Quartier du Chemin Vert, Boulogne/Mer, on est jeudi, il est 18h, des gamins jouent sur le parvis de la place d'Argentine dont la toute récente salle de spectacle reçoit ce soir No One Is Innocent, c'est d'ailleurs Kemar qui est au guichet à l'entrée, non pas pour vendre les derniers billets mais pour choper un peu d'internet, le wifi déconne, il faut se cabler... "T'as le temps ?" Bien sûr que j'ai le temps... Après le cyberjob pour le merchandising, on descend dans les loges pour s'installer et discuter pendant que les autres vont voir la mer, histoire de garder une autre image de Boulogne que celle des murs en béton...
No One Is Innocent a toujours utilisé des photos pour ses artworks. Pour la première fois, c'est un dessin, pourquoi ce choix ?
Parce qu'on en a un peu marre de faire des photos ! On a rencontré cet illustrateur qui s'appelle Carlos Olmo et qui est un mec brillant, il a beaucoup de talent et comme l'album s'appelait Frankenstein et qu'il a un univers très "monstre" dans son book, ça nous a vachement plus.
Vous avez choisi un de ses dessins ou il a dessiné un truc ?
Non, on s'est inspiré d'un truc qu'il avait fait mais qu'il a retravaillé.
L'évocation de Frankenstein, pour toi c'est quoi ? C'est le personnage en lui-même, c'est le livre ou c'est le film avec Boris Karloff ?
Non, c'est pas forcément le bouquin de Mary Shelley. C'est qu'on s'est rendu compte qu'il y avait cinq titres qui faisaient référence à la création du monstre, on évoque Donald Trump, on évoque encore le monde de la finance qui tapine avec l'Église, on évoque l'ingérence occidentale au Moyen-Orient qui nous a renvoyé un boomerang avec Daesh, AQMI et toute la bande, on évoque les revenants qui reviennent de Syrie... Au bout d'un moment, tu vois quand même pas mal de références à la création du monstre et on a trouvé qu'en plus d'appeler ce morceau "Frankenstein", ça donnait une vraie identité, un thème d'album.
Et pourtant au départ, le monstre de Frankenstein n'est pas forcément méchant.
Non, on évoque le créateur, c'est un mix, si tu veux il y a l'idée du créateur et en même temps l'idée du monstre. Si tu évoques Donald Trump, tu peux évoquer le créateur, si tu évoques les revenants, c'est la créature.
Justement, il y a un amalgame dans la pensée générale disant que Frankenstein c'est le monstre, alors que c'est l'inventeur.
Exactement ! On pense beaucoup au monstre, on pense moins à Victor Frankenstein qui est le docteur.
C'est pratique du coup.
Oui c'est pratique, mais c'est surtout que le mot fait référence à quelque chose qui se coordonnait avec les idées du texte.
Si tu étais une créature de Frankenstein, tu serais un assemblage de quoi ?
Physiquement ? Je serais, j'ai envie de te dire, le corps et l'esprit de Mohamed Ali... pour être cohérent avec un album (rire). Je pense à ça car j'ai pas envie d'être Bachar Al Assad, la tête de Bachar Al Assad avec le corps de Kadhafi ou alors l'inverse... C'est intéressant ta question, ça me fait penser un peu à la maxi tête !
La pensée de Massoud, un peu de Neruda et on retrouve pas mal de No One Is Innocent...
Mais après, c'est soit tu vas dans le trash, soit tu vas dans l'idéal, t'as plus envie d'invoquer tes héros. Nous on a la sensation de mettre le doigt sur les monstres, de les cibler, pas de les rendre brillants, à part effectivement quand on met le doigt sur Mohamed Ali à qui on avait envie de rendre hommage.
On est dans la ville et même le quartier de Frank Ribery qui était surnommé Frankenstein au collège, le Frankenstein c'est une "mauvaise image" alors qu'il subit son destin, c'est pas forcément abordé dans l'album.
C'est comme quand on nous demande avant d'attaquer un album, "Ouais No One, vous allez faire un album, il va falloir parler de ça, de ça, de ça..." Attendez les mecs, on n'est pas le supermarché de l'engagement !
