Danzig - Danzig IV Je me rappelle d'une discussion avec un mec, qui m'avait dit, en substance, sans se démonter : "Tu vois, en fait, Danzig représente tout ce que je déteste". Une phrase qui se voulait cinglante, prononcée avec un air contrit, sur un ton légèrement condescendant et cynique, options yeux levés au ciel et bouche en cul de poule. Bref, sur l'échelle de la « Tête à Claques » (tête à poings, ça existe ?), le mec affichait un sacré score. Non seulement cet histrion n'avait absolument rien compris au délire, mais je rajouterais que sa prouesse sémantique me permet aujourd'hui -merci pauv' naze- d'introduire cette chronique de la plus belle des manières. Puisque pour moi, Danzig représente à peu près TOUT ce que j'apprécie. Bah ouais.

J'aurais pu choisir n'importe quel autre album du groupe, puisque, vous allez vite vous en rendre compte, l'idée est quand même d'évoquer en priorité Glenn Danzig. Le pilier, la tête pensante, la colonne vertébrale, le mur porteur, le centre névralgique, la salle de contrôle, la pierre angulaire (vous pouvez rajouter toutes les expressions possibles et inimaginables du même acabit), bref le seul maître à bord en fait, de l'entité Danzig. C'est marqué sur l'étiquette, impossible de se tromper.

J'ai finalement opté pour l'album communément appelé "IV" (oui, vous l'avez deviné, il s'agit bien du quatrième album) puisqu'il représente parfaitement l'alchimie musicale et "conceptuelle" de ce combo infernal. Il marque également la fin d'une période bénie des Forces de l'Ombre, il conclut brillamment l'ère que tous les fans jugent comme le meilleur line-up de l'histoire du groupe : Glenn Danzig entouré de John Christ à la guitare, d'Eerie Von (ex Samhain) à la basse et de Chuck Biscuits (ex-DOA, Black Flag et Circle Jerks, qui jouera ensuite avec Social Distortion) à la batterie. Avec Rick Rubin à la production, dans le rôle du grand manitou en studio, et officieusement le cinquième membre (il a également produit les 3 précédents). Avec une telle équipe de choc, ce n'est plus un groupe de musiciens mais un escadron de l'Apocalypse.

Danzig IV résume en 12 titres ce qu'est l'essence même de cette entité, ce mélange de rock sombre, de classic rock bourbeux, de hard rock incantatoire. Ouais, il y a une redondance du terme "rock" dans la phrase précédente, c'est pour bien souligner qu'effectivement, Danzig, c'est du putain de vrai 'Rock'. De nos jours, le terme est tellement galvaudé -et vidé de sa substance- que je me sens quand même obligé de noircir le trait pour être bien compris.

Sorti en 1994, période trouble pour tout ce qui était d'obédience hard rock (le grunge avait opéré son travail de sape sur la culture du rock burné et chevelu), "IV" surprend par une approche moins typiquement bluesy et heavy que les albums précédents. Les ingrédients restent les mêmes, c'est à dire un rock épais et ténébreux, croupissant dans des eaux stagnantes, rampant et nocif, dilué dans une ambiance occulte et possédée, mais les ambiances s'étoffent et les sonorités s'abîment davantage, mettant en exergue la voix profonde et habitée du Fils des Loups. Quelques titres commencent même à flirter avec des sonorités indus, quelques boucles minimalistes et drones désincarnés annonçant en filigrane la texture du prochain album (Danzig V : BlackAcidDevil), pour le coup exclusivement electro-synthétique.
Les Anglo-Saxons pourraient utiliser les adjectifs creepy et evil pour qualifier cet album, moi je vais me contenter d'écrire que cette pièce sonore est d'une densité et d'une intensité rare. Riffs dantesques, orchestration habitée, thèmes envoûtants, arrangements hypnotiques, la puissance de l'ensemble n'ombrageant jamais le côté mélancolique et cabalistique des atmosphères tissées. Les paroles sont sans équivoque quant à l'univers de ce combo de damnés : "Bringer of death", "Sadistikal", "Until you call on the dark", "Brand new God", "Going down to die". autant d'hymnes noirs et de complaintes méphistophéliques, véritables malfaisances sonores faisant écho à un univers trouble et cabalistique.

Rajoutez un artwork adapté à cet univers opaque, dans un délire purement ésotérique, le fameux logo étant même retouché pour l'occasion façon rune indéchiffrable de sociétés secrètes interdites, le titre de l'album donnant dans le même folklore puisqu'il est rédigé dans un alphabet allemand médiéval (Vehmgericht). La photo promo, elle, emprunte plus que largement à la tradition conspirationniste. Bref, un ensemble d'éléments savamment pensées qui donnent à ce disque un aspect inclassable, dangereux et intemporel. En tout cas, absolument pas figé dans les années 90.

Danzig, durant toute sa prolifique carrière, a dessiné et définit les contours de ce que l'on nomme communément l'horror rock. Avec Misfits bien sûr, puis les terrifiants Samhain, qui deviendraient tout naturellement Danzig sous l'impulsion du barbu Rick Rubin.
Je précise qu'il a depuis longtemps transcendé son univers musical par le biais de ses activités annexes, notamment à travers sa société d'édition de comic-books pour adultes (Verotika), proposant des BD graphiquement très explicites, toujours dans un univers où s'entrechoquent forces obscures et rites satanistes, axées autour de délires graphiques chargés en testostérones à mi chemin de l'horreur old school et de l'heroic-fantasy. Avec la dose syndicale de meufs à poil, bah ouais, quand même, hein. Ceux qui apprécient Simon Bisley et Frank Frazetta savent de quoi je parle.
A noter ses deux albums sous le nom de Black Aria, musique atmosphérique et instrumentale, sorte de BO nébuleuse et héroïque d'un film imaginaire qui pourrait renvoyer le "Conan le Barbare" de John Milius au rang de film pour enfants.

Dur de ne pas mentionner ses collaborations prestigieuses avec les géants Roy Orbison et Johnny Cash, pour qui il a écrit, respectivement, "Life fades away" et "Thirteen". Les membres de Metallica, eux, n'ont jamais caché leur amour pour les Misfits, et ne se sont jamais privés d'en reprendre quelques titres sur scène. Il fut même un temps question d'un album de blues bourbeux avec Jerry Cantrell (Alice in Chains), on imagine le mood plombant des mélopées de ce duo fantastique !

Même si Danzig n'a jamais pu égaler la qualité de son quatrième manifeste, les albums suivant comportent leur lot de frissons et d'atmosphères pesantes. Il continue de se produire sur scène, avec parcimonie certes, mais toujours dans l'intention de pétrifier son auditoire, entouré depuis quelques années d'un line-up de haute volée (Tommy Victor de Prong/Ministry à la guitare, Johnny Kelly -ex-Type O Negative- à la batterie, ainsi que du premier bassiste de Samhain), aussi charismatique, chamanique et imperturbable que dans ses jeunes années. Et musculeux, cela va sans dire.

Vingt ans après l'avoir acheté, je continue d'écouter ce disque au moins une fois par semaine (et, en passant, c'est certainement l'album que j'ai le plus écouté de toute ma petite vie). J'essaie de voir le tonton Glenn sur scène aussi souvent que possible, il reste à mes yeux l'un des derniers hérauts du Rock tel que je le conçois... à savoir intransigeant, puissant, avec une grosse personnalité, hors mode, et, surtout, sans second degré ni bouffonneries juvéniles. Du rock mature, qui ne laisse aucune place à la légèreté et à la médiocrité.