Auteur de Rin, un magnifique album electro-acoustique sorti en fin d'été dernier, Antoine Pasqualini aka Monolithe Noir a eu la gentillesse de revenir sur plusieurs points concernant son projet, dont ses débuts, sa vision, et nous annonce même une bonne nouvelle à la fin.
Salut Antoine, je suis ravi d'échanger avec toi au sujet de Monolithe Noir. Ça fait un bail que je voulais te poser certaines questions sur ton projet, à commencer par le début. En 2015, après la fin de l'aventure Arch Woodmann, je t'avais croisé par hasard dans une obscure soirée de noise russe aux Instants Chavirés à Montreuil, et je dois t'avouer que ça m'a surpris de te trouver là. Non pas que je sous-estimais ta curiosité, loin de là, mais j'ai eu une intuition à ce moment précis : je me doutais que tu préparais un truc en solo dans un univers qui pouvait s'apparenter à de la musique électronique ou expérimentale. Comme si tu étais en "veille musicale", tu vois ? Ma question est simple : Avais-tu à ce moment-là déjà lancé Monolithe Noir ?
Salut Ted, ravi de pouvoir te reparler, si on peut voir les choses comme ça. Je me souviens de cette soirée, c'était en octobre 2013 ! Des amis y jouaient sous le nom de The Fat (composé de deux membres d'Infecticide et de mon ami Romain qui a mixé presque tous les disques d'Arch Woodmann ainsi que les premiers EP de Monolithe Noir). Je ne me souviens pas vraiment de la prestation Vetrophonia mais ça me rend curieux en y repensant. Il y a trois choses qui m'amènent à aller voir ce type de concerts comme j'ai pu le faire à Bruxelles : cette nécessité de veille musicale - c'est mon côté très pragmatique. Comprendre, voir, entendre comment d'autres font et quels enseignements je peux en tirer. Il y a ensuite ma capacité à me laisser embarquer sans trop savoir ce que je vais aller voir - le lieu joue beaucoup bien sûr. Je n'aurais pas payé mon ticket pour aller voir un truc que je ne connais pas dans une grosse salle non identifiée dans ce type de musique. Globalement, je ne vais pas voir les groupes dont j'aime les disques, à moins qu'ils aient la réputation de refondre leurs compositions ou de juste tout déchirer en live. Disons que je privilégierai toujours plus la surprise par rapport à quelque chose que je connais déjà bien. Mon rêve ultime aurait été de voir Fugazi en concert mais ça n'est jamais arrivé et ça n'arrivera jamais - et j'ai appris qu'ils ne faisaient jamais de setlist avant d'attaquer un concert. Peut-être que ça a conditionné ma manière d'aborder le live en tant qu'auditeur. Et puis la dernière chose, c'est mon intérêt et mon attirance sincères vers ce type de musique. J'apprécie le songwriting au sens large mais j'ai toujours été attiré par les expérimentations soniques. J'ai juste mis du temps à arriver à incorporer dans ma musique différentes manières de faire, à développer mon oreille pour trouver un équilibre entre expérimentation et songwriting. Quand on s'est croisé à cette soirée, je venais à peine de lancer Monolithe Noir, à la fin d'un concert d'Arch Woodmann à Bordeaux en septembre. J'avais vu Andy Stott en juillet de la même année aux Siestes Électroniques à Toulouse. Je n'étais donc même pas en veille mais plutôt en complète effervescence musicale à cette époque !
Quels étaient tes ambitions, tes envies, en montant ce projet solo ?
Mon ambition, c'était clairement de rencontrer la musique que j'avais envie de composer et jouer, sans me soucier d'un calendrier ou de l'avis des autres. Et puis, il y avait aussi une volonté de vraiment plonger les mains dans la matière électronique et l'expérimentation. J'ai commencé avec un Casiotone, puis on m'a prêté un filtre assez évolué qui me permettait de travailler les matières, puis j'ai acheté mon premier synthétiseur analogique, un Korg Delta, puis un MFOS Soundlab Mark II, jusqu'à finir avec un système modulaire quelques années plus tard.
N'as-tu pas l'impression avec Monolithe Noir de t'être trouvé ou retrouvé artistiquement ?
Je crois que c'est l'endroit où je me sens le mieux. Je peux me permettre de tirer les cordes comme ça me plaît, de faire des sorties de route si j'en ai envie. Monolithe Noir, c'est en quelque sorte ma maison, où j'invite qui je veux et que j'arrange comme ça me chante.
Comme te décrirais-tu avec Monolithe Noir ? Producteur ? Compositeur ? Musicien ? Technicien ? Ingé-son ?
Décideur ! Dans le sens où je me dois de faire des choix. Pour le reste, je sens toujours un peu l'imposture pointer si je me dis compositeur ou musicien... Je bricole, ça c'est sûr, j'arrange sûrement.
Qu'as-tu gagné ou perdu par rapport à avant avec ce projet-là ?
