À la veille de la sortie de leur nouvel album, c'est en visio que je retrouve Luc (batteur) qui attaque son deuxième café et Jona (guitariste) qui prend une pause dans une journée marathon de préparation de sortie officielle. Impatients de voir le monde découvrir Odd love, ils prennent le temps de discuter avec moi de la genèse de l'opus et de leur avenir plus ou moins proche.
Commençons par le début et la composition de l'album, vous avez changé la façon de travailler en étant plutôt sur un temps très très long, alors qu'à vos débuts vous étiez plutôt sur un temps court, ça a changé quoi ?
Jona : Ça nous a permis d'aller dans un niveau de détail qu'on n'avait jamais exploré avant, dans le sens où quand tu dois faire un disque en 4 semaines, t'as juste 4 semaines... Quand nous avons eu la première version de toutes les parties des morceaux pour Odd love, eh bien, par le passé, ça aurait été le disque ! Après cette première version, il y a eu tout un tas d'étapes, on a enregistré le disque 4-5 fois dans nos propres studios, puis on a répété plein de fois avant d'aller l'enregistrer de manière définitive en Norvège. On a vraiment eu le temps d'écrire un disque, on n'avait jamais fait ça avant ! Il me semble que c'est assez parlant.
Luc : Pour nous, c'était un regard tout à fait différent sur nos morceaux, simplement par le fait que tout d'un coup, on pouvait prendre du recul sur nos propres compositions. Vu qu'on avait toujours cette limite de temps, on écrivait des morceaux, il fallait les enregistrer, c'était le disque, et puis il vivait comme il était. C'est un concept avec lequel on était tout à fait d'accord, ça rajoutait un peu plus cette épice extra spicy urgente à nos disques et nos compos. Là, pour une fois, on a eu envie d'expérimenter, de prendre du temps, d'aller dans les niveaux de détails, et puis réécouter. En tout cas pour moi, ce qui a vraiment changé, c'était de pouvoir réécouter des morceaux complets ou des versions complètes du disque avec des playlists et puis revenir dessus, pouvoir retourner travailler certains aspects, certaines compos ou le disque en général.
Vous allez pouvoir revenir à votre façon de faire comme avant ? Ou ça sera toujours comme ça désormais ?
L : J'ai l'impression que ce move a un peu infligé un trigger, qu'on a quand même envie de pouvoir refaire un disque un petit peu plus vite. Il faut aussi dire que c'était en plein COVID, il y a aussi plein d'autres obstacles qui ont fait qu'on a pris aussi plus le temps pour ce disque. Quand Jona a commencé à l'écrire, il avait prévu de prendre un petit peu de temps dans son emploi du temps qui était à peu près autant proche que celui d'un ministre pour écrire un peu ses morceaux. À cause ou grâce au COVID, il a pu prendre plus de temps, on a tous pu prendre plus de temps. Je crois qu'on est tous d'accord sur le fait que là, ça a pris quand même beaucoup de temps et qu'on ne va pas attendre autant d'années. J'ai l'impression que ça nous titille un petit peu de renchaîner quelque chose, d'écrire des morceaux et les enregistrer, de refaire un peu des choses nous-mêmes... En tout cas, c'est clairement sur la table, quand même pas autant brutal et rapide qu'avant, mais ça va nous ramener à un entre-deux.