C'est un peu votre marque de fabrique quand même, on s'attend à ce que vous parliez de Trump...
Ouais, "on s'attend à", d'accord, mais ce que les gens ne comprennent pas, c'est que c'est aussi à la musique qui nous "drive" d'évoquer un thème. Pour donner un exemple, quand on fait "Ali (King of the ring)" sur Mohamed Ali, quand on travaille l'instrumental, c'est rempli de droites de gauches, d'uppercuts, d'esquives, t'as l'impression d'être sur le ring ! Et à un moment donné, moi ça me saute à la gueule. Effectivement deux ans avant, la disparition de Mohamed Ali nous avait quand même pas mal touchée, ne serait-ce que par rapport à ce que le mec a entrepris par rapport à sa notoriété : défendre les droits civiques, lutter contre le Vietnam... Pour nous, ce sont des modèles ces mecs-là, comme Massoud a pu, lui, résister aussi face aux Talibans, comme d'autres. Alors après évidemment, on peut évoquer les Ghandi, les Mandela tous ces gens-là, le Che, des mecs qui ont marqué des générations. À un moment donné dans No One, il faut qu'il y ait un vrai lien entre la zik et le texte, quand on attaque "Les revenants" et qu'il y a 2 minutes 30 de mouvements lents, dans la zik, t'as l'impression d'une menace, t'as l'impression de quelque chose de mystérieux, de très étrange et tout d'un coup, ça pète - Boom ! - on a envie de parler de ce thème, le thème s'impose, tu vas pas avoir le texte des revenants sur "Desperado", sur "Nous sommes la nuit" ou "Teenage demo". Non, la musique influence le texte. Alors évidemment, des fois dans le tiroir on a quelques thèmes qu'on a envie d'aborder, moi c'est vrai que j'avais envie de parler de Trump, j'avais envie de parler, de reparler encore de la puissance de la finance mais les copains m'ont dit "Ouais, si tu reparles de la finance, on l'a déjà fait, parles-en autrement", j'ai dit "OK, d'accord ! Je vais faire tapiner les mecs de la finance avec l'Eglise". Ce qui est plutôt réaliste...
Mohamed Ali, quand on réfléchit, on se dit voilà un gars qui tapait fort, qui avait un message, qui était engagé, du coup on peut faire facilement une comparaison avec No One...
Ouais, à notre petite échelle, dans l'esprit, nous on a cherché à utiliser la musique pour dire des trucs, pour défendre des idées, pour donner nos convictions sur les choses...
Du coup, pourquoi est-ce que tu n'as pas écrit avant sur Mohamed Ali ? C'est juste parce qu'il est décédé que t'as eu l'idée...
Non parce que ... La musique ! Je ne parle pas de Mohamed Ali sur "La peau" !
Mais tu pourrais dire "J'ai un texte sur Mohamed Ali, il faut trouver une musique qui punch"...
Ouais, mais tu sais, on ne contrôle pas. C'est comme sur "Massoud", tu sais que ça va péter, t'as envie de raconter un truc sur le mec, tu sais, c'est vraiment une histoire de sensations, comment tu vas poser ta voix, comment les mots vont se poser sur quelque chose... C'est un peu toujours comme ça que ça se passe.
C'est donc à chaque fois la musique qui arrive avant les textes ?
Il faut sentir l'énergie de la zik, la rythmique, l'harmonie, le phrasé qui va y avoir ...
Et tu composes ou tu laisses faire ?
Non, je suis avec eux, avec Shanka et Poppy, tous les trois, les deux ils s'apprécient vachement, ils aiment bosser ensemble, c'est deux personnalités complètement différentes. À la fois, t'as Shanka qui est un peu le genius, il a dix mille idées à la seconde, et puis de l'autre côté t'as Poppy qui est le stakhanoviste du riff, qui va prendre un riff et le décortiquer pendant des heures et des heures pour en extraire un truc qui va péter. Je trouve que l'assemblage des deux est génial.
Du coup, t'as un peu de pression pour écrire les textes ou ça prend le temps que ça prend ?
