Découvert via les réseaux sociaux avec l'excellent titre "Harvest", puis convaincu en juin dernier par une prestation scénique alléchante au Hellfest, il est rare de vivre une aussi longue et rampante période entre l'annonce officielle de la naissance d'un projet (fin 2022) avec la publication d'un premier morceau (mars 2023) et une sortie d'album (septembre 2023). J'ai cette impression qu'Empire State Bastard existe depuis longtemps. Et pourtant, je n'ai pas tout à fait tort car le sobriquet a été trouvé il y a presque 10 ans par leurs fondateurs (Simon Neil de Biffy Clyro et Mike Vennart, guitariste de tournée de Biffy Clyro et ex-Oceansize). Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'ils aient lâché l'info avec le nom lors d'une interview avec Biffy Clyro il y a plusieurs années. Les gars, récupérant au passage Dave Lombardo (batteur de Slayer, Grip Inc., Fantômas ou encore Dead Cross), se sont fait maîtres dans l'art du teasing.
Empire State Bastard est né d'une amitié et d'une vision convergente de la haine en musique. Haine nourrie en grande partie, d'un côté, par les déboires de Mike avec des types de l'extrême droite anglaise, et de l'autre, par l'anxiété et l'angoisse du monde dans lequel nous vivons. Surtout en période de confinement, là où la plupart des paroles et des messages ont pris forme. Un exutoire violent et lourd, inspiré par autant de figures incontournables de la musique metal agressive (citons Converge, The Dillinger Escape Plan,
Et pour le coup, c'est foutrement réussi, car ici rien n'est gratuit. Le disque a été pensé pour être à la fois accessible et sophistiqué pour qu'on ne puisse pas l'oublier dès la première écoute. En clair, Rivers of heresy est une œuvre qui se doit de vivre, à travers ses écoutes multiples, pour être appréciée à sa juste valeur. En apparence, certains titres prennent le dessus sur d'autres. Je pense à "Harvest", l'effet single, sans doute. Ce dernier est d'une puissance phénoménale et d'une pure intensité. Il marque les esprits dès le début avec ses guitares acérées et variables, son pilonnage rythmique totalement fou, ce chant totalement possédé, et cette basse docile et épaisse manœuvrée admirablement par Naomi McLeod. Certains titres sont du même calibre d'ailleurs ("Blusher", "Stutter", "Palms of hands", "Sold!") et apportent cette garantie de l'extrême. C'est au sein de ces morceaux que l'aspect de l'isolement dû au confinement et cette sensation de claustrophobie surgit le plus. Aucune échappatoire n'est possible à partir du moment où la première note est lancée. Fort heureusement, et dans un souci d'harmonisation du disque, Empire State Bastard a laissé de sacrés bijoux d'une lourdeur insoupçonnée. Prenez "Sons and daughters", ce titre lancinant et évolutif laisse le chant prendre un vrai rôle de guide. Également inquiétante, "Dusty" participe aussi à cette forme de dualité présente dans le disque et fait un bien fou à son ensemble. Mais encore plus surprenant dans sa volonté de diversifier son album, le quatuor termine fort avec l'épique "The looming". Ce morceau progressif débute calmement pour finir noyé dans un déluge sonore de guitares à la fois harmonieuses et bourdonnantes, tout en laissant se faufiler au milieu des riffs sludge asphyxiant. On n'aurait pas pu rêver d'une meilleure fin (du monde ?).
Publié dans le Mag #58