C'est après le concert que je retrouve Étienne pour l'interview, Vincent continue de discuter avec une partie du public, rester pour prendre des photos, signer l'album ou dessiner sur des bides, il nous rejoint en cours d'entretien...
AqME 2017
Un album éponyme, le groupe en photo, c'est le genre de trucs que font les nouveaux groupes, c'est une nouvelle naissance d'AqME ?
Étienne : C'est pas toujours les jeunes groupes. J'avais plus l'impression qu'on faisait une pochette "classic rock".
Genre années 70' alors...
E : Ouais, les pochettes des années 70'. C'était pas volontaire au départ mais on a eu l'occasion de travailler avec un super photographe qui s'appelle Yann Orhan. Quand il travaille avec un groupe, il a tendance à mettre une photo du groupe en pochette, on lui a confié la photographie du groupe pour la promo et en même temps le graphisme de l'album. Quand on a fait la séance photo, il nous a dit qu'il en verrait bien quelques unes en pochette de disque dont celle-là. C'est pas un montage, c'est une vraie photo et on a adoré. On a trouvé ça super car ça faisait un moment qu'on avait envie de faire un album éponyme, avec une photo de nous quatre, ça paraissait logique.
Parmi les derniers albums, c'est celui qui ressemble le plus à la définition qu'on pourrait faire d'AqME alors qu'il y a eu beaucoup d'évolutions dans le groupe, c'est un peu paradoxal...
E : Je suis d'accord avec ça, on avait envie de mélanger toutes les qualités du AqME passé et du AqME d'aujourd'hui et ne prendre que le meilleur de ce qu'on est capable de faire en respectant vraiment la personnalité du groupe. J'ai l'impression qu'on a réussi parce que ce genre de commentaires revient assez souvent. C'est plutôt chouette parce qu'on a changé de chanteur il y a quelques années... Les gens ont l'impression de retrouver un groupe qui a changé mais qui reste toujours le même, c'est hyper gratifiant. Je constate qu'il y a beaucoup de gens qui aiment vraiment ce disque, c'est la plus belle des récompenses.
Tu apportes la "garantie AqME d'origine" par le son et la batterie mais aussi par les guitares ?
E : Complètement. Je joue presque aussi longtemps de la guitare que de la batterie mais je me considère batteur et pas forcément guitariste. J'ai toujours beaucoup écrit à la guitare et sur les derniers albums, j'ai écrit un grand nombre de morceaux.
Surtout depuis que Ben est parti...
E : Déjà avant. J'ai toujours orienté le groupe dans certains choix artistiques, garder telles idées, en rejeter d'autres... J'ai toujours fait un peu de direction artistique et je pense être capable de respecter la personnalité du groupe et donc j'apporte beaucoup d'idées à la guitare. Ça nous a pris du temps de faire ce disque mais au final, on en est très content.
AqME 2017
Au niveau des textes, je le trouve plus personnel, plus intime, c'était voulu au moment de l'écriture ?
E : C'était voulu car quand Vincent a commencé à écrire les textes, je lui ai dit sur certains, pas sur tous car certains étaient immédiatement supers : "je ne sais pas de quoi tu parles, ça ne me touche pas, comment ça pourrait toucher les gens quand moi qui te connais, je ne suis pas touché". Il a compris que dans AqME, on exprime ce qu'on a en nous. Vincent est assez pudique, parfois il a du mal à se livrer, sur cet album, il s'est bien plus livré que sur le précédent même s'il y avait des textes introspectifs sur certains morceaux de Dévisager Dieu. Là, il est allé plus loin au fond de ses émotions, il est allé chercher des trucs chouettes et des trucs vrais qu'il a vécu, des choses vraies et profondes, des sentiments qui nous ont touchés. Et c'est l'essence même d'AqME.
T'es encore en contact avec Ben et Thomas, ils t'ont donné leur avis sur l'album ?
E : Non, je ne leur ai pas demandé, on n'a pas parlé de ça. Sur le précédent, Ben trouvait que c'était vraiment un album d'AqME et je sais que Thomas a un grand respect pour Vincent, peut-être même de l'admiration, je ne peux pas parler pour lui mais je pense qu'il est heureux de voir un mec comme ça reprendre le flambeau avec autant de talent, de fougue et d'envie. Il reste lui-même et fait fructifier tout l'héritage des débuts d'AqME en apportant une autre énergie, une autre vibration et en allant de l'avant, en continuant de faire avancer le groupe. Je pense que nos anciens camarades y trouvent du positif...
Je trouve que Dévisager Dieu était un album de transition, comme si Vincent devait imiter ou se forcer. Au final, ça ressemble plus à AqME quand il est naturel...
