Monolithe Noir-Rin Nous suivons attentivement les aventures d'Antoine Pasqualini depuis 2010 et sa pleine contribution dans Arch Woodmann, groupe sous-estimé, à notre humble avis, qui a mis fin à ses activités à l'été 2014. Entre-temps, le Breton a collaboré avec pas mal de musiciens/projets/groupes, (dont Botibol, Overhead, Fabiola, Insecte, Trésor, Les Juliens, Percussive Ensemble avec le batteur de BRNS) et a fondé vers 2013 son projet solo, Monolithe Noir. Certains l'auront deviné, ce patronyme découle directement du film culte de SF "2001, Odyssée de l'espace" de Kubrick, et plus particulièrement d'une scène dans laquelle un monolithe noir, plein de mystères et situé dans un cratère, est visité par une équipe d'astronautes sur fond de polyphonie vocale, qui se trouve être le requiem de Ligeti. À l'image de cette scène, la musique d'Antoine est faite d'étrangetés, baignant dans un univers pas forcément facile d'accès où l'expérimentation guide souvent ses choix.

Monolithe Noir est le fruit de la relation particulière qu'entretient Antoine avec son synthétiseur modulaire et ses machines. Une poignée de disques montre rapidement ses premiers travaux en 2013 (L'état de mon rêve) et 2014 (Holy the visions) : une musique électronique teintée de drone, d'ambient et d'electronica. Puis suivront rapidement d'autres réalisations, tout format confondu, qui ouvriront le projet à de nouvelles sonorités musicales (notamment la pop, le rock et la folk) : Holy divisions et Modern nothing en 2015, Le son grave en 2017, Slowly changing en 2019, Moira en 2020, Perdu en 2021, Feunten aod, musique inspirée par le film documentaire "Plogoff des pierres contre des fusils", et Rin en 2022. En somme, Monolithe Noir n'arrête pas de produire, une vraie boulimie qui débouche sur des chansons passionnantes et immersives pouvant aisément illustrer un paquet de films, quand on y pense sérieusement.

Rin est le dernier album en date de Monolithe Noir. Influencé directement ou indirectement par la Bretagne ("Rin" signifie "secret" en breton et quelques titres sont des idiomes bretons : "Finvus", "Askre", "Balafenn", "Brik"), le folklore d'Emmanuelle Parrenin (dont Maison rose), le jazz d'"In the end his voice will be the sound of paper" du Tronheim Jazz Orchestra et Kim Myr avec Jenny Hval, et de formations comme Beak ou Radiohead, il se distingue de ses prédécesseurs. Écrit à deux avec Yannick Dupont (Yokaï, Jahwar, Ottla), Rin a en effet la caractéristique de proposer des titres confectionnés (quasiment) en live avec des instruments à la fois acoustiques et électriques (on y trouve les résonnances d'un vieil harmonium ou de flûtes à bec), mais aussi taillé pour le live avec l'ajout à cette occasion de Christophe Claeys à la batterie. Monolithe Noir prend alors une tournure beaucoup plus vivante, plus souple, moins mécanique, même si la répétition prend un rôle majeur dans l'œuvre de ce projet en général. En somme, il s'agit d'une nouvelle entité, d'un groupe et non plus un homme derrière ses machines. La différence est énorme, et on se dit que ce n'est pas un hasard si les Belges arrivent sur nos pages avec ce disque qui est à cheval entre l'électronique et le rock. Rock dans le sens où le jeu rythmique tient plus de l'homme que de la programmation, rock dans le sens où les mélodies sont plus incandescentes qu'auparavant, rock dans le sens où les chants (celui d'Antoine sur "Finvus", "Brik" et "Landmaersk", ou de Jawhar sur "Barra bouge") nous ramènent à la réalité. Comme si Monolithe Noir émergeait des abysses froides et invisibles pour enfin se dévoiler au monde.

De fait, peut-être inconsciemment, les titres de Rin nous parlent directement, font mouche. Naviguant avec sureté entre diverses eaux (electronica, pop, (kraut)rock, prog, folk, ambiant), ce nouvel album détonne par ses sonorités souvent aux antipodes l'une de l'autre (l'hypnotique "Balafenn" vs l'agité "Vieillism" vs la flegmatique "Askre"). Surprenant, magique, harmonieux, beau, désinvolte et doté d'une force d'écriture rare, ce Rin marquera à coup sûr la discographie de Monolithe Noir. Pour longtemps, on l'espère.