J : Il faut aussi dire que le disque a été enregistré en 2022, donc il y a aussi presque deux ans de préparation pour la sortie à cause du COVID, et on avait envie de retourner sur la route, pas forcément comme on le faisait avant, donc il fallait trouver des partenaires pour le faire, savoir si le disque était assez bon pour qu'on puisse faire un plan comme on voulait... On a ajusté ça pendant presque deux ans encore ! Entre le mix, la comm', quel genre de concert on voulait faire, où on voulait tourner, qui voulait bien nous booker... Tout ça, ça a pris du temps. Je reviens sur la première question, qui est liée, d'avoir fait ce disque autant en profondeur, on a appris plein de choses et donc maintenant ça va aussi nous prendre vachement moins de temps pour arriver à ce stade "de détails dans les compos" sans prendre deux ans pour le faire. On a vraiment expérimenté, on est allé très loin dans les différents processus. On a écrit des morceaux dans des clubs, on est allé en résidence dans des clubs avec un système son ouvert pour écrire des morceaux pour savoir directement comment ils sonnaient sur scène, on a répété ces morceaux comme si on allait les jouer en live alors que c'était il y a trois ans en arrière pour bien aller chercher l'essence même de ce qu'on veut raconter à travers ces morceaux... ça parait un peu ésotérique comme ça, mais ça nous a donné des clés de compréhension de notre propre musique qu'on va pouvoir appliquer dès maintenant, que moi j'ai déjà appliqué en créant les démos que j'ai faites qui sont maintenant entre les mains de Luc pour le prochain album. Donc tout va aller plus vite.
Est-ce que s'il n'avait pas été enregistré au Ocean Sound Recording, il aurait été différent ? Le lieu a influencé l'album ?
J : Évidemment. Il y a tout un tas de couches, c'est pas juste le lieu qui est incroyable et super bien équipé. C'est aussi le fait que pour la première fois, on a travaillé avec quelqu'un, à savoir Scott Evans, qui nous a libérés de toute considération technique, donc nous, on était juste musiciens, ça a influencé le fait qu'on ait choisi ce studio ensemble, puis que ça ait été un immense road trip, on est monté en une semaine en voiture, on est rentré en une semaine en voiture, au total c'était un trip de 5 semaines avec 3 semaines en studio puis 2 semaines de voyage. L'endroit était méga inspirant, on dormait sur place, on était en immersion complète, l'aspect technique ou fancy, je veux dire luxueux du studio, il arrive presque en dernier.
L : C'est important le lieu. Il a impacté clairement notre mood au moment où on enregistrait, puis à la façon dont ça s'est déroulé sur place, je pense à nos interactions aussi en tant qu'humains, parce qu'il n'y en avait pas un de nous qui avait toute la casquette technique à endosser en plus d'être dans le contenu créatif, artistique et musicien, et faire des bonnes prises. C'est un bel endroit, c'est magnifique, c'est féerique... ça joue un petit peu sur notre moral, surtout que se réveiller, être dans ce studio incroyable, aller se baigner un petit coup dans l'océan à côté à 10 degrés avant de jouer, les jours qui ne finissaient jamais... On était dans un rythme de vie, dans un contexte géographique qui nous mettait obligatoirement dans un autre mood, de ce côté-là il a influencé le process au jour le jour. Mais au final, ce qui est sorti sur le disque, mis à part peut-être un morceau ou deux qu'on a changé sur place, on l'aurait aussi enregistré ailleurs. Le produit final serait relativement identique.
On voit beaucoup la Norvège dans vos clips, ceux qui sont sortis présentent beaucoup d'images de sessions live, l'artwork est une photo d'une des soirées passées là-bas, donc il y a beaucoup d'éléments qui vous raccrochent au lieu de l'enregistrement...
J : C'est vrai, c'est ça qu'on a raconté, c'est comme ça qu'on a fait ce disque... Les thèmes abordés dans ce disque traitent quand même de nous, de notre vision de ce band, de notre position dans l'industrie de la musique. C'est une espèce de photo de cette famille qu'on a choisie il y a 13 ans, c'est cette famille choisie qui est devenue le centre de nos vies. C'est en ce sens-là que le lieu et la Norvège a influencé ce disque, ça a créé une cohésion, on a décidé de faire un voyage de rêve dans un studio de rêve ensemble. On a fait ça ensemble, on a choisi de faire ça ensemble dans cet endroit, on a mis des moyens, de l'énergie, du temps, tout un truc qui dépasse largement le cadre de la musique...
Vous avez donc de l'amour aussi, Odd love, ça peut se comprendre comment ?
