AmenRa - Mass V Douleur pénétrante, abrasion émotionnelle, déchirement intime : les émotions brutales qui surgissent à l'écoute des premiers secondes de "Dearborn and buried", une fois passée une intro ambient sentencieuse toute en progressions insidieusement menaçantes, étouffent l'auditeur en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. La production, très sèche, le son, à la limite du sous-mixage, semblent volontairement enlever de l'intensité à un album qui en aurait sinon presque trop. Parce que c'est de cela dont il s'agit : la magnitude sensorielle d'un groupe à la violence profondément bouleversante. Une virulence acerbe qui arrache les larmes du corps de l'auditeur avant de l'abandonner à son sort, pris à son propre piège, l'âme définitivement ensanglantée, les chairs en lambeaux, l'esprit ravagé par ses démons intérieurs.

Le calme avant la tempête : "Boden", son introduction languissante et apaisée, mais au loin déjà, l'inexorable tsunami post-hardcore-sludge downtempo qui ne va pas tarder à s'abattre sur la platine. Pour le moment, c'est le son de l'inéluctabilité qui l'enveloppe, avant que le magma sonore des belges ne l'ensevelisse sous des kilotonnes de riffs charbonneux, porté par une mécanique rythmique tribale et surtout une répétitivité littéralement obsédante. Parfois "trop" osera-t-on tant ce deuxième titre se révèle finalement moins puissant que son prédécesseur (sans doute le moins réussi des quatre), faut dire aussi que la barre était haute. Alors AmenRa laisse entrevoir les premières lumières d'une après-Apocalypse, parle "A mon âme", segmentant ainsi les différents moments clefs d'une majestueuse messe en noir & blanc, emmenant avec lui l'auditeur dans sa chapelle, au coeur de la fameuse "Church of Ra", berceau de l'oeuvre belge.

Mass V, cinquième acte long-format d'une discographie jusque là irréprochable, est un monstre de noirceur tapie dans l'ombre. Une créature se libérant de ses chaînes en invitant son altesse Scott Kelly, véritable pape du genre, échappé quelques heures de Neurosis ou de ses nombreuses activités musicales, pour introduire puis hanter tout du long "Nowena I 9.10", ultime chapitre de cet album en forme de quête spirituelle postcore. Un disque lent, à la lourdeur palpable et au final, admirablement produit par un autre patron de sa catégorie, en l'occurrence Billy Anderson (Neurosis, Om, Swans...), lequel a su capter l'essence même de ce qui faisait la force d'AmenRa. Ne pas en faire trop et laisser parler les tripes, ce qu'il y a sous la surface de plus pur et inaltérable.