C'est sous l'impulsion de l'avant-garde rock de Sonic Youth fin 80's qu'est née la jeunesse sonique d'aujourd'hui, sorte de potion punk, alternative, sombre et expérimentale. Opak fait partie de cette nouvelle musique du XXIème siècle, aux côtés de -pour ne citer que les plus connus- Mogwaï, Godspeed You! Black Emperor ou Yume Bitsu. Jeunesse à la fois romantique et torturée, en aspiration de nouvelles sensations hybrides, lesquelles reflètent ainsi un monde où les genres se meurent en s'accouplant. A l'heure d'internet, de la médiatisation, de la mondialisation, chacun peut désormais brasser des cultures bien différentes, et ainsi découvrir et adapter, fort de cette expérience tout à fait révolutionnaire, de nouvelles idées.
Le duo Suisse Opak nous sort Prolog un 1er album officiel à 100% instrumental (l'oeuvre précédente intitulée XpOpak était auto-produite et avait été conçue pour une galerie d'art en Suisse) dans un artwork très fin sur un digipak carton glacé.... Le tout chez Electro Dark/Urgence Disks Records.
Leur deuxième opus Two sleepwalkers on a tight-rope sort durant l'été 2005...
Opak
Biographie > opak de deux
Opak / Chronique LP > Two sleepwalkers on a tight-rope
Opak revient avec un très joli packaging, sobre et intriguant. Après la formidable découverte il y a tout juste deux ans de leur Prolog, c'est non sans plaisir que l'on va s'adonner à nouveau à la difficile tâche de faire part de la magie singulière qui se dégage d'Opak.
Tout d'abord, "Dewa Che" prolonge l'album précédent en amorçant cependant un côté hip-hop ou trip-hop dans les rythmiques electroniques US et les scratches. Des guitares discrètes viennent se superposer au reste. La tension est bien là ; le ton est donné. C'est toujours aussi triste, tendu et sombre.
Opak a décidé de faire son "Epilog" dès le deuxième titre avec une basse jazzy 80's digne des films noirs de l'époque, accompagnée par une rythmique chaloupée. Le morceau prend de l'ampleur, monte en intensité avec brio et avec -comme d'habitude- cette maîtrise et cette retenue qu'on connaît. On le sait, J. Grandjean et A. Sponar ne peuvent se cantonner à un genre ; "Hypoxic" prend donc la relève avec une guitare acoustique, sur une ambiance éthérée plus space rock, et même ici vraiment proche d'un trip hop instrumental à la Massive Attack. Beauté onirique décolorée, rêverie nostalgique, relayée par le saxophone et le clavier B4 d'"Amplitude", space-rock-hop jazzy. Les collages radiophoniques saturés de "Radiomagnet", piste d'abord noise industrielle (j'ai failli penser à Haus Arafna au début !) puis electronica-jungle, témoignent de la richesse de recherches et d'influences musicales d'Opak.
On ne sait sur quelle oreille écouter ; quand "Omen" reprend une direction plus rock, non loin de Tortoise, "Le paysage était d'une beauté scandaleuse", consiste quant à lui, en des collages sonores minimalistes et cauchemardesques (j'ai adoré le sample de "l'Eté Indien" de Joe Dassin), mais Opak réussit bien le pari de garder cette cohérence, cette homogénéité qui lui est propre, malgré des ambiances de genres bien distinctes.
L'apothéose/apodose "Landing" est délibérément sonique, post-rock bruitiste, lancinante, huit minutes de défouloir à la Psychic Paramount qui réunit en un seul instant tous les genres des morceaux précédents. L'écoute de l'album -au casque de préférence- est une véritable expérience musicale ; on pense à de nombreuses références (Re, Exhaust.), mais se dégage une ambiance "bande originale de film" bien particulière et qui sort de l'ordinaire.
Two sleepwalkers on a tight-rope est probablement -même si très sembable- encore meilleur que l'excellent Prolog, et je ne suis absolument pas surpris : les deux petits suisses funambules affirment désormais une retenue, une maîtrise et un équilibre indiciblement riches, encore supérieurs dans les expérimentations artistiques.
Un must-have, donc.
Opak / Chronique LP > Prolog
Les premières minutes indus/ambient laissent progressivement place à une rythmique éclopée, soutenue par des sons electronica, puis des guitares tendues, éprouvées, tristes. Un panorama d'une grande souffrance appuyée par quelque break mélodique. Rien de lourd, les 14 minutes du premier morceau "Epilepscope" ne pèsent aucunement. Difficile de décrire correctement ce festival et technique et allégorique, tant Opak parvient à réunir -avec génie- ici des genres musicaux divers : jazz à la John Zorn, trip-hop, classique ?, post-rock à la Physics, industriel... Vient le second morceau, "Pentide", qui débute par une jolie intro piano aérienne, avec bruits de machines en arrière plan, puis torturé d'une rythmique électronique lente et syncopée. Une guitare aérienne et noisy fait à nouveau monter le morceau progressivement, avec une excellente retenue frustrante au final de ces 9 minutes d'émotion certaine et mémorable. Le titre suivant, malgré une bonne rythmique électronique lente et cassée, et de légères et célestes nappes de violons samplés, donne en fait une mauvaise impression de world music au tout début, mais en "Contrejours" se cache une ampleur tout à fait solennelle, nostalgique et sublime. Ceci collerait parfaitement à la BO d'un -bon- film à vrai dire. Une autre vague de lumière, aveuglante cette fois-ci dans "Luminescence", apporte une certaine chaleur à la fois reposante et etouffante. Tel A Silver Mt Zion, un excellent piano vynilastique pour la protase, mais la suite (rythmique et mélodie) vient gâcher un peu le plaisir -même si c'est joli- car l'ambiance me fait alors trop penser à un thème qui serait très bien passé dans la BO du Grand Bleu. Cependant, malgré ce petit accrochage, le morceau se reprend à la moitié, dans un style Tortoise, celui-ci prenant alors un goût plus post-sonique. On oublie en fait très vite cet élan de générosité avec le morceau "Essence" qui consiste en une Electronica/Downtempo noisy, sorte d'expérimentation rythmique et sonore. C'est probablement ce que je préfère, puisque c'est dans ces moments que l'album prend le plus de caractère et de relief. En effet, ces expérimentations doucement bruitistes sont la finalité -dans un pessimisme donc certain- des moments world précédemment évoqués. De doux arpèges de guitare, des larsens en trâme, une mélodie belle et entêtante appuyée d'une rythmique electronica saturée et quasi drum'n'bass, viennent guider l'audito-voyageur sur les sentiers de sa "Promenade". Et une fois de plus, un nihilisme musical vient se dessiner dans une fin tout à fait brute et inattendue. "Xylophobia", l'apodose de l'album, qui ne dure pas moins de 17 minutes, pourrait être le morceau single de l'album. Il est probablement le plus sensationnel, le plus émouvant dans ses envolées, mais du coup le plus indicible. Pensez ici aux productions des Canadiens de Constellation Records comme Elders of Zion (pour ne citer qu'eux)... Il est l'apothéose d'un album homègene, cohérent et tellement différent ! Et c'est sans compter enfin un bonus track que je rapprocherais facilement de l'electronica genre Black Lung puisque dans un style electronica-drum'n'noisy experimentale.
Opak n'est pas seulement un groupe doué et fort influencé, il est aussi une mûre entreprise artistique, laquelle me semble être une vraie réflexion sur la musique en elle-même, sur ses aboutissements possibles -et impossibles... Et nous ne sommes encore qu'au Prolog...