J : Exactement comme ce que tu es en train de penser dans ta tête en posant cette question ! (rires) Dans le sens où les thèmes de l'album, peu importe comment ils sont interprétés et comment sont interprétées les paroles de Louis, elles traitent beaucoup de ça. On ne vient pas d'un contexte social très compliqué, on est des gars blancs, nés en Suisse, dans un pays riche avec pas trop de problèmes, tout ce qu'on a à raconter c'est comment on voit le monde qui est en train de brûler et ce qu'on fait à travers ce groupe. Le fait que quelque part ça n'a pas tellement de sens, à bientôt 40 ans, de continuer à essayer d'enfoncer toutes les portes que personne n'a décidé de nous mettre devant le nez, mais qu'on a décidé de créer et de lancer nos têtes dedans ! C'est de là que vient ce titre Odd love, cette espèce d'amour étrange qu'on a pour ce truc qu'on fait alors qu'on ne sait pas bien si ça a un sens ! On se demande si on n'a pas raté le train 14 fois et on continue de mettre toute notre énergie là-dedans...
L : L'amour c'est quand même un point central de ce groupe, on revient souvent sur ce thème parce que le groupe c'est notre petite famille, mais une famille choisie. Et il y avait un step avec ce nouveau disque, on a toujours été dans des trucs quand même beaucoup plus dark, une musique plus oppressante, mettre "Love" dans le titre de notre album, c'était aussi un immense pas d'acceptation sur à quel point l'amour de ces personnes-là autour de moi dans ma vie à ce moment-là. J'ai fêté mes 41 ans cette année, Coilguns c'est important, ça m'accompagne, c'est un point central, c'est un pilier central de ma vie.
L'album sort demain, comment on est à J-1 ? Il y a de la tension ou finalement ça va être un jour comme les autres ?
J : Je peux parler que pour moi, mais juste au niveau de la charge de travail, là, c'est bien stressant ! Je suis depuis ce matin en train de faire des uploads de trucs, checker les players YouTube, être sûr que tous les trucs Bandcamp sont clairs... Finaliser les communiqués de presse avec tous les attachés de presse, se rendre compte que ce fichier-là il est corrompu, il y a les précommandes à envoyer... On gère le label aussi, ainsi que toute cette partie-là donc c'est bien tendax, mais c'est cool. Si je me mettais juste dans ma position de musicien, personnellement, c'est un peu entre soulageant et effrayant, dans le sens où je suis soulagé que ce disque sorte enfin. Même si c'est le début du boulot, on va continuer de le défendre parce qu'il est sorti, mais les disques ne vivent plus très longtemps sur les plateformes avec la façon dont les gens consomment la musique. On est un groupe de dinosaures, c'est lentement mais sûrement, on a tout un tas de trucs qu'on a mis en place pour faire vivre ce disque pendant les prochains mois, la prochaine année. Ça reste soulageant qu'il sorte ! Enfin, il va être là ! Les gens vont le recevoir, on n'a plus qu'à espérer qu'ils le reçoivent comme on l'a écrit et qu'ils reçoivent l'émotion qu'on essaie de transmettre là-dedans. C'est aussi effrayant, parce que si tout le monde trouvait que c'était de la merde, ça me ferait chier, même si on dit qu'on fait de la musique pour nous, mais en fait on la fait aussi pour la partager avec les gens.
S'il fallait entrer dans l'album par un seul morceau, lequel vous choisiriez ?
L : Moi, je choisirais "Placeholders". Alors, j'ai changé d'avis 50 fois depuis qu'on a écrit ces morceaux, mais là de plus en plus, aussi avec beaucoup de retours que j'ai eus, c'est vraiment un morceau qui fait bien le lien entre ce que Coilguns a été et ce qu'il peut être avec ce nouveau morceau. Je trouve que c'est une bonne amorce, c'est surprenant, mais j'ai l'impression qu'on a souvent sorti des trucs aussi un peu surprenants. Il y a quand même bien les ingrédients d'un bon morceau de Coilguns. C'est un bon mélange d'aller taper dans tous les coins de ce qu'est ce groupe.
