dirge_wings_of_lead.jpg Dirge, la simple évocation de ce nom suffit à faire frémir nos articulations, à faire vibrer les enceintes, à redouter l'imminence d'une Apocalypse musicale qui semble pourtant inévitable. Une éruption métallique qui ferra trembler la terre, un magma sonore qui s'insinuera inexorablement par tous les interstices d'un sol craquelé qui se lézarde sous nos pieds, des geysers qui embraseront le ciel dès la mise en branle de la mécanique d'horlogerie, Dirge fait peur, Dirge inspire le respect et Wings of lead over dormant seas est là pour démontrer que les maîtres du post-hardcore frenchy sont indétrônables. Orageux, tellurique, infiniment pesant, "Meridians" est un premier titre qui rend un hommage fidèle au genre : le post-hardcore. Alliant lourdeur incommensurable d'un Isis, velléités post-métalliques d'un Cult of Luna ou Pelican et rage brute, primitive, presque instinctive d'un Neurosis, le titre qui ouvre ce double album se présente comme un manifeste monumental et ravageur long d'une vingtaine de minutes et à la puissance démentielle.
Ceux qui ne connaissaient pas encore le groupe sont prévenus. Véritable no man's land sonore, le territoire musical de Dirge est semé d'embûches, celles-ci se dressant les unes après les autres devant les néophytes qui seront secoués par la déflagration postcore. 19'24 d'une musique tourmentée et sous haute tension permanente qui trouve sa source dans les ténèbres des cavernes du post-hardcore, en guise d'ouverture de ce Wings of lead., le groupe nous offre une véritable symphonie métallique aux vibrations chaotiques à la puissance abrasive hallucinante. Le calme presque absolu, la bête qui reprend son souffle afin de progressivement se remettre à hurler. Une rage brute, psychotique que l'on retrouve en de nombreux moments de l'album mais qui se plaît à jouer avec les contrastes et notamment avec le très bref et lunaire "End, infinite". Un instrumental post-rock atmosphérique cristallin sur lequel Dirge semble retrouver un semblant de calme avant que les éléments de sa musique ne se déchaînent de nouveaux. Désormais, la tension émotionnelle est palpable, les compositions organiques sont parfaitement maîtrisées par un groupe qui s'applique à concevoir des crescendo qui explosent littéralement les formats habituels du mouvement post-hardcore. Aux quelques velléités progressives des franciliens viennent s'ajouter une capacité rare à produire des structures labyrinthique qui s'étendent encore et encore jusqu'à ne plus nous lâcher ("Epicentre", "Lotus continent"). Déjà Dirge à cinq, c'est quelque chose, mais en plus les parisiens se sont payés un renfort de luxe en la personne de Nicolas Dick (Kill the Thrill) sur "Epicentre", morceaux aux pulsions de vie à la fois noires et lumineuses, avec toujours ce jeu de contrastes, ces clairs/obscurs qui parsèment la musique du groupe depuis And shall the sky descend et même avant... Alors que l'on s'attend à une ultime déferlante de violence, le groupe surprend et conclue le premier CD, ou avec un "Nulle part" qui s'élève doucement au dessus du sol pour se draper de nappes synthétiques et s'envoler vers des cieux un peu plus propices à l'apaisement.
Un premier disque qui se termine sur un "Nulle part" en forme d'impasse... mais qui trouve finalement une issue avec un deuxième CD d'une heure et composé d'une seule et même piste. Un morceau en forme d'apothéose qui embrase les corps, purifie l'esprit. Section rythmique d'une puissance obsédante, guitares distordues à souhait, Dirge se lance dans sa quête d'absolu, celle d'une dualité parfaite entre océans tumultueux et mers d'huile, entre cyclones destructeurs et éclaircies bienvenues, entre douceur et violence, toujours ces clairs/obscurs sur lesquel le groupe concentre son énergie, canalyse sa violence et se lance dans une démonstration ambitieuse en forme d'exutoire majestueux. Comme la preuve d'un talent précieux car sans limite. Impressionnant.