Né il y a une dizaine d'années comme un side-project d'Abysse pour Séb, batteur qui passe à la guitare pour cet autre groupe qu'il monte avec Tristan (qui lui prend la batterie), le combo met à l'honneur une ambiance militaro-soviétique de par son nom (le Dragunov est un fusil de précision russe) et ses choix de couleurs, de typologie ou de noms de morceaux et d'albums (le Vepr est une version modifiée du fusil d'assaut AK47 développé par les Ukrainiens). Peu à peu, le groupe a grandi, mûri et fait aujourd'hui partie intégrante du paysage post-metal français avec ces particularités d'être un duo et instrumental.
Bel artwork, gros son (Benoît Roux d'Anorexia Nervosa est à la production, son CV est assez long, n'en voici donc que quelques lignes : Shane Cough, Kevorkia, Nesseria, Ultra Vomit, Alcest, Sylvaine...), tout est ok pour une immersion totale ! Faute de mots, le combo fait passer des idées par les titres de ses compositions et on peut ici quasiment parler d'un concept album qui apporte tout son soutien aux Ukrainiens. Certaines références peuvent sembler évidentes comme "Orange" (la couleur associée à la révolution de 2004 qui marque la rupture avec l'influence russe), "2402" (date de l'attaque de Poutine sur l'Ukraine) ou "Holodomor" (le nom donné à la famine organisée par Staline qui pille le blé ukrainien pour le distribuer aux Russes, si le sujet t'intéresse, regarde le film "L'ombre de Staline" !). D'autres demandent quelques connaissances (ou recherches !), c'est le cas pour "Makhno" (nom d'un révolutionnaire ukrainien du début du XXème siècle), "The great hour" (extrait traduit d'un chant patriotique ukrainien) ou "Alligator" (un fusil anti-matériel ukrainien). 6 titres sur 7 sont donc clairement choisis pour supporter ceux qui défendent leur pays, le septième, "Bialowieza" peut être perçu de deux façons. Soit d'un point de vue écologique, c'est en effet une forêt protégée en Pologne pour sa faune et sa flore mais aussi d'un point de vue géopolitique car c'est le théâtre d'une chasse assez inhumaine contre les migrants qui cherchent à entrer sur le sol de l'Union Européenne. De quoi faire réfléchir et se cultiver en écoutant un excellent album.
Les ambiances de chacun des morceaux correspondent peu ou prou à leur dénomination, c'est pour cela que c'était, à mon sens, utile, de faire (encore) un peu le prof de service. On part à l'assaut avec "Makhno", "Holodomor" appuie là où ça fait mal en répétant le même schéma qui tiraille les entrailles, le chant de "The great hour" laisse un peu de place à Stefan De Graef des excellents Psychonaut et Hippotraktor pour un titre davantage post-hardcore bien brutal, "Bialowieza" est assez majestueux et ample, à contempler comme une nature indomptable, le sublime "Orange" joue sur la nervosité, le groove et une puissance implacable, celle d'un peuple qu'on n'arrête pas ! Dragunov reçoit alors l'appui de Vincent (comparse guitariste d'Abysse). "2402" et ses samples vocaux nous ramène dans une période sombre et tourmentée alors qu'"Alligator" est plus aérien, s'appesantissant peu à peu pour ensuite envoyer des rafales de riffs.
Outre les qualités rythmiques et guitaristiques du duo, il faut signaler le soin apporté aux arrangements qui participent à la création d'atmosphères au niveau des idées qu'ils (d)énoncent. Майстер-клас.
Publié dans le Mag #63