Grave ! C'est dur pour moi. Dès qu'on démarre un album, c'est l'horreur absolue.
T'as quand même des notes dans les tiroirs ? T'as toujours des phrases qui sonnent...
Des punchlines qui sortent, ouais. Effectivement mais depuis "Révolution.com", j'ai écrit 3-4 titres tout seul, après j'ai travaillé avec mon acolyte Emmanuel De Arriba, ça fait 15 ans qu'on écrit ensemble, à chaque album il y a 6-7 morceaux qu'on écrit ensemble, c'est un ping pong entre nous, on fonctionne comme un vieux couple qui n'est pas d'accord et se fout sur la gueule. On est supra exigeant avec nous-mêmes, supra exigeant, on peut se prendre la tête pendant une semaine sur 2 phrases.
Et en arrivant en studio ça ne bouge pas ou ...
En général quand on arrive en studio on veut être prêt. Moi je veux être prêt. Moi j'ai besoin de poser. On n'écrit pas en tournée, moi j'écris pas en tournée, je peux pas écrire en tournée, j'ai l'esprit et le corps complètement bouffé par ce qui se passe. Sur Propaganda il y a aussi l'intervention de Fred Duquesne, notre réalisateur hyper important, c'est le sixième homme pendant un mois et demi-deux mois quand on est en studio, je me rappelle que sur Propaganda sur le refrain de "Charlie", il m'avait dit "Tu peux faire mieux" et je lui ai dit "T'as peut-être raison" et puis je doute, je réfléchis, j'ai revu ma copie, j'ai replanché dessus, on a attaqué d'autres morceaux et on est revenu sur "Charlie" après, je suis revenu avec 2-3 punchs différents et c'était ça. Mais le changement, c'est le changement pour l'exigence, pour être plus fort, rebondir, pas simplement pour une histoire de rythmique ou de machin comme ça, non plutôt par rapport à ce que tu racontes.
Dans le clip de "Ali" on vous voit taper sur des bidons genre Tambours du Bronx, ils vont faire des shows avec Sepultura, au Motocultor. Ils vont jouer avec Reuno de Lofofora, avec Steph Buriez, c'est des potes du Bal des Enragés, ils ne t'ont pas appelé ?
C'est génial mais non, ils ne m'en ont pas parlé.
Le Bal reprend en 2019, apparemment t'es un peu plus impliqué que les années précédentes
Ouais, Nico nous a demandé avec Shanka et Poppy de participer au Bal. Ça nous branche grave, je l'ai fait deux fois et j'ai trouvé ça génial, je me suis éclaté, t'es reçu royalement, c'est une ambiance hyper familiale, tout le monde est à sa place, tu te sens bien, c'est un bonheur d'être dans le Bal.
Du coup, pour remercier Niko, tu l'as fait chanter sur "What the fuck" !
Non, ce n'est pas une histoire de "je te renvoie la balle", c'est juste que parce qu'avec les Tagada Jones, on a le même état d'esprit dans la façon de voir la musique, dans la façon de la jouer sur scène, dans nos idées, dans les choses qu'on défend, on ne fait pas tout à fait la même musique mais on a vachement de points communs.
Et c'est un des rares groupes avec lesquels vous avez partagé pas mal de dates et c'est d'ailleurs étrange, on avait l'impression que No One Is Innocent était un peu tout seul, alors qu'il y a plein de groupes qui jouent tout le temps ensemble.
Quand tu dis ça, c'est que les gens n'ont pas forcément de mémoire, nous à l'époque quand on a commencé avec No One, on prenait Mass Hysteria avec nous plein de fois, on s'est retrouvé sur plein de plateaux avec Lofofora, les Mass, Oneyed Jack mais c'est vrai qu'il n'y avait pas forcément un groupe avec qui on avait envie de faire plusieurs dates d'affilée. Là, c'est surtout le fait de rencontrer Nico, de discuter avec lui, c'est un mec que je respecte énormément. C'est un mec brillant Nico et qui mérite grave le respect et à qui le monde du rock, du métal, du heavy doit beaucoup, parce que c'est un fédérateur ce mec, c'est un superman ! Et il n'y a pas que moi qui ait eu ce feeling avec lui et c'est ça que je cherche, ça a matché avec le sondié, avec les lights avec tout le monde, Waner est venu faire un concert avec nous, Tranber était pas là, il a dit "OK, les gars, j'apprends les titres", on s'apprécie, tu sors un album, je dis ce que j'en pense, nous on sort un album, je t'envoie mes démos, dis-moi ce que tu en penses, il y a un vrai lien, c'est ça que j'appelle un vrai lien.
