Que faire quand on a atteint la perfection ? Se fixer un nouveau défi comme illustrer un film ? Hypno5e l'a fait, il fallait donc revenir en studio et mettre de côté Shores of the abstract line pour commencer une nouvelle histoire sans dénaturer le passé. C'est chose faite avec A distant (dark) source qui est le deuxième volet d'une œuvre qui se décompose en plusieurs chapitres, d'abord parce qu'on attend le premier, ensuite parce que les compositions correspondent à des fragments de l'histoire, elle-même découpée en de multiples parties. Les morceaux qui ouvrent et ferment l'opus ("On the dry lake" et "Tauca") sont des "Part II" sans "Part I". Étrange mais pas illogique quand on s'attarde sur le thème abordé par Hypno5e, à savoir un lac aujourd'hui disparu... Le présent, c'est ce salar, ce désert de sel bolivien dont on ne connaît pas encore bien l'histoire, pour en comprendre le début, il faudra remonter dans le passé et donc découvrir qu'il existait un lac voilà plusieurs milliers d'années, non seulement un lac mais aussi une vie tout autour, peut-être est-ce là la première partie de l'histoire, nous le saurons plus tard... Aujourd'hui, on ne navigue plus sur les eaux calmes mais on marche sur des croûtes de sel, aveuglé par le soleil et dérangé par les esprits qui hantent un milieu qui n'est plus le leur.
C'est avec un extrait de Jean Cocteau ("La machine infernale" qui reprend le mythe d'Œdipe) qu'on atterrit sur le lac asséché, les guitares et la batterie se déchaînent alors, un chant death prend le relais de l'extrait samplé (enfin, lu et enregistré) et alors que le tempo se radoucit, la clarté se fraye de nouveau un chemin entre quelques rafales de blast, tout au long de ce premier morceau labyrinthique, on ne saura pas où donner de la tête, les ambiances changeantes, les chants et les samples qui se mélangent (Guy Debord est même convié au spectacle), l'agressivité puis la douceur de l'ensemble brouillent les pistes mais d'un point de vue émotionnel comme technique, on se dit que si les Gojira allaient plus loin dans la déstructuration et l'aventure progressive, ils ne seraient pas loin de ce résultat. La suite est plus simple à appréhender puisque les titres se découpent en trois morceaux, "In the glow of dawn" est d'abord tout à fait clair et doux ("Part I") avant de sombrer dans un chaos saturé ("Part II") pour se terminer avec comme base de nouveaux samples ("Part III" et la lecture d'un poème d'Alfred de Musset). C'est peu ou prou le même schéma pour "A distant dark source" : calme / chaos / accalmie chaotique. Le tronçonnage en triptyque est parfois plus flou (sur "On our bed of soil") car les césures sont inaudibles, on pourrait même se demander pourquoi ne pas proposer qu'une seule piste, quitte à ce qu'elle s'étende sur plus de quinze minutes. Peu importe ces considérations, l'opus s'écoute d'une traite et personne n'a les yeux rivés sur le tracklisting, on se laisse porter, parfois malmener, et on admire le travail d'orfèvre réalisé par les Montpelliérains qui nous disent adieu avec la lecture d'un texte de Louis Aragon et une ambiance à la Opeth où la rage finit par se mêler à des pleurs déchirants.
On en veut forcément plus après une telle écoute, il nous faut le début de l'histoire, il faut retrouver l'histoire des vivants après avoir croisé les spectres, il faut qu'on soit vite dans le futur pour découvrir le passé et pouvoir mettre côte à côte toutes les parties de l'album.
Publié dans le Mag #40