Diabolus in Musica Diabolus in Musica C'est un peu fébrile que nous nous rendons à l'auditorium pour la conférence de presse qui se déroule avant la visite. Même si nous avions pu échanger avec Corentin Charbonnier (commissaire avec Milan Garcin) lors de notre dernier hors-série Hellfest, il est tout de même angoissant de voir "institutionnaliser" un genre qui par définition s'affranchit des règles et des barrières.

L'ensemble a, selon Marie-Pauline Martin, beaucoup travaillé sur les sonorités du genre, et, au fil du temps, il voulait vraiment aller plus loin, il voulait vraiment explorer toute la valeur esthétique. Cela implique bien sûr d'investir des nouveaux paramètres, des nouvelles données, la transgression, mais aussi la saturation, les distorsions, voire le chaos. Et surtout, pour dire une chose, pour dire toute la virtuosité que requiert ces musiques et aussi toute leur extraordinaire capacité à renouveler la création sonore, mais aussi la création visuelle."

Corentin Charbonnier de continuer : « Ce qui nous intéressait au premier lieu et ce que l'on a voulu montrer au travers de l'exposition, c'était qu'on ne pense pas le metal simplement comme une musique, mais plutôt comme une culture qui est multiple et variée. Il s'agit d'un genre qui contient d'innombrables sous-types de genres. Bien sûr, il nous était impossible de tous les représenter, mais nous avons vraiment pensé l'exposition de manière globale, avec un rapport à la musique, à l'esthétique des lieux dans lesquels le metal se produit, c'est-à-dire aussi bien les gros festivals que les scènes les plus underground ou locales. On essaie de voir à peu près l'ensemble du spectre metal à travers cette exposition. »

Et c'est vraiment l'impression qu'il en ressort. Que l'exposition a été pensée avec beaucoup de déférence par rapport aux genres et aux acteurs de cette scène.

Milan Garcin, en tant que docteur de l'histoire de l'art précise, « L'enjeu était pour nous, à la fois de retracer l'histoire de cette culture, de remonter ces fondements avec quelques groupes fondateurs de cette musique, et puis, ensuite, de déployer un certain nombre de sections autour de la question de l'art bien sûr, c'est-à-dire comment est née une esthétique autour du metal, à partir d'un certain nombre d'œuvres de références, notamment celles qui ont servi à des pochettes d'albums mais aussi, plus largement, issues de la culture populaire, et puis, simultanément, de les mettre en lien avec des créations contemporaines. Pour voir comment le metal cherche dans un certain nombre de références classiques, dans son fonction déploiement. Et puis l'exposition s'articule autour d'une série de sept genres, que nous avons nommées chapelles, reprenant un certain nombre de sous genres, qui ont été pour nous l'occasion de présenter ce que nous avons appelé des reliques, puisque ce sont des instruments, des costumes de scène, notamment. »

Les choses sont prises au sérieux. Et la volonté est de mettre en évidence ce qui n'est pas forcément visible du public.

Pour Fortifem, nom sous lequel se sont réunis deux : "Cela n'a pas été simple quand nos amis scénographes nous ont proposé de nous occuper de la partie graphique de l'expo car cela revient à fédérer un genre qui a autant d'images qui vont du plus épuré au plus extrême, et d'essayer de canaliser toute cette énergie dans une espèce d'imagerie fédératrice, qui parle autant aux initiés qu'aux profanes, et qui fasse plaisir aussi à tout le monde. Nous avons beaucoup fait le pont, parce que c'est notre métier au quotidien de faire des images pour des festivals, pour des groupes, de faire des pochettes ou des t-shirts. Mais pour la première fois, on a dû habiller des murs de musée et on a géré toute la partie graphique, dans laquelle on a essayé de rendre hommage à beaucoup de sous-genres du metal, qui sont mis en avant, et qui sont accompagnés d'une certaine esthétique, avec les t-shirts ou des affiches de festival. Nous avons essayé de fédérer dans cette expo toute l'imagerie qui est très importante dans le metal, puisque c'est un des rares genre que les fans portent au quotidien sur des t-shirts. Et pour nous, c'était important, en tant que professionnels de l'image d'amener cet amour et cette passion qu'on a pour l'image au sein des murs de l'expo."

Diabolus in Musica Nous avons par la suite contacté les deux scénographes qui se sont prêtés au jeu de la courte interview pour nous décrire leur travail sur cette exposition. Pour Clémence La Saga et Achille Racine, "l'ambition pour nous était d'imaginer une scénographie qui s'adresse aux initiés, mais qui réussisse aussi à toucher les néophytes : un pèlerinage parmi les reliques pour les uns, un rite initiatique pour les autres. C'est pourquoi nous avons conçu l'exposition comme un espace monumental et théâtral aux allures de temple du metal, qui mêle deux esthétiques fortes de l'univers metal : la scène, le festival d'une part, et l'inspiration religieuse d'autre part.

