nin_ghost.jpg "Steal this album", c'est en substance ce qu'a dit Trent Reznor au public australien venu assister à l'une des étapes de la tournée suivant la sortie de Year Zero. L'explication ? Furieux de constater les prix prohibitifs pratiqués par les équivalents de la FNAC au pays des wallabies, le frontman de Nine Inch Nails ne se serait pas gêné pour demander des explications sur ces politiques de prix, jugées aberrantes et disproportionnées. Des interrogations auxquels les professionnels et les gens de son label d'alors (Interscope) auraient répondu en confiant à demi-mots que de toutes les façons, quelque soit le prix, les acheteurs se procureraient l'album. Evidemment, de telles lignes de conduite expliquent en partie le gouffre abyssal dans lequel le marché du disque s'enfonce inexorablement depuis 5 ans (sic). Par conséquent, une fois son contrat liquidé avec Interscope, Reznor décide de reprendre sa liberté en ne sortant les prochains efforts de Nine Inch Nails que par ses propres moyens ou une petite structure qu'il créé début 2008 : The Null Corporation (la suite directe de feu Nothing Records). En théorie, la démarche est intéressante, encore fallait-elle qu'elle soit suivie d'effets. On y vient justement...

Dimanche 2 mars 2008, à l'image de ce qu'avait fait Radiohead avec son In rainbows quelques cinq mois auparavant, Trent Reznor lâche sa petite bombe médiatique en levant le voile sur un disque sorti de nulle part : Ghosts I-IV. Un véritable album, comme les précédents, mais enfanté dans le plus grand secret. Ou presque. En réalité, en guise d'album, il s'agit d'une collection de 4 EP's mis en boîte lors d'une intense session de composition et d'enregistrement d'une dizaine de semaines au cours desquelles l'homme-orchestre s'est entouré de son fidèle Alen Moulder, d'Atticus Ross (12 Rounds, Tapeworm) à la production et ainsi programmation, ainsi qu'Adrian Belew (King Crimson). En résulte quelques 36 morceaux, auxquels s'ajouteront quelques semaines plus tard, deux titres bonus, tous exclusivement instrumentaux et accompagnés d'une imposante galerie de photos. L'aspect visuel de ce Ghosts I-IV est ici prépondérant tant NIN a cherché à composer la bande-son d'une suite d'images ne formant plus qu'un tout uniforme et indivisible. Au final, ce sont 38 morceaux aux ambiances glaciales, cliniques, hantés par des mélodies incertaines exécutées par un piano à fleur de peau qui sortent de l'ombre sans prévenir... Les "Ghosts" du titre semblent en permanence planer sur l'album, textures sonores triturées à l'extrême, groove cybernétique, atmosphères crépusculaires, en 38 plages indus rock aux subtilités qui se dévoilent lentement et à l'onirisme latent mettant en scène une errance noctambule à travers des panoramas urbains, Reznor démontre qu'après son Year Zero, il a plus que jamais la feu sacré.

Des morceaux qui évoqueront par instants l'élégance industrielle de The fragile : mise à nu des émotions, caresse sensorielle, agression épidermique, un jeu de contrastes qui se plaît à évoquer les fêlures de l'âme et les paradoxes de l'esprit humain : NIN a beau avoir un peu changer sa manière de procéder, l'essence même de sa musique est toujours là. Des songes tourmentés, des tourments apaisés, Reznor joue sur cette dualité pour produire un rock industriel aux tentations électro bipolaires et aux nappes noise métalliques qui servent un propos tantôt contemplatif et mesuré, tantôt abrasif et orageux. Bande son idéale d'une séance de psychanalyse qui s'étirerait en longueur pour mieux explorer les tréfonds de son inconscient, Ghosts I-IV, une symphonie industrielle découpée en 4 mouvements, est orchestrée avec soin comme une seule et même ode analytique à la complexité euphorisante. Si la musique de Nine Inch Nails semble répondre à un ensemble de codes récurrents, Trent Reznor les fait sans cesse évoluer selon ses inspirations et aspirations du moment, les laissant parfois inter-agir entre eux pour mieux les refaçonner par la suite. Si le style NIN est ici (et comme toujours d'ailleurs) aisément reconnaissable, ce nouvel opus parvient à explorer la facette la plus sombre de son auteur, non sans une certaine retenue (la pudeur de l'artiste...). Et après un Year Zero au concept pensé dans les moindres détails, ce Ghosts I-IV laisse supposer que Nine Inch Nails et son maître d'oeuvre ont encore beaucoup d'émotions à transmettre. Et l'avenir proche montrera d'ailleurs que l'on n'était pas encore au bout de nos surprises. La grande classe donc...