E : Tous les albums qu'on a fait étaient naturels au moment où on les a fait. On accepte d'être dans des phases différentes de notre vie et au lieu de le faire à la Slayer "on fera toujours la même musique", on est à la recherche de quelque chose, on vit comme ça, on ressent des émotions différentes, on fait des albums différents. Il y a des choses étonnantes qui peuvent arriver dans la vie et que ce soit en terme de line-up ou de musique, on a des périodes différentes. Dévisager Dieu nous a libérés, avec un titre comme "Avant le jour", on a retrouvé un côté mélodique qui était évident, on a eu un déclic avec ce titre, on s'est aperçu qu'on pouvait faire un refrain mélodique avec Vincent et sa patte, typiquement, "Avant le jour" aurait pu figurer sur le nouvel album. Entre Épithète, dominion, épitaphe et AqME, il fallait une transition, une liaison, c'est Dévisager Dieu. Mais les deux derniers albums sont assez liés, pour différentes raisons j'y vois des points communs.
Les guests sont rares dans l'histoire d'AqME, pourquoi Reuno, pourquoi maintenant ?
E : Quand on a écrit ce titre-là, Vincent entendait la voix de Reuno ! Quand il a commencé à chanter le couplet, il a dit "mais putain, j'entends la voix de Reuno et j'ai envie qu'il chante dessus". C'était aussi simple que ça, on lui a demandé de chanter un couplet à la place de Vincent, de chanter le refrain avec Vincent et pour le pont, on lui a demandé d'écrire une partie en spoken word dont il a le secret, c'est sa partie "touche personnelle". Le morceau est extraordinaire et comme c'est un morceau qu'on a bossé comme un morceau d'AqME, à part le pont, ça fonctionne super bien sur scène. Quand Reuno est là, c'est mieux car c'est top d'avoir un pote sur scène qui chante super bien et qui met le feu pour un moment magique mais quand on est que nous 4, on arrive à être efficace. C'est important parce qu'on savait que ce serait un morceau marquant de l'album, rien que le refrain "Rien ne nous arrêtera", tout est dit, les gens chantent, les gens bougent, c'est un titre qui les touche.
AqME 2017
"Tant d'années" aussi est accrocheur et percutant, c'est pour ça qu'il a été choisi comme premier clip ?
E : Ouais, on a pas mal de morceaux accrocheurs sur cet album et par ailleurs pas mal de morceaux plus intimes, qui proposent un autre voyage, je dirais pas qui expérimentent mais qui proposent d'autres ambiances. Avec "Tant d'années" comme "Rien ne nous arrêtera", on savait qu'on avait des titres accrocheurs. Avec la maison de disques, At(h)ome, on a discuté pour savoir quel titre on sort en premier, quel titre on sort en deuxième... On avait un peu l'embarras du choix, "Refuser le silence" est aussi un bon morceau de live qui se retient facilement, il y en a 4-5 qui fonctionnent bien en concert.
Le clip a été réalisé par Mathieu Ezan, il vous montre sans vous montrer...
E : On voulait un clip en noir et blanc, un clip type VHS à la MTV avec des images un peu sales avec un grain et il nous a proposés de faire des plans un peu mystérieux, un peu dark et ça correspond à l'imagerie d'AqME telle qu'on l'a toujours pensée. Mathieu Ezan est ultra fan d'AqME depuis le début, c'est un de nos plus fervents supporters, ça fait des années qu'on voulait travailler avec lui, on a donc fait les deux clips avec lui et on est en train de terminer le troisième...
Ce sera ?
E : Ce sera "Se souvenir". C'est un bonheur de bosser avec lui. Il nous connaît par cœur, il adore ce qu'on fait et il n'a que des idées qui nous vont ! Quand il envoie sa première version du clip, c'est super, on pourrait le garder comme ça, on dit deux-trois trucs histoire de pinailler...
Le fait que tu produises beaucoup de son, est-ce que ça te rend plus exigeant avec celui de ton groupe ?
E : C'est surtout le fait de gagner en confiance dans ma capacité à faire de la prod, jusque-là, je ne me sentais pas forcément capable. Tout doucement, je gravis des échelons, je progresse, là, j'ai fait la prod et le mixage, ça fait de nombreuses années que je bosse pour ça mais ça se fait naturellement. Je ne pense pas être particulièrement exigeant. Justement, je pense placer le curseur là où il faut, je connais hyper bien le groupe, on n'a pas besoin d'être ultra parfait pour que ce soit cool donc non, je ne suis pas hyper exigeant, je ne pourrais pas être aussi exigeant que Daniel Bergstrand par exemple !
