Ce n'est pas tous les jours que l'Olympia de Paris programme une soirée metal prog, qui plus est avec le génie Devin Townsend en tête d'affiche. Cette soirée devait en réalité se dérouler le 23 avril 2022, grâce à cette reprogrammation le 26 mars, on se rend compte finalement de la chance qu'on a eu de ne pas louper le retour d'"Hevy Devy" à Paris, accompagné sur cette tournée de Fixation et nos frenchies de Klone. Un live report partagé entre Ted (pour les premières parties) et son acolyte Greg, inconditionnel du Canadien.
Devin Townsend à l'Olympia (26/03/2023)
Les Norvégiens de Fixation débutent les hostilités avec leur metalcore mélodique de stade à la mode, a priori tout ce que je déteste en matière de musique métallique. Et pourtant, même si je n'apprécie toujours pas ce style catchy farci de refrains aux envolées mielleuses, ça a tendance à passer un peu mieux en live. L'énergie du groupe, sa faculté à communier avec le public et d'interpréter ses morceaux d'une manière impeccable y est forcément pour beaucoup.
Cela faisait 13 ans que je n'avais pas vu de concert de Klone. À l'époque, le quintet de Poitiers défendait leur nouvelle sortie Black days en première partie d'Helmet à l'Élysée Montmartre. Dans mes plus profonds souvenirs, leur musique ressemblait un peu trop à Tool pour que leur show puisse prétendre me marquer en profondeur. Ce soir, je remets les compteurs à zéro, et les redécouvre à travers un premier titre magistral : "Elusive". Ce dernier, issu de leur dernier album Meanwhile, me procure un effet de dingue. Très spatial et lourd, ce morceau est magnifiquement guidé par la voix juste et harmonieuse de Yann. Je fais face désormais à un autre Klone. Le set que nous proposent les Poitevins est assez varié dans l'ensemble, les titres étant puisés dans cinq albums, les ambiances vont du rock décontracté ("Bystander", "Immersion") à des sonorités plus métalliques ("Rocket smoke") voire carrément space-rock-prog ("Keystone") ou encore à des reprises surprenantes (une version metal d'"Army of me" de Bjork). Globalement, la prestation de Klone a été à la hauteur de sa renommée, captivante de bout en bout, même si mon attention s'est davantage portée sur les morceaux ayant le plus d'entrain (notamment "Elusive", "Rocket smoke", "Army of me"). En parlant d'entrain, on sera servi en la matière avec Devin Townsend, je laisse donc la parole (le clavier plutôt) à mon pote Greg qui, parmi les personnes de mon entourage, est celui qui maîtrise le mieux le sujet.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, une petite remise en contexte s'impose : excepté "City" de Strapping Young Lad, découvert à sa sortie et que j'avais grandement apprécié, je ne connaissais absolument rien à la discographie de Devin Townsend avant l'été dernier. En effet, durant la fin des années 90, toute mon attention était presque exclusivement portée sur du metal extrême et, après avoir écouté de manière polie et détachée "Christeen" de l'album Infinity, découvert au moyen d'un CD sampler offert avec un magazine de presse spécialisée aujourd'hui défunt, je fis la sourde oreille aux supplications insistantes d'amis me suggérant fortement de prendre le temps de m'envoyer dans les esgourdes l'unanimement salué Ocean machine, tout en notant l'aspect stakhanoviste du musicien qui publiait au sein de divers projets moultes sorties de manière métronomique au fil des ans.
C'est début septembre 2022, lors d'un dîner, que je remarquais la présence de plusieurs Blu-rays du Canadien, dans la vidéothèque de mon hôte qui, par sa grande mansuétude, s'empressa de mettre gracieusement le live au Royal Albert Hall dans sa platine... avant d'interrompre d'un commun accord la diffusion au bout de 5 titres tant je fus absorbé par le spectacle qui se déroulait sous mes yeux, reléguant toute forme de conversation à un brouhaha informe et lointain. Une fois rentré chez moi, j'entrepris la tâche herculéenne de plonger avec gourmandise dans la production pléthorique du bonhomme à raison de 2-3h d'écoute active quotidienne pendant plusieurs mois, l'éclectisme de l'œuvre rendant supportable auprès de mon entourage cette attitude mélomane monomaniaque. Et c'est 6 mois plus tard, après l'acquisition d'une trentaine d'albums, une journée hautement productive et épuisante pour un dimanche et trois cafés serrés que je me retrouve à l'Olympia pour expérimenter en direct la musique du sieur Townsend, très curieux de voir l'intégration des titres du très accessible et lumineux Lightwork diversement apprécié de la critique et des fans.
Devin Townsend - Olympia (26/03/2023)
C'est surplombé d'un backdrop sobre comportant le nom de l'artiste et le dessin d'un poulpe, mascotte du dernier album, et dans une formation réduite (bye bye les chœurs féminins de la tournée Empath !) que Devin Townsend, tout sourire, entre sur scène d'une démarche iconoclaste et l'œil goguenard sur le son d'"Equation". Il nous explique qu'il a choppé une jolie sinusite et nous demande notre soutien pour tout le concert qui va suivre, concert pendant lequel le musicien va se moucher promptement plusieurs fois dans ses doigts, avant qu'une âme charitable remplie d'empathie issue du public ne fasse parvenir aux pieds de l'artiste un paquet de mouchoirs d'un geste précis et ajusté. Est-ce pour cette raison que "Why" a été supprimée de la set-list pour les quelques dates qui précédaient et suivaient cette escale parisienne ? En apprenant ces informations sur l'état de santé du showman, je sentis un frisson d'angoisse me parcourir l'échine quant à la prestation future, les morceaux du père Townsend nécessitant souvent des prouesses vocales à 1000 lieux des soufflets asthmatiques, cacochymes et autotunés de la grande majorité des interprètes interchangeables squattant les hit-parades. Heureusement, il n'en fut rien.
