Saffronkeira - Tourette On avait découvert le petit prodige de l'expérimentation électronique italienne Eugenio Caria à l'été 2012 par le biais d'un double-album, A new life, compilant l'intégralité de ses travaux depuis la naissance du projet pour lequel il prend le pseudo de Saffronkeira. Le revoici moins d'une année plus tard avec un album "simple" toujours paru chez l'incontournable label "qui sort 3 disques par mois minimum et n'a peur de rien" : Denovali Records (Bersarin Quartett, Sankt Otten, Talvihorros...). Et rien qu'avec son titre, Tourette, on se dit bien que la plongée dans l'univers du sarde sera fascinante.

Et elle l'est, dès l'énigmatique "First steps", truffé de petites fantaisies sonores et porteur d'un minimalisme intrigant. L'auteur semble prendre l'auditeur comme patient afin de l'étudier et le diagnostiquer sous toutes les coutures. Expérimenter sur lui une vision quasi inédite de son travail. "1859-1904", évoque clairement cette fois le trouble neurologique dont il est question dans le titre d'album (et qui lui sert de fil conducteur) en renvoyant à la biographie du professeur qui a donné son nom à la maladie. L'architecture sonore se complexifie alors, Eugenio Caria multipliant les fausses-pistes, entremêlant ses collages bruitistes pour enfanter d'une véritable mosaïque ambient/électronique organique ("Motion") aux multiples niveaux de lecture.

Le résultat est assez insaisissable, parfois minimal à l'extrême ("Fragile", "Insensible crash"), régulièrement tortueux ("The disease") et nécessite un véritable effort d'immersion en son sein, un investissement personnel conséquent de la part de l'auditeur, lequel doit appréhender les bricolages parfois quasiment imperceptibles d'un Saffronkeira qui va ici au bout de ses idées. Le jusque-boutisme emmené jusque dans ses retranchements, ce qui rend parfois l'album un peu abscons, agaçant même, mais aussi magistral d'inventivité (l'excellent "The hope"), preuve de l'étonnant talent de son auteur pour faire jaillir des pépites de l'inattendu. Pour créer quelque chose avec une thématique aussi forte que complexe, surtout vu son registre musical, tout en parvenant à rester cohérent malgré une prise de risques importantes. Limite trop... mais en même temps libératrice d'un point de vue de l'art avec un grand A.