Oui, mais le fait d'être chez vous avec le temps qu'il faut
E : Non, pas du tout, j'ai envie de spontanéité... Pour le chant, on a fait en moyenne trois prises et on a gardé soit la deuxième soit la troisième. On cherchait plus l'instant magique, le truc chouette plutôt que le truc ultra parfait. Notre album est bien joué mais c'est pas du tout clinique, c'est pas trop léché, c'est un bon mélange entre du métal et du rock, ça reste hyper vivant, organique. On a de bons retours sur la prod' et c'est cool. C'est le bon mélange, certains ont dit qu'on avait renoué avec l'indie-rock avec cet album, c'est un peu vrai mais on reste métal.
Pour le mastering, vous êtes obligés de passer par la Suède...
E : Ça fait quelques années qu'on bosse avec Magnus, on s'entend super bien avec lui, je bosse hyper bien avec lui quand je lui envoie un album que j'ai mixé, je sais qu'il va me faire un super mastering, il comprend toujours ce que j'ai envie de faire, j'ai presque plus besoin de lui parler. On est copain, il y a une grande confiance, au même titre qu'il y avait une grande confiance avec Daniel, maintenant c'est Magnus parce que notre son a évolué avec les années, on a une grande complicité, c'est une équipe qui fonctionne.
Tous les soirs, vous jouez les mêmes titres sur cette tournée...
E : Ouais. On avait fait une longue liste, c'est pas évident de faire un set quand t'as 8 albums, y'a des titres qui passent à la trappe. On a essayé de trouver le set qui ressemblait le plus à notre album avec des montées et des descentes, faire un vrai voyage. On n'a pas fait 70 dates avec ce set donc on n'est pas lassé du tout, il y a des petites variantes selon les soirs, selon le timing qu'on a mais globalement, on l'aime bien comme ça.
Vincent : En plus on a de bons retours, les gens disent qu'il est cohérent.
E : Et on a l'équilibre entre les vieux et les nouveaux morceaux, les deux s'accordent hyper bien, ça crée un voyage, on avait envie d'un concert qui se passe comme ça.
AqME 2017
Vous commencez par "Ensemble" mais c'est en bande-son, pourquoi pas le faire en vrai ?
E : Pour nous, c'est juste une intro
Ce serait jouable guitare/voix...
E : Ce serait plus une intro ! Je te répondrai par une autre question, est-ce que tu demanderais à MetallicA pourquoi ils ne jouent pas l'intro de "Blackened" ? J'aime bien quand le groupe monte sur scène et après, bam, ça démarre vraiment. Quand on a terminé ce titre-là, on savait que ce serait notre titre d'intro de concert, on voulait le passer comme ça. C'est pas exclu qu'on le joue un jour mais dans le spectacle tel qu'il est, ça nous paraît logique de commencer par ça et ensuite d'attaquer avec "Tant d'années".
Quel impact a la vie de famille sur le groupe ?
V : Sur les quatre dernières années, ça a fait des coupures, c'est propre à chacun, avec Charlotte, on a eu une petite coupure même si on l'a remplacé avec Julien, ensuite, on s'adapte, parfois Étienne ou Charlotte prennent le train, nous on fait le camion, on s'arrange pour avoir le moins de contraintes possibles. On s'arrange entre nous, c'est normal. Moi je vais faire une coupure ces prochains mois, jusqu'à avril, parce que je veux vraiment vivre les premiers mois avec ma femme. Mais après, elle a été claire, il faut que je continue sinon, je vais devenir fou. Il n'est pas question d'arrêter de faire ce qu'on aime.
E : On ne change pas, on va pas arrêter la musique parce qu'on est parents et on n'arrête pas d'être parents parce qu'on fait de la musique. Il y a tellement de métiers bien plus compliqués où les gens voient pas leurs gamins grandir, les marins pécheurs, les routiers... Moi y'a des semaines entières où je profite de mes enfants, on ne peut pas se plaindre.
Le W-Fenec fête ses 20 ans début 2018, AqME ce sera en 2019, l'anniversaire représente quelque chose ?
E : Vous êtes plus vieux que nous... Oui, 20 ans, c'est pas rien, on commence à y penser. On est fier, ça m'étonne d'avoir fait 20 ans avec un groupe, c'est rare, c'est un privilège, ça veut dire que la passion est forte. Même si une partie du groupe a changé et qu'il n'y a que Charlotte et moi qui sommes des membres d'origine... 20 ans de vie commune entre Charlotte et moi, qui l'eût cru ?
Qu'est-ce qui te manque le plus de cette époque ?
