Il y a parfois une espèce d'arrogance chez certains groupes anglais, qui pensent que le monde entier ne s'abreuve que du rock rosbif, tout ça parce qu'il y a plus de 50 ans, 4 types de Liverpool, coiffés comme Mireille Mathieu, arrivaient à remplir les stades du monde entier. Ce genre de formations qui jouent les rocks stars à peine sorti leur premier album, à celui qui aura le plus gros melon plutôt que le meilleur son. Alors, je schématise un peu, mais bon. A contrario, c'est avec beaucoup d'humilité que Black Peaks, quatuor de Brighton, remercie dans le livret de son deuxième LP, pêle-mêle Deftones, A Perfect Circle, System Of A Down, Mastodon et autres pointures de la musique électrique qui fait du bien. Des remerciements pour les avoir accueillis sur leurs tournées respectives et "pour leur avoir montré la voie". Et pourtant, au regard de la qualité sonore de All that divides, les Black Peaks méritent largement l'adoubement (ou chevaliérisation...) par leurs pairs, et pourraient prétendre eux aussi faire partie du haut du panier.
Deux ans après le déjà très bon Statues, All that divides rempile donc dans le bon goût avec 11 tracks de rock progressif dans la mouvance des groupes cités plus haut. Chaque titre est construit avec inventivité, alternant coups de butoir bien lourds et passages plus mélodiques et léger (un grand courant sinusoïdal, entre montées et descentes). Il y a du taf sur cet album et ça se ressent, car Black Peaks n'a pas voulu s'épancher dans la facilité et pondre un album formaté. Quand celui-ci commence par un "Can't sleep" ultra puissant emmené par un gros riff bien épais et un chant alternant voix claire, gutturale, hurlée, on pense être partis pour se faire décoller la pulpe sur une heure. Mais la suivante, "Midnight sun", change de tempo en milieu de piste pour un finish plus étiré. On peut aussi tomber sur "Aether", plus aérien, et tout aussi inventif. Et même quand débute "Across the great divide", et qu'on se dit qu'ils n'ont pas résisté à nous servir la ballade modèle US, avec arpèges de guitare et chant moelleux, ben tu te prends un joli kick dans le joufflu avec une deuxième partie improbable au bout de 2 minutes. Cette bande son instrumentalement complexe et aboutie, est magnifiée par l'interprétation du chanteur Will Gardner, qui a le talent de savoir alterner chant mélodique, voix puissante et growl bien gras, avec une aisance qui laisse transpirer une réelle sincérité. Une sincérité d'autant plus appréciable que les thèmes abordés traitent de montée des extrêmes, mouvements populistes, inhumanité envers les migrants, ou autres ressentiments personnels liés à notre époque, ...d'où sûrement le titre : All that divides. Mais ce qui peut nous rassembler, c'est la musique, et Black Peaks vient de sortir un album fédérateur, prompt à remplir les salles de concerts, ...et espérons les stades.
Publié dans le Mag #35