Le visiteur entre dans le clair-obscur des coulisses d'une grande scène où trônent des reliques des pères fondateurs du métal, puis pénètre dans l'espace principal que nous avons structuré comme une nef d'église, dont les grands ponts scéniques rappellent les piliers. Dans cet espace cathédrale et mystérieux intitulé l'Imaginarium, l'Alien de Giger croise les masques de scène de Behemoth, les arbalètes de Rammstein côtoient les œuvres de Damien Deroubaix ou Philippe Druillet, tous disposés sur de grands socles comme dans un museum d'histoire naturelle. A l'extrémité occidentale, le grand retable des vinyles permet de relier l'univers du metal à l'art classique, alors que l'extrémité orientale mène au cœur de l'exposition : les 7 chapelles du metal, organisées selon un plan rayonnant. Chaque chapelle est dédiée à un genre du metal et réunit de précieuses reliques ainsi que des extraits sonores et vidéo alternant avec les vitraux monumentaux dessinés par Fortifem. L'ensemble propose une immersion audiovisuelle spectaculaire.

A une extrémité de la nef, une period room recrée la collection intime et idéale d'un metalhead, quand à l'autre extrémité le Pit, video immersive diffusée dans une grande salle circulaire place le visiteur au centre du rituel des festivals et rappelle que le metal se vit de l'intérieur, en concert."

Pari réussi tant les graphismes et la scénographie ont un tel souci du détail que nous pourrions passer des heures à regarder le moindre centimètre de chaque vitrail présent dans chacune des sept chapelles. Mais cela, nous ne le saurons qu'après être entrés dans le musée...

Diabolus in Musica Sans vous dévoiler l'ensemble de l'exposition, le cheminement se fait d'abord chronologique avec les précurseurs du genre que cela soit Led Zeppelin ou Black Sabbath. Avant de tomber nez à nez avec la "Monkey" Gibson SG de Tony Iommi de Black Sabbath (guitare fondatrice du genre avec la composition du morceau 666 par excellence : "Black Sabbath" sur l'album Black Sabbath par Black Sabbath), La sculpture "L'Éternelle idole" d'Auguste Rodin trône en face de l'entrée. Le groupe voulait utiliser cette sculpture pour la pochette de son album The eternal idol mais les ayants droits ont refusé. La pochette sera finalement réalisée avec des figurants enduits de peinture plus ou moins toxique.

Nous rentrons ensuite dans un espace face à un Alien et nous retrouverons plus tard l'iconique pied de micro de Jonathan Davis (Korn) réalisé également par HR Giger, pièce iconique pour tout teenager ayant grandi dans les 90"s et biberonné au "neo metal". L'expo a d'ailleurs, avec beaucoup de véracité, reproduit la chambre d'un metalhead et cela nous rappelle forcément des souvenirs de posters accrochés au mur dans notre propre chambre.

Les fans de Metallica et Infectious Grooves trouveront également leur bonheur avec la basse Fender précision de Robert Trujillo décorée par sa femme Chloé, artiste multi facettes, car elle est également chanteuse sous son nom et dans Blvd of Eyes. Elle était d'ailleurs présente au vernissage de l'exposition puisqu'un de ses tableaux est également une pièce maitresse de l'exposition.

Nous rentrons dans les sept chapelles et nous sommes à la fois happés par la scénographie et le souci de la précision du design. Rendons ici hommage aux deux paires Clémence La Sagna et Achille Racine pour la scénographie et Fortifem pour l'esthétique des vitraux. Il y a forcément un rappel de la chapelle du Hellfest avec tous ces vitraux, mais il est assez difficile de penser à ce genre musical en occultant totalement le plus grand festival. Nous vous laisserons découvrir la chapelle qui correspond le plus à vos goûts musicaux. Nous avons eu un coup de cœur pour les chapelles "Nu" et "Hardcore" même si le reste est esthétiquement et homogènement réussi. Le vitrail consacré à Lemmy avec sa basse, hors chapelle, est également une belle pièce dans cette exposition.

Trois zones sont également à visiter : l'une consacrée à la scène française avec des noms qui parleront à tous comme Opium du Peuple, Mass Hysteria, Lofofora ou Loudblast ; la seconde zone est "cultures locales, metal mondial" qui démontre que le metal n'est pas qu'une musique "de blancs" et pour finir et se dégourdir les jambes, la zone immersive "le pit" qui fait revivre des concerts du Hellfest 2023 en mode 360 degrés avec un espace circulaire dédié qui permet aux visiteurs de recréer un circle pit.

En rédigeant cet article, je me rends compte qu'une seule visite ne suffit pas à voir tout ce qui nous a été présenté. Il faudrait passer trois heures pour regarder tout dans le détail. En une heure et demie, il a néanmoins été possible de parcourir l'ensemble des pièces.

Nous avons jusqu'au 29 septembre 2024 pour y retourner...