E : La jeunesse ! Mais tu gagnes d'autres truc en vieillissant. Je ne suis pas nostalgique du moment où j'étais gamin, je suis plus à l'aise dans mes baskets sur bien des points aujourd'hui qu'à l'époque. Je profite plus des concerts, des bonnes choses, des bons moments, c'est un truc que t'as pas quand t'as 20 ans. Je ne suis pas nostalgique, la mélancolie me nourrit quand j'écris de la musique mais la nostalgie me fait chier. Ça fait chier de regarder tout le temps derrière, le vieux qui meurt là et il n'y aura plus de rock'n'roll en France ? Non, ce qui est intéressant, c'est ce qui va se faire, pas ce qui a été fait. Ce qui a été fait, c'est terminé, on ne revient pas dessus, c'est ce qui reste à faire qui est intéressant, putain, si on passait notre temps à regarder des livres d'histoire, ce serait terrible, on arrêterait complètement d'avancer...
Merci, je te rappelle que je suis prof d'histoire (rires)
E : Attention, on peut se pencher sur l'histoire pour la comprendre et préparer l'avenir, c'est pour avancer, pas pour reculer !
Qu'est-ce qui tu regrettes le moins ?
E : Alors ça, j'en sais rien, une certaine forme d'immaturité, ça c'est clair... Ça, je ne le regrette pas du tout... Ça ne me manque pas. Avoir la tête sur les épaules, c'est agréable.
Quelle était ta situation vis-à vis d'internet en 1998 ?
E : Je devais pas être connecté, j'ai toujours un gros délai avant de me mettre aux choses, je suis assez réfractaire à toutes ces conneries-là...
Merci, je te rappelle qu'on est sur le web ! (rires)
E : Peu importe, je mets du temps à me mettre à tout ça, Internet, Facebook...
V : Même au smartphone...
Tu te souviens de la première fois que tu as croisé le W-Fenec ?
E : Pour moi, vous étiez le seul webzine français que je connaissais. Je sais qu'à chaque album, on a fait une interview... Je me souviens d'une interview dans les coulisses du Splendid à Lille...
C'était en 2003 et c'était déjà pour une soirée caritative, c'était pour "Le Père Noël est un rocker"
E : On a une histoire en commun. Tu nous as toujours suivi de manière bienveillante sans être inutilement gentil, en gardant ton esprit critique, c'est une liberté que tu as toujours.
Aqme 2017
Le net est devenu une drogue ?
E : On est accro, même moi je suis complètement intoxiqué.
V : C'est hypnotisant. Avec le nombre d'heures qu'on passe sur la route, le nombre d'heures qu'on passe à attendre, on se parle beaucoup, on échange, y'a toujours un moment où tu veux t'isoler et tu te retrouves sur le net.
E : Internet nous a sauvés, quand Charlotte est partie à Marseille, ça nous a permis d'avoir un vrai contact instantané via What's App en étant hyper proche alors qu'on ne l'était pas géographiquement. Malgré l'éloignement, on a gardé des liens hypers forts, ça a sauvé le groupe parce qu'on ne se serait pas remis d'un départ ou d'une absence de Charlotte. Quand elle est partie s'installer à Marseille, on savait que c'était dangereux pour nous et les smartphones nous ont sauvés la vie.
Et pour les liens avec les fans ?
E : On entretient un lien privilégié avec les gens qui nous suivent.
V : C'est gratifiant et plus t'avances, plus t'as de monde qui te suit, plus les retours sont gros. Quand tu postes des trucs, t'as du retour, des échanges, c'est pour ça qu'on poste sur Facebook ou sur Insta, pas juste pour poster.
E : C'est fun, tu peux aussi être créatif, nous on est de l'ancienne école, on doit apprendre, mais pour les jeunes groupes, avec une story, tu peux déconner, montrer d'autres aspects des gens, de leur musique, avec un bon angle, ça peut être très chouette. Ça peut aussi être hyper casse-couilles quand les gens veulent te vendre des conneries, taggent des marques... Ça peut devenir pervers, ceux qui font ça, c'est pénible, ça casse les couilles.
Ça peut aussi être dangereux pour les jeunes groupes qui pensent avoir fait quelque chose alors qu'ils n'ont qu'une page et des followers...
V : Ouais, y'a des groupes comme ça et des organisateurs de concerts, le mec qui te dit que ça va être génial parce que y'a 500 participants sur l'event. Ca marche pas, c'est nul en terme de jauge. La vraie promo, ça marche 1000 fois mieux que Facebook.
Merci Camille et le label At(h)ome, merci aux AqME et à Guillaume.
Coucou Kellyann & Davy
Photos : Oli
Publié dans le Mag #31