The_Young_Gods_Nouveau_Casino_2013 Salut Franz, tu es de retour à Paris avec les Young Gods, pour cette deuxième date d'une tournée européenne relativement courte. Quel rapport as-tu avec cette ville ?
J'ai une drôle de relation avec Paris. Chaque fois que j'y viens, je suis ébloui. Au delà de l'aspect Ville Lumière, il se passe tellement de trucs ici que je suis fasciné. Je suis bien content de ne pas y habiter car faire de la musique à Paris doit être difficile. C'est une ville qui te puise beaucoup d'énergie, contrairement en Suisse où le rythme est beaucoup plus léger. J'ai l'impression que je finirais KO à chaque fin de journée ici. J'admire tous mes potes musiciens qui y habitent depuis toujours mais, ceci dit, j'adore y venir. Et puis, je suis également content de donner un show ce soir ici, au Nouveau Casino.

Justement, comment trouves-tu ce fameux public parisien ?
Il est plus critique du fait qu'il se passe beaucoup de choses ici. Il est comme le public anglais, en fait, il faut passer un certain seuil. Dès que t'es leur pote, c'est bon, c'est à vie ! J'ai des souvenirs de concerts à Paris qui sont dans mon top 10. Comme ce show inoubliable au Bataclan en 1992.

Hier, tu étais invité à participer à une table ronde au Centre Culturel Suisse, le sujet évoqué était "L'histoire musicale de la Suisse des années 80" suite à la sortie du livre de Lurker Grand intitulé "Heute und danach" aux éditions Patrick Frey. Ca ressemblait à quoi la scène musicale suisse dans les années 80 ?
Nous, on a participé à cette scène en tant que musicien. A partir du début des années 80, il y a eu tout un mouvement de revendications, des manifestations dans la rue pour la reconnaissance par les autorités d'une culture indépendante en Suisse. Ca a commencé à Zurich avec des émeutes, c'était assez sérieux, t'avais des voitures en feu, des démolitions, tout ça parce qu'il y avait des crédits de 60 millions accordés pour des opéras mais jamais rien pour la culture alternative. Moi, je ne viens pas de Zurich mais d'une ville centrale qui s'appelle Fribourg. Et là-bas, on n'était pas assez pour faire des émeutes mais on s'est inspiré de ça pour faire un club, le Fri-Son. Idem à Genève où j'ai bougé par la suite, on faisait des concerts sauvages avec les Young Gods, dans des squats, on jouait jusqu'à ce que la police arrive. On restait des acteurs musicaux, on n'était pas impliqué politiquement mais on répondait présent chaque fois qu'il y avait une action pour défendre cette culture, pour l'ouverture de clubs qui la fassent vivre et qui puissent s'autogérer.

Peux-tu me parler du Fri-Son ? Si je ne me trompe pas, c'était une salle dans laquelle tu étais technicien avant de rejoindre les Young Gods...
Oui, j'étais technicien de cette salle à l'époque. L'histoire du Fri-Son, c'est qu'on avait trouvé un endroit d'environ 200 m², bricolé une scène avec une structure en métal, foutu 3 spots et posé le matériel sono qui était celui du groupe dans lequel je jouais à l'époque. Voilà comment ça a commencé. On faisait venir des groupes avec le budget qu'on avait, des trucs un peu underground notamment les Swans, TC Matic qui était le premier groupe d'Arno, des groupes anglais comme Play Dead ou Sex Gang Children et puis évidemment des groupes locaux. On essayait à notre manière d'instaurer cette culture-là dans notre ville car avant fallait qu'on se déplace pour voir des groupes, on faisait pas mal de kilomètres. C'était du "Do It Yourself" et le Fri-Son a pris tellement d'ampleur que je suis parti au bout de 3 ans car je ne voulais plus être derrière la table de mix, si tu vois ce que je veux dire (sourire).