Le Bal reprend déjà "Paranoid".
D'ailleurs, leur version est nulle, vivement qu'on arrive (rires)
Cette cover n'est pas trop "évidente" quelque part ?
Pourquoi ?
Shanka (revenu d'un petit tour à la mer) : Honnêtement, je ne savais même pas qu'ils la reprenaient.
Pareil, je ne m'en rappelais plus. T'as envie de reprendre "Paranoid" d'une certaine façon, à la limite demande-moi pourquoi on reprend "Paranoid".
Mais, ça tout le monde le fait ! Alors j'essaie de trouver un biais... (rires), bref, c'est pas trop évident, trop cliché, trop naturel ?
Pour nous, ça semble naturel, oui !
Quand vous reprenez Depeche Mode, c'est moins évident...
S : Quand tu fais une reprise, t'envoies un message, qu'est-ce qui t'a influencé ? Qu'est-ce que t'aimes ? D'où tu viens? Toi tu connais "Paranoid", mais un gamin de 13 ans connaît pas forcément, il a plus grandi avec d'autres trucs.
Combien de fois on a découvert les morceaux via les covers ?
S : Elle est là la démarche, plus que de se dire qu'on veut un truc qui fait classe ou un truc qui fait vendre, un truc qui ne fâchera personne. La démarche, c'est juste "C'est quoi notre ADN ?" et le faire partager aux gens. Par le passé, on a repris Devo, y'a pas grand monde aujourd'hui qui connaît encore, mais la démarche est la même.
Et il y a aussi le fait que quand Shanka sort l'instru, putain, il colle vachement bien à la prod' de l'album que Fred est en train de nous faire, donc on se dit "OK, on n'est en train de faire n'importe quoi".
S : Faut rester sur l'envie en fait, sur les covers, faut pas surpenser le truc. C'est essentiellement une récréation, du plaisir à partager. Et malgré tout, faire éventuellement découvrir ça aux gens parce que Black Sabbath c'est énorme, je pense que pour nous c'est évident parce qu'on est des trentenaires et quarantenaires mais pas nécessairement pour des gens plus jeunes. C'est bien de rendre hommage aux plus vieux aussi.
Cool y'a des plus vieux que nous ! (rires)
Depuis deux mois, vous avez fait une vingtaine de dates. Ça va, pas trop fatigué ?
Si, des fois ça pique un peu. La dernière semaine a un peu piqué mais heureusement on a pu se reposer donc on a rechargé les batteries.
Est-ce que quelque chose change sur cette tournée par rapport aux nombreuses autres par le passé ?
Ce que j'ai dit aux potes dès qu'on a commencé à bosser et qu'on a trouvé la set list, c'est "Putain c'est génial, on a 17 titres et y'a pas un moment où mon esprit est ailleurs". Parce que ça peut arriver sur un ou deux titres parce que tu restes sur le moment d'avant qui a été super intense. Pas là, chaque morceau qui est attaqué, moi perso, je suis dedans à fond.
J'ai jeté un œil sur la setlist, on retrouve "La peau", c'est une obligation ou il y a toujours du plaisir ?
Grave ! Regarde le nombre de morceaux qu'on a fait ! À un moment, il faut choisir et on en a un paquet, ceux qu'on choisit c'est parce qu'on les kiffe grave. "La peau" en fait partie. D'autres morceaux ne sont pas dedans comme "La peur" ou "Revolution.com"...
Beaucoup de jeunes groupes ouvrent pour vous, il y en a qui t'ont marqué dernièrement ?
