulièrement qu'avant. On a perdu 2 ans de nos vies comme tout le monde, j'ai envie de faire plus de choses. Mais ça ne veut pas dire qu'un nouvel album sortira tout de suite, on veut d'abord faire une belle tournée avec celui-là puisqu'on n'a pas pu le faire avec A distant (dark) source puisqu'après deux mois tout était annulé. Là, on devrait tourner un an ou deux.
Les dates vont s'enchaîner en avril puis vous jouez à Paris au Trabendo le 19 mai, c'est une date plus importante que les autres ?
Toutes les dates sont importantes. À Paris, il y a la presse, et souvent une très bonne ambiance. Mais que ce soit à Nantes, Toulouse ou ailleurs, on ne met pas une date en avant. On fait en sorte que chaque concert soit aussi bon.
En août, vous serez au Arctangent, c'est le plus beau festival dans votre genre de musique ?
On avait participé à une émission en streaming pendant le COVID, on n'y est jamais allé mais la programmation est super exigeante, c'est une superbe vitrine de jouer là-bas. En plus, en Angleterre on a assez peu joué et là, il y aura une portée européenne. On joue le soir de Converge, ça va être une belle soirée.
Tu connais l'implication de Pelagic Records là-dedans ?
Non, on est programmé par notre tour-booker. Il y a beaucoup de groupes de Pelagic Records mais ça doit être juste que les programmateurs connaissent bien le label.
Pelagic Records vous distribue à travers toute l'Europe, il y a des pays où ça répond mieux ?
J'ai pas encore de retours sur les ventes de ce nouvel album mais je sais qu'en Allemagne et en Hollande, ça marche pas mal. Ce que je vois, c'est surtout la presse, et ça réagit bien dans ces pays-là.
Le lendemain, vous serez au Motocultor, vous n'allez pas pouvoir profiter du festival...
Je ne sais pas comment on va faire, je crois qu'on joue en fin d'après-midi au Motocultor, il faudra pas trop boire la veille et peut-être qu'on ne verra pas les têtes d'affiche...
Merci
Merci à toi pour ton temps, c'est sympa de se sentir soutenu !
Merci Manu et merci Clément (Vous Connaissez ?).
Publié dans le Mag #55