Après avoir fait l'inventaire des différentes phrases en français qu'il a apprise (dont un profitable "Où sont les toilettes ?"), Devin nous fait entrer dans le vif du sujet via un "Lightworker" à la fois léger et puissant. Les lumières sont somptueuses et le son très clair, avec peut-être une basse un peu trop mise en avant, souci mineur qui sera vite réglé. On enchaîne sur le tubesque "Kingdom" provenant de Physicist et de Epicloud, repris avec enthousiasme par la foule (IIIIIII, I wondeeeeeeer....), avant de continuer avec le très électronico-industriel et frontal "Dimensions" pendant lequel Devin fera mumuse comme un gamin le jour de Noël avec un thérémine, au boitier couvert d'une peluche en forme de pieuvre baptisée Sam et où il nous assènera, avec une gestuelle digne d'un chef d'orchestre, des notes au son si typique faisant basculer l'ambiance du morceau dans un trip issu de films de science-fiction des 60's. S'ensuivra l'interprétation du très rare et énergique "The fluke" au riff acéré et de "Deadhead", particulièrement apprécié par les fans, aux paroles chantées avec entrain par le public pendant que Darby Todd, le batteur, martèle ses fûts avec force et lourdeur.
Puis, arrivera (pour ma part en tout cas) le clou du spectacle : l'exécution magique de "Deep peace" et son solo guitare/piano/guitare en partie exécuté par Mike Keneally, aux chœurs, aux claviers et à la guitare (alors que Devin est assis), jonglant allègrement d'un instrument à l'autre (la véritable pieuvre de la soirée, c'est lui !), le tout pour un rendu stratosphérique de toute beauté. Tout simplement à couper le souffle. Retour sur terre avec "Heartbreaker" qui, selon les dires de Devin, est assez pénible à jouer, mais qui sera parfaitement délivré tant le groupe est en place. Et c'est au tour de "Spirits will collide" (aux chœurs d'enfants enregistrés) pour laquelle Devin demande à la foule son aide pour le refrain. Le public s'attèlera à accompagner le musicien en clamant les paroles mais avec toutefois un peu moins d'élan que sur "Kingdom" ou "Deadhead". Est-ce à cause d'une timidité pathologique ou d'une méconnaissance des paroles ? Le mystère reste entier. En outre, je dois reconnaître que pour ce titre, vu l'absence d'une chorale réelle, j'aurai nettement préféré la version plus acoustique et intimiste jouée lors de la tournée Empath. À l'issue de ce titre, Devin fait monter sur scène une très jeune fan d'une dizaine d'année pour lui offrir une peluche pieuvre, ce qui constituera le moment "trooop meugnoooon" de la soirée.
Devin Townsend - Olympia (26/03/2023)
Un Devin qui, durant toute la prestation et malgré ses maux de gorges et ses sinus obstrués, restera très avenant et volubile, pourvu d'une grande humilité, exprimant sa joie intacte après toutes ses années concernant la pratique de son métier et de son art et balançant bon mots et blagues, dont plusieurs tournent principalement autour du fait d'avoir atteint la cinquantaine, un sujet qui a l'air d'avoir son importance pour le Canadien vu qu'il est aussi abordé régulièrement dans ses dernières interviews. Après un "Truth" quasi instrumental au mur de son impressionnant, Devin enchaîne avec un "Bad devil" endiablé qui fera bien bouger la foule, avant de regagner les loges mais après nous avoir assuré qu'il allait y avoir un rappel. Il nous explique alors le concept galvaudé de ce dernier et nous demandent de jouer le jeu et de feindre la surprise lors de son retour sur scène, retour que l'artiste fera au moyen d'un moonwalk approximatif. Le rappel commence avec "Call of the void", un des morceaux du dernier album que j'aime le moins mais qui sera transcendé sur scène, comme souvent avec les morceaux de Devin Townsend, avant de continuer avec puissant "Love?" de Strapping Young Lad, seule incursion pour ce soir issue de la partie la plus extrême du répertoire. Et... c'est tout.
1h30 de show.
1h30 qui sont passées à la vitesse de la lumière.
1h30 ! Quoi ? Seulement ? Non mais qu'est-ce que the fuck ? Je dois avouer que, vu la qualité du spectacle et mon habitude à enquiller des lives de 2h30-3h00 de manière interposée par l'entremise de Blu-rays et autres supports digitaux, ma frustration est immense. Je suis colère ! Je suis trahison ! Bon, après quelques exercices psychocorporels bienvenus et une plaquette d'anxiolytique me permettant de me remettre le cerveau à l'endroit, je prends conscience du moment précieux que Devin nous a donné ce soir, un moment de partage et de communion, me faisant alors déjà fantasmer sur une hypothétique deuxième étape européenne (pour une set-list by request ?). En tout cas, ce fut une bien belle soirée qu'il ne fallait rater sous aucun prétexte.
Merci à Guillaume de Klonosphere et Klone
Photos : Ted
Publié dans le Mag #56