dirge_and_shall_the_sky_descend.jpg Découvrir avidement puis chroniquer, encore sous le choc de la déflagration sonore qui vient de s'abattre sur nos tympans pourtant rompus à ce type d'exercice, Dirge pour la première fois, n'est pas forcément chose aisée... Déjà, faire la critique d'un disque n'est pas forcément la chose la plus évidente du monde, quoiqu'avec un peu d'entraînement et de remise en question quotidienne, les choses viennent un peu plus naturellement. Mais avec And shall the sky descend, la difficulté est tout autre. Un premier titre éponyme, et ce sont directement pas moins de 24 minutes et pas une seconde de moins qui viennent nous mettre à genou. D'entrée de jeu, Dirge nous immerge totalement dans son magma sonique post-metal, mélange de guitares dissonantes noisy et de rythmiques organiques évoquant les Isis d'Aaron Turner, le Godflesh de Justin Broadrick et les inévitables Cult of Luna... "And shall the sky descend" est un titre à la structure évolutive, tantôt piégé dans une véritable gangue de plomb, tantôt s'élevant vers des cieux post-rock célestes. Oscillant continuellement entre manifeste noise hardcore métallique et post-rock ascentionnel, le groupe nous emmène au coeur d'un univers tentaculaire, oppressant et à la noirceur incomparable, que ne renierait en rien un Swans ou un Neurosis.
Paradoxalement, Dirge nous fait également voyager vers des contrées musicales éthérées, des territoires rarement explorés, plus propices à un apaisement absolu... Mais, au final, Dirge ne peut s'empêcher de faire retomber sa musique dans des tourments insondables... Dans un océan de riffs telluriques, sulfuriques au coeurs desquels une lointaine complainte déchire l'horizon. Sublime et d'une maîtrise rare. Le ciel s'est ouvert au-dessus de nos tête, on se dit qu'après une telle démonstration de force, un coup de Trafalgar "postcore" exigeant et salvateur, le groupe va avoir du mal à repousser ses propres limites et à nous éblouir un peu plus. Et pourtant, la suite n'en est que plus belle. Une intro languissante et toute en retenue, une saturation omniprésente, des instrumentations reptiliennes qui rampent doucement mais inexorablement le long de notre échine pour atteindre notre esprit et le hanter à jamais, "The birdies wheel" est un titre au format plus court que son prédecesseur immédiat (à peine plus de 10 minutes seulement... sic). Ambiances industrielles de fin des temps, des hurlements hardcore, des guitares qui viennent se greffer aux différentes strates d'un ensemble compact et labyrinthique, Dirge a décidé de nous mettre sur le chemin menant à l'Apocalypse, mais alors que l'on sent la fin proche, les cordes font leur réapparition et laissent de côté le chaos pour nous conduire vers un endroit moins hostile, au panorama glacé façon Sigur Ros et à l'onirisme délicat évoquant un The Album leaf teinté de psychédélisme lunaire.
On repart pour une plus d'un quart d'heure de musique avec l'hydre musicale qu'est "The endless" : à la fois massif, monolithique et tectonique (on pense alors à leurs compatriotes de Kill the Thrill, mais également céleste et lumineux, porté par la voix douce et enchanteresse de Flore Magnet. Comme un furtif moment de repos dans une oeuvre habitée où la hargne métallique du groupe pilonne des compos pourtant soignées et recelant mille nuances. Entre accalmie vaporeuse et le déchaînement assourdissant d'une nature majestueuse mais tourmentée comme jamais ("Glaring lights"), Dirge se pose, à la manière d'un Pelican, comme le maître des éléments et n'hésite pas à les faire s'entrechoquer douloureusement pour donner plus de corps à un ensemble pourtant d'une densité rarement égalée. La violence est exutoire, la tension palpable, Dirge semble affronter les fantômes de son passé, ou peut-être est-ce l'auditeur lui-même qui va passer de l'autre côté du miroir. On erre sans fin au coeur d'un monde où reigne le néant, le chaos inexorable, avec la conviction d'avoir croisé la route d'une formation au potentiel hors norme et qui, en laissant de côté les étiquettes musicales, se laisse aller à créer une musique introspective, maladive mais unique. Et au bout du compte, on se rend compte que si celle-ci peut susciter des émotions assez diverses, elle nous renvoie en pleine face le reflet de notre condition de simple être humain limité et imparfait.