Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle où nous les narguons
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble de tous ses gonds.
Extrait des Djinns - Victor Hugo
Ils sont là ! À nos portes ! Ils débarquent à nouveau en cette fin d'année 2022 ! Toujours plus nombreux, plus vindicatifs, plus bruyants ! Qui ça ? Mais l'armée de Senbeï, voyons ! Ce projet collaboratif initié en plein confinement, où les réseaux sociaux étaient effectivement les seuls liens entre les personnes. Une première armée d'environ 500 contributeurs au service de Senbeï pour une première salve sortie en novembre 2020 (Tōitsu cf. Mag #46). Deux ans plus tard, l'armée n'a pas pris sa retraite. Et courant 2021, quand Senbeï procède au rappel des troupes, c'est plus de 1000 personnes qui se retrouvent sur la page Facebook pour apporter leur pierre à l'édifice, leur coup de Katana à la victoire finale. Un financement participatif passe par là, et la seconde invasion arrive pour décembre 2022. Tōitsu II, (Tōitsu = unification), tous ensemble pour te taillader les oreilles de bon son.
Pour cette deuxième attaque, on retrouve les mêmes ingrédients : Senbeï aka Hugo Sanchez, beatmaker prolifique au style caractéristique mêlant gros beats, orchestrations lyriques, et larges inspirations asiatiques, avec un goût prononcé par la culture japonaise. La pure patte Senbeï. Que ce soient des chants classiques ou des instruments traditionnels, tous les sons ont un petit goût de l'empire du soleil levant. Pour trouver des morceaux d'occident, il faudra attendre les featurings de Miscellaneous pour une couche de rap anglophone, Swift Guad pour la couche francophone ; sont aussi invités le turntablist DJ Nixon ainsi que deux autres tripoteurs de sons : Degiheugi et Proleter. Pour compléter la liste des participants, il faudrait que je cite l'ensemble des contributeurs plus ou moins anonymes qui ont participé à ce deuxième LP, mais vu qu'ils sont plus de 1000, ça va être un peu lourd niveau name dropping. Disons qu'on peut en entendre un petit paquet se présenter sur le dernier morceau, "Issho" ; et quelques happy few ont le privilège d'être représentés sur la pochette, dessinée par le mangaka Godtail.
Au final, un album toujours aussi réussi et aussi foisonnant qu'un bassin rempli de carpes koï dans un jardin japonais. Une prouesse pour Senbeï qui prend plaisir à co-construire son art, avec pour ce deuxième opus, une certaine homogénéité plus présente que dans le premier. À croire qu'en bon chef de guerre, malgré une armée toujours plus dodue, il a su les faire marcher, pas au pas, mais en rythme, ensemble ("Issho"), et c'est ce qui les rend irréductibles.
Publié dans le Mag #54