equus : eutheria Du temps de la splendeur de King Crimson, Equus aurait fait du "rock progressif instrumental", aujourd'hui, quand les compositions s'éternisent et explosent les codes du rock, on les qualifie de "post rock" mais avec le son et l'accroche que possèdent les guitares du groupe suisse, on aurait tendance à parler de "post hardcore" (le tout n'étant pas aussi crade que du "sludge"). Voilà comment en quelques lignes être dégouté de classer et d'enfermer Eutheria (et de nombreux autres) dans des tiroirs où seul le nom écrit au-dessus de la poignée permet d'accéder plus loin (ou non) dans la découverte d'une musique. Car à l'instar d'un Shora (dont ils sont proches dans tous les sens du terme), Equus produit une musique qui ne peut se résumer à un code, elle s'adresse à un public sensible, qui sait écouter les yeux fermés, se laisser emporter durant plusieurs dizaines de minutes sans avoir besoin de rester en contact avec le concret, le matériel, le terrestre, Eutheria est un voyage, une fragrance, une atmosphère, Equus est sensoriel mais intouchable.
Les trois titres font référence à un passé plus ou moins lointain ("Hyracotherium" est le nom du premier membre de la lignée évolutive du cheval, "Orrorin tugenensis" est l'arrière grand-père de Lucy, quant à "Épona" c'était la déesse protectrice des chevaux pour les Gaulois) et font appel à l'imaginaire tout en jouant sur le "concept" ("Equus" est le genre de l'espère des chevaux, "Eutheria" est la classe des mammifères dont les petits se nourrissent du placenta de leurs mères) ou comment lier la biologie au rock et donner un sens à des compositions ordonnées dont seuls les titres sont des messages textuels. Les analyses d'Eutheria pourraient être profondes mais c'est à chacun de faire la sienne tant Equus explore avec talent des horizons différents et fait vibrer toutes les cordes de notre sensibilité, les soyeuses comme les plus rugueuses.
Enregistré et mixé par Thierry Van Osselt (TVO) à Genève (Knut, Nostromo, Houston Swing Engine...), masterisé par Bob Weston (ex-assistant de Steve Albini avec qui il joue au sein de Shellac) dans son studio de Chicago (où, entre autres, Earth est passé), le triptyque n'est pas uniquement soigné dans le son, il l'est aussi dans sa présentation : sommaire pour certains, mais le rapport tactile avec le digipak cartonné apporte quelque chose de plus... (ceux qui ont le CD de Ventura, également chez Get A Life Records comprendront). La Suisse, pays de l'excellence, nous livre donc une nouvelle merveille, mais il y a fort à parier que la reconnaissance d'un groupe aussi incroyable ne reste confinée qu'à un cercle d'initiés. Tant pis pour ceux qui en resteront en dehors.