J : C'est peut-être le type de ce que ça pourrait être.
L : En tout cas, pour annoncer un peu la couleur de ce nouveau disque, je trouve que c'est le truc le plus évident. C'est aussi celui qui fait, pour moi, le plus vite le tri entre ceux qui sont là "bon bah, moi je suis plus d'accord", puis ceux qui disent "ah oui d'accord", et puis ceux qui peut-être n'étaient pas d'accord avant.
C'est assez clivant quand même. C'est peut-être celui le plus "on aime" ou "on n'aime pas".
L : Je pense qu'il a aussi un côté clivant comme tu dis.
Alors, pourquoi n'avoir pas mis ce titre en avant, sur Youtube notamment ?
J : C'est un mix de plein de choses. On a décidé de s'entourer de gens, puis de prendre des avis extérieurs, ce qu'on n'avait jamais fait avant. "Placeholders" a très vite eu une place de single. Puis après, selon que ce soit les distributeurs, les attachés de presse, le management avec qui on bosse et tout ça, on s'est dit que c'était ça les singles, pour tout un tas de raisons qui étaient ce qu'elles étaient à un moment, puis qu'on changeait après... C'est marrant parce qu'on va revenir à ce truc de "Placeholders" qui génère pas mal de réactions. En fait, c'est assez cool parce que c'est un morceau qu'on va beaucoup mettre en avant par la suite, tout simplement. Donc ça, c'est un des morceaux qui va permettre de faire vivre le disque après. C'est un peu comme si on n'avait pas joué toutes nos cartes sur ces singles...
L : Alors, je tiens juste à dire que je n'invalide pas du tout les choix des singles ! C'est vraiment par rapport à ta question. Et puis voilà, Luc Hesse, ce matin, deux cafés dans l'estomac, 11h18, le disque sort demain. Tu poses cette question... Comme j'ai dit, j'ai changé 50 fois d'avis. C'est celui-là qui me paraît être la réponse la plus sincère à ta question. Mais je n'invalide pas du tout le choix des singles, ni rien du tout, bien entendu, ni la playlist du disque, ni rien du tout.
Alors justement, ce morceau-là, il y a des sifflements, il y a des chœurs. En live, ça va être possible de jouer tout ça ?
J : On a déjà fait des essais quand on était dans la période de compos, on s'est dit "qu'est-ce que ça donne si on essaie de jouer ces morceaux" comme si on allait tous les jouer dans un concert. Puis là, c'est quelque chose qu'on va préparer. On peut le dire maintenant, parce que ça va être annoncé aujourd'hui, mais on a été invité à jouer au Roadburn pour jouer l'album dans son intégralité. On va bien devoir le jouer de toute façon ! On va trouver une astuce. Mais à part les sifflements qui restent un petit peu un mystère sur comment on va le faire... il faut soit que j'apprenne à siffler, vu que je suis le seul qui ne joue pas pendant cette partie, soit trouver une astuce de sample. Je ne sais pas trop, mais on va trouver ça. On a prévu des répètes pour faire ça en janvier.
L : C'est le seul truc un peu tricky, c'est le sifflement. Tout le reste, c'est un morceau de rock à quatre.
J : C'est aussi qu'on est un groupe de live. Puis là, on a fait un disque studio qui est quand même jouable. C'est évident, on joue déjà la moitié du disque sur scène maintenant. Mais c'est clair que "Caravel", par exemple, on ne va pas se trimballer avec un piano droit. Je n'ai pas l'impression qu'on va faire ça avec un synthé pourri, avec un faux son de piano sur scène. Ça, on n'en a pas discuté mais je peux imaginer que peut-être Louis aura une gratte dans les mains, puis il va faire du bruit avec une guitare ou je ne sais pas quoi. Puis pour "Placeholders", on verra bien ce qu'on va foutre. Mais c'est sûr que c'est tellement significatif ce sifflement, que je ne vois pas vraiment faire ça avec un trombone à coulisses (rires).
