Non, Goya n'a pas peint de Minotaure, en tout cas, pas celui de l'artwork de l'album A defiant cure d'Alta Rossa. L'auteur de ce fantastique travail est Simon Chognot, artiste particulièrement doué en peinture qui est aussi tatoueur, je ne suis pas expert en peinture à l'huile, mais si Google m'avait dit que ce tableau était de Goya, du Caravage ou de Rembrandt, je n'aurais pas été surpris ! Un clair-obscur où la noirceur met en valeur le corps abîmé d'un monstre qui allie puissance et fragilité et laisse entrevoir des corps meurtris, certainement des jeunes Athéniens sacrifiés... Une pochette exceptionnelle par elle-même, mais aussi parce qu'elle colle à l'ambiance d'Alta Rossa et aux idées présentées ici par le groupe, la confrontation de deux mondes qui pourtant cohabitent, avec potentiellement la victoire des pulsions sur la raison...
Avec un peu plus de post, de sludge ou de black selon les morceaux, A defiant cure propose un beau panorama de métal sombre qui joue sur la vitesse et la puissance pour nuancer les titres et créer un relief parfois vertigineux, comme si tu devais sprinter jusqu'au bord d'une falaise et réussir à t'arrêter pour contempler le vide sans y basculer. C'est quand les riffs pèsent et travaillent à l'usure que je rentre le plus dans leur univers ("The emperors", la première moitié de "From this day on" même si la seconde, destructrice, est très bonne aussi), Alta Rossa réussit alors à nous étouffer... Pour éviter qu'on ne trépasse par suffocation ou sous la pluie de coups et de lacérations ("Stratification"), les Bisontins nous laissent respirer sur plusieurs pistes instrumentales de haute volée ("Dedale", "Where we drown our nightmares", "And chaos fell silent...") qui, comme au cinéma, servent de transitions entre les scènes clefs (et de générique pour la dernière). Placé au centre et entre deux de ces interludes, "The art of tyrant #Slashtheminotaur" capte toute l'attention, tous les talents du groupe s'y expriment ainsi que celui de Laurie (Lauve), qui apporte la clarté de sa voix pour contrebalancer la froideur, telle Ariane pour Thésée, elle est un motif d'espoir et une motivation à poursuivre l'aventure.
Est-ce que je n'avais pas prêté assez d'attention à Void of an era ou est-ce que A defiant cure surpasse largement son prédécesseur ? Peut-être un peu des deux est une réponse aisée, mais aussi certainement juste car Alta Rossa a élargi son propos et s'est bien entouré pour livrer un album qu'on n'oubliera pas de si tôt.
Publié dans le Mag #64