Il y a un groupe de quatre filles à Montauban, quatre nanas c'est leur premier concert, ça ne fait pas très longtemps qu'elles jouent ensemble et on a été un peu scotché. Hyper bien. Déjà un groupe de nanas qui jouent du rock, c'est cool, mais là elles nous ont un peu scotché parce que si c'est ça au premier concert, qu'est-ce que ça sera au vingtième ! Elle s'appellent Madam, elles sont entre Montauban et Toulouse (NDO : Tarbes en fait). Quoi d'autre... Ah oui, les Fabulous Sheep, eux ne sont pas trop dans notre univers, c'est plus pop Radiohead mais hyper bien.
S : Les Pogo Car Crash Control, ils commencent à prendre du galon, je les ai vus sur l'un des premiers concerts, je me suis dit "C'est quoi ce truc ? d'où ils sortent ? C'est génial !". Sur un festival, on jouait avec No One et ils jouaient aussi, j'ai dit à tout le monde "Faut que vous voyez ça, c'est des fous", c'est des potes.
Récemment ils ont ouvert pour nous à Mulhouse. J'en parlais avec Olivier (NDO : chanteur des P3C) dans les loges au Noumatrouff, il me disait "C'est cool, dès qu'on vous croise, on est en famille, on se sent bien" et c'est vrai je regardais autour de moi, il y avait un Shanka qui parlait beaucoup avec Olivier, moi je parlais à Louis l'autre gratteux, Tranber avec Lola la bassiste, tout le monde se parle, tout le monde a des trucs à se dire, le courant passe bien.
Vous allez faire aussi là beaucoup de festivals cet été, est-ce que vous pensez être un bon client pour les programmateurs ?
Ce qu'il y a c'est que nous on n'est pas planté derrière le pied de micro, nous ce qu'on aime en festival c'est l'imprévu, l'inattendu, les accidents, un envahissement de scène qu'on ne contrôle pas...
S : Il y a un côté happening...
Bon client ouais, enfin en tout cas nous on vient pour faire du spectacle, c'est ça qui nous intéresse. Même quand on joue en salle...
S: En festival, tu peux avoir ce côté hors de contrôle, voir jusqu'où ça peut aller...
Quand on fait Les Insus au Stade de France, on se dit "les gens vont être attentifs" et en fait on se rend compte que parce qu'on est plutôt sincère et parce que ce qu'on raconte n'est pas trop nunuche et puis que, putain, on a qu'une demi-heure mais on donne tout ce qu'on a. En face, à un moment donné, t'as 30 000 personnes qui lèvent les bras ! Plutôt cool quoi.
No One Is Innocent a cette image de groupe engagé, militant. Est-ce que c'est encore possible aujourd'hui sans avoir des pressions du label, des tourneurs, des salles ...
Tu racontes ce que tu veux ! Tu fais la pochette que tu veux, tu bosses avec qui tu veux, ça n'a jamais posé de problème. Même quand on était en major, de toute façon, ils ne comprenaient pas vraiment le truc.
S : Déjà, va imposer un truc à Kemar ! (rires) Allez, bonne chance ! Hey, le stagiaire va lui dire de pas dire ce qu'il dit. C'était un peu l'objet rock, laissons-les faire ce qu'ils font.
En terme d'écriture, ça va, ils savent à peu près aligner trois quatre phrases qui tiennent la route. À moins que tout d'un coup tu fasses un morceau "Hitler is innocent", qu'est-ce qu'ils font, ils ont pris des drogues ou quoi ? Le seul truc qui est là, c'est cette espèce de reconnaissance de la famille de la musique machin mais ça fait longtemps qu'on en a plus rien à foutre.
Dans le titre "Frankenstein", tu parles de façon ironique de "progrès démocratiques", on serait mieux en dictature si le dictateur était sympa ?