Quand on regarde votre parcours, c'est assez impressionnant, 28 ans que le groupe dure, une évolution surprenante et des plus respectables, c'est quoi le secret de cette longévité ?
Faut pas oublier qu'on a fait des longues pauses aussi ! Les pauses, ce n'est pas plus mal car ça sert à te ressourcer, remettre en question ton mode de fonctionnement, il y a des gens qui se fatiguent, des familles qui se créent. Forcément, ça fait partie de la longévité d'un groupe. Si tu fais du non-stop, ça risque de clasher vite à un moment donné. Les Young Gods ont eu deux grosses périodes. La première, qui va des débuts à 1996, c'est 11 ans complètement intense, on avait l'énergie, la jeunesse, les problèmes n'existaient pas ou peu. Mais à la fin de cette période, le batteur a craqué, il voulait voir son deuxième enfant grandir car il n'a pas pu pour le premier, il ne voulait plus passer sa vie dans les backstages. On a pris un certain moment pour trouver Bernard, son remplaçant. Tu sais, quand tu tournes avec un groupe, il faut développer un certain sens de l'amitié, arriver à arrondir les angles par rapport à ton égo car tu vis les uns sur les autres. Il faut s'accorder sur la vision du groupe. Si tu arrives à faire tout ça, ça aide aussi à arriver à une certaine longévité. C'est simple, plus t'as de gens dans un groupe, plus ça se complique, donc un trio comme nous, c'est plus facile à gérer. Si tu veux, on n'a jamais eu un tel succès qui fait que tout d'un coup le fric devienne un problème. Chez nous, c'était plus un problème parce qu'il n'y en avait pas assez que trop. Je pense que quand il y a trop de fric, les gens se prennent plus la tête parce qu'ils se croient plus importants, après t'en as davantage besoin parce que tu te mets un train de vie plus haut et tu dois faire des compromis pour te maintenir au même statut, garder ton truc. Nous, on n'a pas vécu ça, on est resté très indépendant, on a toujours eu cette liberté de signer avec qui on voulait, de choisir notre producteur, et ça, ça fait partie également de cette longévité.

The Young Gods Deluxe Votre actualité, c'est la réédition de votre premier album éponyme sorti en 1987. A l'époque les critiques avaient été dithyrambiques surtout dans les pays anglo-saxons, c'était un peu inespéré pour un groupe suisse ?
Ouais, et qui chante en français en plus ! A l'époque, il y avait une équipe de jeunes journalistes anglo-saxons pleine de fraicheur qui se focalisait sur ce qu'il se passait en dehors de l'Angleterre, surtout en Europe. C'était une première car ce pays a longtemps été isolationniste, les Anglais pensaient que tout était né chez eux et que les Etats-Unis leur avait piqué le reste. T'avais une scène intéressante en Europe, Front 242 en Belgique, Einstürzende Neubauten en Allemagne ou Laibach en ex-Yougoslavie, et puis nous en Suisse qui étions considérés comme le petit frère de ces groupes là. C'est vrai que nous avons fait le choix d'aller vivre en Angleterre dès la création du groupe pour une période indéterminée, on squattait chez les potes et ça nous a fait une certaine presse, une certaine crédibilité locale. Le premier single enregistré en Angleterre est sorti conjointement sur un label suisse et un label anglais, du coup c'est devenu le single de la semaine sur le magazine Melody Maker. C'est comme ça que ça a commencé et on a enchainé sur des dates en Hollande, en Allemagne, en France et en Suisse. Même les Suisses n'y croyaient pas ! C'était très dur de sortir de Suisse à l'époque. Grâce à ces clubs dont je te parlais, cette scène s'est énormément développée. Quand tu fais de la musique amplifiée à textes, chantée, très personnelle, c'est forcément plus difficile à diffuser car il y a cette barrière de la langue, contrairement à la musique électronique.

Les Young Gods ont rapidement eu un écho à l'international, vous avez été souvent cités comme une référence par d'immenses artistes, je pense à David Bowie, Mike Patton ou The Edge de U2 . Quel regard portez-vous là-dessus ?
C'est toujours cool de voir que tu peux influencer des gens. Mais, tu sais, la musique n'appartient à personne. Nous mêmes, on est allé jusqu'à sampler des gens qu'on aimait. Si toi tu peux donner de l'inspiration à d'autres, tant mieux. David Bowie, c'était le plus étonnant parce qu'à cette époque-là, il n'était pas dans un trip pareil. J'aime beaucoup ce qu'il faisait au début, des trucs comme Scary monsters aussi, on m'avait photocopié l'interview où on lui demandait s'il avait tout piqué à Nine Inch Nails et il répond "non, non, c'est un obscure groupe suisse" (rires). Je crois que Bowie avait une résidence secondaire en Suisse quelque part aux alentours de Montreux, quelqu'un a du lui parler de nous.

Vous avez une histoire commune avec les Swans, le nom de votre groupe déjà, et puis votre producteur, Roli Mosimann, qui était leur batteur. C'est arrivé comment cette collaboration avec ce dernier ?
Ca date de cette époque du Fri-Son, quand on les avait fait venir. Je dois dire que je n'avais jamais vu un batteur jouer de cette manière. C'était le groupe le plus lent du monde. Tout le monde voulait jouer super speed à cette période. Ce type avait une justesse dans ses frappes, ça m'avait fasciné et je ne savais pas qu'il était producteur. C'est le label sur lequel on était qu'il l'a invité à produire une compilation regroupant des formations new-yorkaises et suisses. J'avais 3 morceaux en démo et Bernard, notre batteur actuel, jouait pour l'un des groupes suisses sur cette compilation et je l'ai conduit pour aller au studio pour qu'il enregistre avec son groupe, et c'est à cette occasion que j'ai fait écouter mes morceaux à Roli. Ca l'a beaucoup intéressé et on est allé par la suite enregistrer en Angleterre avec lui, ça a continué jusqu'en 1996, et puis il est revenu en 2007 pour produire Super ready/Fragmenté.