Là, vous allez bosser sur les concerts. Il y a aussi un Humus Fest qui arrive assez vite. C'est géré par vous ou c'est délégué à d'autres ?
J : C'est nous à travers le label qui créons ces soirées. On le fait chaque année en Suisse. Des fois, on n'en fait qu'une édition, des fois, on en fait trois. C'est un beau projet qui commence à s'exporter un petit peu en France. Donc, on l'a déjà fait à Clermont-Ferrand. Là, on est en discussion, je ne peux pas les annoncer tout de suite, mais en mars, il y en aura une, voire deux, des soirées
Donc il y aura aussi le Roadburn qui est aussi un passage obligé pour les groupes dans ce style-là. Peut-être aussi le Hellfest au mois de juin, non ?
J : Non, figure-toi qu'on ne va pas faire le Hellfest. Même si on y a joué en 2019, si tu creuses, il y a quand même beaucoup de festivals où il y a des choses à redire, où tu peux ne pas être d'accord avec certaines façons de faire. Pour être tout à fait honnête, on savait que la proposition pourrait venir éventuellement parce qu'on savait que ce serait dans les cartes avec les agents qu'on a, ils travaillent très bien avec le Hellfest. Et nous, en en discutant en groupe, on a décidé de demander à nos agents de ne pas pousser pour qu'on y aille, parce qu'on n'avait pas le sentiment d'avoir envie de dealer forcément avec le conflit de loyauté ou éthique que ça peut représenter. Mais on se disait qu'on verrait bien. Il y a toute une équipe de programmation, s'il y a du méga enthousiaste, pourquoi pas discuter. On aurait considéré le truc sur le moment, selon les discussions, on aurait posé nos questions, etc. Sauf que récemment, notre agent en France s'est retrouvé en discussion avec la programmation, et juste en mentionnant la possibilité que Coilguns existe là-dedans, la personne s'est méga vexée, et a dit qu'on on était trop proche de Birds in Row, et que, pour ça, on ne jouerait pas au Hellfest. Donc pour nous, ça a réglé la question, et puis on n'en a bien rien à foutre, dans le sens où on a demandé à tout le monde, à tous nos agents européens, français, si c'était vraiment un passage obligé ? On peut imaginer que notre carrière ne va pas s'arrêter si on ne joue pas au Hellfest ? Tout le monde nous a dit que ça allait très bien aller, donc on était très contents. Donc on ne jouera pas au Hellfest, et je pense qu'on n'y jouera plus jamais, sans doute, plus jamais. Personnellement, être invité par le Roadburn pour faire ton album dans son intégralité, c'est un petit peu une autre forme d'intégrité artistique qui me va aussi. Mais je ne suis pas en train de dire qu'on est géniaux parce qu'on ne joue pas au Hellfest, là, ce n'est pas notre décision, en l'occurrence, et je trouve un peu malheureux que l'on soit jugé comme ça, puis en même temps, ouais, Birds in Row c'est nos potes, et Birds in Row c'est plus nos potes que les gens du Hellfest, donc rien à battre !
Il y a d'autres festivals qui ont aussi une bonne programmation et des moyens de vous faire rencontrer le public...
Oui, exactement. C'est définitivement une plateforme, mais on n'aura plus accès à cette plateforme, il y en a tout un tas d'autres, donc c'est complètement ok.
Vous serez aussi à Paris en février, C'est la seule date prévue en France pour le moment ? Il y en aura d'autres qui seront en préparation ?
J : C'est la seule date annoncée... Mais la France, pour nous, c'est un territoire important, parce qu'on est juste à côté, on est francophone, on a beaucoup tourné là-bas, donc il y aura plein de dates en France. Je sais que demain, on annonce Dijon et d'autres dates seront annoncées... on va ratisser la France de long et en large l'année prochaine, c'est sûr.
Et la scène suisse, elle se porte comment ? Vu de très loin, moi je suis au Nord de la France, j'ai l'impression que c'est plus difficile aujourd'hui pour les jeunes groupes suisses qu'il y a 10 ou 15 ans.