On nous parle de progrès constamment à la fois institutionnellement parlant, économiquement parlant, technologiquement parlant, finalement on se retrouve toujours à essayer de dézinguer le Moyen Orient pour piquer leurs ressources pour pouvoir survivre et en même temps tu vois ce que ça nous renvoie. Le problème, c'est qu'on est dépendant aujourd'hui de cette stratégie des gouvernements occidentaux et notre dépendance elle se caractérise par le fait que ça nous renvoie des mecs qui sortent un couteau à Quatre Septembre l'autre soir à Paris et puis d'un coup dézinguent des gens. Des exemples comme ça, il y en a 50 depuis cinq ans. Et après, on nous fait "nous sommes en guerre", t'es gentil, moi j'ai pas décidé la guerre, personne ne l'a décidé, moi les Irakiens, ils m'ont rien fait, Mohamed Ali disait "les Vietnamiens m'ont rien fait". Voilà c'est ça le vrai problème de société occidentale.
Comment résoudre le problème ?
J'en sais rien, c'est pas moi qui est au pouvoir.
Justement, est-ce que le vote est encore une solution ?
Bien sûr ! Il le faut. Ils me font rire les mecs genre "le vote sert à rien", OK alors c'est quoi ton autre modèle ? Moi j'en n'ai pas trouvé d'autre...
À la limite, on peut voter pour qui on veut, ils auront toujours la même politique et la même stratégie...
Peut-être pas... Il y a des mecs qui se positionnent différemment. Là en l'occurrence on n'a pas choisi le bon, Macron ça fait 250 fois qu'il sert les paluches à Trump ou à Poutine, alors évidemment il faut avoir de bonnes relations avec ces mecs-là mais moi je préférais Hollande. Je trouve que Hollande il avait une distance avec les Saoudiens, je trouve qu'il y avait une distance avec Poutine, moi j'aimais bien. Je le dis souvent aux potes, je regrette Hollande. Moi je l'affirme, on l'a traité de mou, de Flamby, de tout ce que tu veux, je trouve ça hyper injuste. Il nous a mis un peu dans la merde quand même parce qu'il est allé faire le chef de guerre, au Mali peut-être qu'il avait raison mais il est allé faire un peu trop le chef de guerre et on a eu un peu le boomerang avec Charlie Hebdo, le Bataclan. Mais socialement parlant, c'est un vrai mec de gauche, peut-être qu'il n'a pas réussi à résoudre le chômage comme il le voulait et qu'il n'a pas réussi d'autres choses mais Hollande ne serrait pas les paluches des Américains et des Saoudiens comme Macron le fait. S'il faut faire ça pour redresser la France, c'est déprimant.
Ta dernière colère ?
Samedi soir, on allait à l'anniv' d'un pote samedi et on est passé en taxi devant Quatre Septembre, devant ce qu'il s'est passé, et tu te dis "Merde, merde, merde", il y a encore un innocent qui s'est fait planté par un dingo qui a crié "Allah akbar", ça fait chier. Ça mine.
On termine là-dessus ou tu me donnes ta dernière joie ?
On est dans le terrain, ce soir on joue à Boulogne, on a quatre concerts dans la semaine, un concert de No One à chaque fois c'est une fête, quoi qu'il arrive, notre métier, c'est de faire de la musique. 80 % des gens qui viennent nous voir c'est parce que je pense qu'ils kiffent notre musique et si à un moment ils aiment ce qu'on raconte, tant mieux. On kiffe de jouer ensemble, on kiffe de rentrer dans les loges, d'avoir plein de choses à se raconter, malgré la fatigue des trajets, on ne dort pas beaucoup...
S : C'est toujours hyper positif de voir des salles pleines sans aucune couverture média quasiment. C'est rassurant parce que des fois on a l'impression avec les téléphones, t'es toujours sur des news, toujours sur les réseaux sociaux, tu te dis si tu n'y es pas, tu n'existes pas, en fait No One, c'est un peu la preuve, avec d'autres groupes, qu'il y a une vie au-delà du "online", du réseautage et des médias en général.
De temps en temps on met une photo sur notre facebook, sur Insta, voilà mais on n'est pas comme des furieux, pas accro mais on existe quand même.
Merci Kemar et Shanka, merci aussi à Arnault et Marie (Verycords)
Photos : Oli
Publié dans le Mag #33