Ca doit faire bizarre de rejouer et refaire de la scène avec Cesare, c'est comme une cure de jouvence ?
Il y a de ça oui, absolument ! Ca fait comme une espèce de saut quantique.

Du coup, où est passé Al Comet ?
A la mi-2011, il a reçu une bourse pour aller étudier le sitar en Inde pendant 6 mois. Et puis, il est revenu en Suisse un peu sur un tapis volant, il est toujours un peu là-bas, et veut faire un album de sitar avec Vincent Hänni (NDR : le guitariste qui collabore avec les Young Gods depuis Knock on wood). Il en a fait sa priorité. Mais là, on ne sait pas trop encore s'il reviendra jouer avec nous donc ça tombait super bien que Cesare soit là.

The_Young_Gods_Nouveau_Casino_2013_03 D'où est venu l'idée de rappeler Cesare ?
On est toujours resté en contact avec Cesare, il n'a pas fait de musique pendant 20 ans ! Il a commencé à faire un projet électronique qui s'appelle Sinusite, un duo, plutôt orienté dancefloor. L'idée de rejouer avec lui, en fait, c'est parti de ce fameux bouquin dont tu me parlais tout à l'heure. On nous a demandé de faire un concert pour l'occasion mais c'était pas possible car Alain rentrait d'Inde, il n'était donc pas disponible. On s'est dit alors qu'on allait rappeler Cesare pour lui demander de venir jouer les deux premiers albums avec nous. Faire ça en live avec Cesare, c'était quelque chose que l'on était censé faire qu'en 2012 en Suisse. Il y a eu une espèce d'inertie, une réaction lente, on aurait bien aimé jouer partout mais il n'était disponible qu'en 2012. Et puis il y a 6 mois, il nous a dit qu'il était Ok pour 2013 alors on a pensé à Paris, Londres, Berlin, le Portugal, toutes ces villes dans lesquelles on avait jouer avant de se produire en Suisse. Des villes qui nous ont toujours bien accueillies. C'était important pour nous de boucler la boucle, si je puis dire, car on ne sait pas trop quel sera le futur du groupe.

Il n'y avait pas moyen de récupérer Use, l'un des premiers batteurs (NDR : Frank, le batteur du premier album est décédé en 2005), ça aurait eu de la gueule ?
Use, je crois qu'il a arrêté de faire de la musique. Ca aurait été laborieux, je pense. Mais (il réfléchit) Young Gods All Stars, ouais... peut-être que ça se fera un jour !

Comment les progrès techniques ont-ils influencé votre façon de travailler ? Ont-ils débridé vos idées créatrices ?
Oui, bien sûr. On a toujours été dépendants et très influencés par la technologie. On est né grâce à la technologie du sampling. S'il n'y avait pas eu de sampling, il n'y aurait pas eu le son Young Gods. L'idée du collage de toutes sources, l'idée de surprendre aussi, la guitare que tu ne vois pas, l'orchestre classique non plus. Voilà, c'est ça notre entité ! Avant, on n'avait rien comparé à maintenant. La mémoire s'est développée au fil du temps donc on a eu plus de capacité sonore, plus de recherche. Les logiciels se sont développés, tu peux désormais rentrer dans la matière, dans la synthèse granulaire par exemple, etc. On est vraiment comme des freaks, on est passé au-delà du sampling pur.

Quelle est ta propre vision du futur de la création musicale ?
C'est lié aux avancées technologiques, je pense par exemple à des logiciels comme Ableton mais il y en a d'autres. Ce que moi j'aurais envie de faire en ce moment, c'est de mélanger des sources très très acoustiques avec des rythmiques électroniques mais un peu abstraites justement.