J : Oui, je suis assez d'accord. Mais c'est aussi à travers un prisme de musique à guitares que tu vois ça, peut-être. Effectivement, pré-COVID, il y avait tout un truc aussi sur les groupes un peu plus expérimentaux, des groupes à guitare. En plus, on a une histoire avec ça, la Suisse, aussi loin que Celtic Frost, Coroner, les Young Gods, puis après Knut, Unfold, Shovel, Nostromo... En ce moment, je n'ai pas l'impression que les musiques à grosses guitares, c'est vraiment hyper désirable. Nous, on sort bien notre épingle du jeu parce qu'il y a un petit côté hybride dans ce qu'on fout, j'imagine. Pas hybride genre électro-rock, mais une histoire d'attitude qui fait qu'on arrive à s'exporter. Mais c'est vrai qu'en Suisse, en ce moment, il y a beaucoup d'artistes plutôt des scènes rap, hip-hop, un peu electro-rave, pop, latino, un peu d'autres trucs. C'était déjà compliqué avant, parce que la Suisse, c'est un pays où il n'y a pas vraiment de marché. Le monde entier s'en fout de ce qu'on fout ici, c'est dur de s'exporter. Pour les groupes à guitares qui ne sont pas très désirables de manière générale dans le paysage musical en ce moment, dans le monde, j'ai envie de dire, je pense qu'effectivement c'est plus difficile.
Un dernier mot d'espoir pour les musiciens et la musique en général ?
L : Il faut continuer. Je pense que tout le paysage change et il faut continuer à faire des trucs. Il faut accepter que les tendances changent. Il faut continuer à se soutenir, aller voir des petits groupes, soutenir les salles. Il faut continuer de créer. Ça n'a jamais été facile. Être musicien, c'est un monde précaire et ça le sera toujours. Ça ne sert à rien d'essayer d'être une star. Mais les gens ont besoin d'aller voir des trucs, j'ai l'impression qu'il faut trouver des moyens de se divertir. Tout le monde a besoin de tout le monde. Le public, les groupes, les gens, les magazines, il ne faut pas perdre espoir. Il faut continuer et ne pas s'attendre à devenir Metallica. Ça ne sert à rien du tout.
J : Oui, c'est ça... J'ai l'opportunité de travailler avec d'autres artistes qui sont dans d'autres genres, plus tendance peut-être, c'est une scène différente. Après 60 ans de souveraineté absolue, le public a perdu un peu d'intérêt pour le rock, mais il est toujours là, on continue à faire des choses. Les nouvelles scènes sont plus compétitives, plus commerciales, plus dans l'air du temps, plus en lien avec l'image... mais t'as toujours des gens qui vont voir des mecs en jeans et en t-shirts jouer de la guitare. C'est vachement plus simple quand tu as accepté que tu ne seras pas une star. Ça ne veut pas dire qu'on n'a pas d'ambition, on n'a jamais été voués à un immense succès, mais on peut remplir des petites salles, sortir des disques... Plutôt que de courir après la fame, on a construit nos vies autour du groupe. Et même si ça ne permet pas de payer le loyer, nos activités gravitent autour du groupe ce qui fait qu'on est disponible tout le temps pour le groupe. C'est notre métier, qu'on fasse de la production musicale, du consulting, du management, qu'on gère un label... tout ça nous permet la liberté de faire ce qui nous fait le plus kiffer. C'est pas impossible, ça demande des aménagements, des sacrifices, mais c'est possible. Il y a plein de restaurants étoilés, mais t'as aussi Jean-Michel Boyau qui a son petit bouchon lyonnais, c'est délicieux et les gens y vont aussi. Il y a une classe ouvrière chez les groupes car tu ne peux pas avoir que des restaurants étoilés partout.
Merci à Luc et Jona et aux Coilguns, merci aussi à Matthieu.
Photo : Andy Ford
Publié dans le Mag #63