J'ai gagné en souplesse et en indépendance. J'ai perdu en colère. Je crois que c'est surtout que j'ai gagné en expérience. Et après, plus j'y réfléchis plus je me sens dans une forme de continuité vis à vis de mes projets précédents.
Au départ, j'ai l'impression qu'à travers tes EPs, tu bricoles, tu tâtonnes, tu expérimentes des choses en gros. Et plus le temps passe, plus j'ai comme le sentiment que Monolithe Noir s'échappe progressivement de son noyau dur expérimental. Comme si ce n'était plus vraiment le même projet. Ça vient de quoi tout ça ? Les rencontres que tu fais ? La peur de créer de nouveaux projets proposant un style un peu différent ? Ou tout simplement le reflet de tes envies du moment ?
J'ai décidé dès le début de ne pas cadenasser. Je n'ai pas décidé de faire de la musique expérimentale dans un premier temps, je laisse filer, je me laisse guider par mon instinct, c'est tout.
Je trouve que, bien que tu sois l'unique géniteur de ce projet, tu t'entoures ou collabores quand même avec pas mal de monde. Entre des remixes pour BRNS, Ropoporose, Glass Museum ou encore Yes BasketBall, une création avec Percussive Ensemble (le projet du batteur de BRNS), des invités sur tes albums comme Peter Broderick, Roza Plain, elsie dx, et plus récemment Jawhar et la violoniste Mirabelle Gilis... C'est vraiment une volonté personnelle ou simplement les rencontres qui font que ça se passe comme tel ?
J'ai initié chaque collaboration, à l'exception des remixes. J'ai contacté ces personnes parce que je trouve qu'elles sont talentueuses et que j'entendais leur apport dans les démos que j'écrivais et j'ai eu la chance d'être heureux à chaque fois ! La voix, c'est encore quelque chose que je peine à explorer tout en étant très satisfait, Peter Broderick, Roza Plain, elsie dx, et Jawhar explorent pleinement le chant, sont connectés à leur voix, leur personnalité artistique se révèlent à travers leur voix.
Ça te manque de jouer du rock ? Je sais qu'à un moment donné, tu tenais la batterie dans Fabiola... C'est quelque chose de récréatif pour toi de faire ça à côté de Monolithe Noir ?
Je ne crois pas avoir déjà arrêté de jouer du rock un jour - ou alors avoir déjà commencé. Rien n'est récréatif pour moi en musique. Si je participe à un projet, c'est par conviction.
Passons maintenant à Rin, ce disque se démarque clairement de ses prédécesseurs, ses compositions lorgnent plus vers le rock et moins vers l'électronique intégral. Est-ce que c'est parce qu'il a été travaillé à quatre mains avec Yannick ? T'a-t-il influencé sur cette voie ?
Bien sûr que la collaboration a été essentielle dans ce disque. En grande partie parce que pour une fois, je pouvais demander à quelqu'un de mettre en œuvre des idées musicales en temps réel - et Yannick a cette capacité de réaction et d'adaptation qui fait que l'enregistrement de ce disque a été super ludique et fluide !
Pourrais-tu revenir sur cette volonté de te faire accompagner pour Rin ? C'était vraiment pour marquer une évolution chez Monolithe Noir ? Ou tu considères ça comme une parenthèse ? Puisqu'on pourrait tout à fait imaginer que ton prochain album risque d'évoluer vers un style plus proche de Rin que de Le son grave par exemple.
Je ne cadenasse rien encore une fois ! Telles que sont les choses, j'ai envie de les creuser pour l'instant, de continuer à explorer ce sillon plus humain et moins solitaire même si j'écris les choses principalement seul dans mon coin.
Rin me fait penser fortement aux travaux de Jean-Sébastien Nouveau (Les Marquises), dans la manière de considérer la musique, pas forcément dans le style en lui-même, mais plutôt travailler des univers sombres, beaux, légers et subtils à la fois (Même Kid A de Radiohead m'a traversé l'esprit à un moment donné). Est-ce que tu le connais ? Et de manière plus générale, qui t'as inspiré pour écrire les plages de Rin ?
Je ne connais pas Jean-Sébastien et ne connaît que très peu son travail mais je sais qu'il se rencontre sur certains points. Radiohead reste pour moi une grande une influence, c'est clair, et j'ai beaucoup écouté leur dernier disque. Après, dans ces périodes d'écriture, j'essaie de ne pas me tenir trop près de ce que j'aime de peur d'en absorber la substance sans m'en rendre compte. J'ai essayé de me concentrer sur la lecture, et mes propres mouvements internes pour habiter ce disque.
Pour terminer, quels sont des projets à court, moyen et long terme ?
Nous enregistrons un disque, je suis en train de l'arranger justement. Je ne sais pas encore quelle forme il va prendre, mais on avance !
Merci à Antoine.
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Publié dans le Mag #55