On cite souvent TV Sky comme le chef d'œuvre du groupe, ou tout du moins celui qui a le mieux marché. Quel place a t-il par rapport aux autres ?
Il y a un tournant. Les 3 premiers albums, c'est à dire jusqu'à TV Sky, on jouait justement avec cet élément de surprise. Chaque morceau avait son petit univers, que ce soit du rock, du cabaret, de l'indus ou du décalé. On s'est dit qu'avec TV Sky, on allait faire un album avec une unité de son, quelque chose de plus rock avec un hommage aux années 70 mais avec la technologie des années 90. Tu prends un morceau comme "Gazoline man" par exemple, c'est un peu comme si ZZ Top rencontrait Kraftwerk, une rigueur machine avec des sons blues shuffle. C'est pas un album-concept mais il y avait tout d'un coup des couleurs, et il était chanté entièrement en anglais, une première pour nous. La raison c'est qu'avant TV Sky, je ne maîtrisais pas bien l'anglais, je n'en voyais pas l'intérêt. Et puis à force de tourner dans les pays anglo-saxons, on s'est dit qu'on avait envie que les gens comprennent ce qu'il se passe. TV Sky, avec Only heaven, a été le meilleur succès commercial du groupe. Je considère d'ailleurs Only heaven comme une suite de TV Sky. Pour le label américain, qui nous avait signé après avoir entendu TV Sky, Only heaven était trop européen. Tu vois, avec les critères, on ne sait jamais.

Je vais tenter la question même si je risque de ne pas avoir de réponses : Quel est l'album dont tu te sens le plus proche ? Celui dont tu es le plus fier ?
Là, je ne peux pas te dire. Chacun a son histoire, son univers, sa différence.

The_Young_Gods_Nouveau_Casino_2013_02 La Suisse a une scène rock impressionnante de qualité, assez variée en plus, du gros métal à l'indie-rock en passant par la noise. Vous êtes nourris de rock au biberon ou quoi ?
Non mais si tu veux, le fait que ce soit géographiquement un pays fantôme entre la France, l'Allemagne, l'Italie avec 3 grosses régions linguistiques fait qu'il y a un mélange des cultures déjà à la base. Donc il y a une curiosité car c'est un petit pays et je pense que le niveau de vie étant ce qu'il était quand on a grandit fait qu'il y avait beaucoup de musiques importées des États-Unis et de l'Angleterre notamment. On avait accès plus facilement à des choses qui venaient du monde entier. Ca, c'est la première phase dans l'éducation musicale des Suisses. Ensuite, je pense que cette scène des années 80 qui s'est développée et qui a réussi à revendiquer des lieux et à faire grandir ça a beaucoup aidé en ce sens. C'était très important pour chaque ville d'avoir des lieux pour diffuser cette culture, cette scène, notamment grâce aux concerts.

Dans une interview que tu as donnée il y a plusieurs années, tu disais que le premier concert de Tool s'est produit lors d'une première partie des Young Gods. C'est vrai ça ?
Oui, c'était à Seattle au début des années 90 dans un tout petit bar. On les a vus arrivés avec leur matos, je te jure, la batterie double grosse-caisse et tout (rires). La scène était minuscule, on s'est dit "Bon, on va tout enlever parce qu'ils pourront pas jouer sinon". Je me souviens, on avait du déplacer toute la batterie d'Use à côté du lavabo dans les toilettes pour leur faire de la place. Du coup, on a gardé contact avec eux pendant des années jusqu'à ce qu'ils soient méga reconnus.

J'ai lu que tu composais pour le théâtre, la danse et le cinéma. Est ce que ce travail est très différent d'un groupe ?
Oui, c'est assez différent, mais j'ai surtout composé en solo pour la danse. Pour le théâtre, j'ai fait l'expérience une fois, idem pour le cinéma, j'ai fait très peu de chose. Pour la danse, tu fais des propositions à un chorégraphe, il y a un échange, un champ qui évolue à plusieurs. Je me sens plus proche de la danse car il y a cette histoire de mouvement. En tout cas, le chorégraphe avec qui j'ai travaillé, Gilles Jobin, est très ouvert à ce que la musique ne soit pas forcément une illustration de ce qu'il se passe sur un plateau alors qu'en cinéma souvent tu dois appuyer, tu dois dramatiser là où il faut que ça soit un peu plus dramatique, alléger là où ça doit l'être, etc. La deuxième lecture est beaucoup plus difficile au cinéma. J'aime bien l'abstraction de la danse contemporaine, ça me correspond beaucoup plus. C'est différent d'un travail en groupe car tu créer vraiment ton propre univers, tu prends seul des décisions.

Pour terminer, j'ai envie de te demander quelle va être la suite de cette tournée, est-ce que tu prépares quelque chose, des idées en tête, une exclu ?
J'ai 2-3 projets actuellement, notamment une musique de film dont le thème est le mur de métal entre le Mexique et les Etats-Unis, un sujet intéressant dont on ne parle pas énormément je trouve. Je vais également travailler avec le trompettiste Eric Truffaz, il a une commande pour faire des pièces pour un orchestre symphonique et trompette et il aimerait que je m'occupe de toute la partie électronique. Voilà, ça c'est pour 2014. Concernant les Young Gods, on va d'abord finir cette tournée-là et ensuite commencer à organiser une table ronde pour voir ce que l'avenir nous réserve.