Mauvais Sang, c'est un peu comme les matriochkas, ces poupées russes qui s'empilent les unes dans les autres, tu en ouvres une, et tu en trouves une autre. Là c'est pareil, un "Mauvais Sang" peut en cacher un autre. Car le Mauvais Sang chroniqué ici pour son premier LP, baptisé Des corps dans le décor, est la création d'un jeune quintet français. Mais "Mauvais Sang", c'est notamment le deuxième film de Leos Carax, sorti en 1986, dont s'inspire largement le groupe, dans lequel joue son acteur fétiche, Denis Lavant, qui vient d'ailleurs poser quelques phrases sur l'album. Et "Mauvais Sang", c'est aussi le second recueil d'Arthur Rimbaud. Arthur Rimbaud, auteur du court poème sur une vieille prostituée, Venus Anadyomène, qui est mis en musique dans Des corps dans le décor. Tout ça peut paraître un peu compliqué, mais c'est pour mieux présenter la cohérence et le fourmillement artistique du projet.
Alors, je n'ai pas vu le film "Mauvais Sang", même si je connais la très belle scène culte de la fuite de Denis Lavant sur "Modern love" de David Bowie (tout comme j'adore l'entracte dans son autre film, "Holy Motors", sorti en 2012, avec le cover de "Let my baby ride" de RL Burnside par Doctor L, mais je m'égare...). Mais il n'est pas nécessaire d'être fan de Leos Carax pour être touché par cet album, il n'est pas obligatoire d'avoir lu les œuvres complètes d'Arthur Rimbaud pour être sensible à la poésie, il n'est pas non plus recommandé d'aimer l'indus et le classique pour apprécier Des corps dans le décor. Enfin, sur ce dernier point, c'est préférable. Car cet album est complexe dans ses références comme dans sa musique. C'est comme si Matthieu Boogaerts rencontrait Nine Inch Nails ou Mogwaï pour réciter des poésies en spoken word. Une voix (parfois deux) légère et fragile, qui vient susurrer ses textes sur des constructions parfois agressives, stridentes, disruptives (le puissant et délicat "Décor", l'enivrant "Bushman hole", les métalliques "3H47" et "Vénus Anadyomène"), ou des chansons plus classiques "Le refuge de la Vormaine" ou "Ventriloque", voire des titres plus rock comme "Dieux". On s'accroche aux mots et au chant, on s'imprègne des thèmes, on est secoué par la musique, par les musiques. Bref, pour te donner un avant-goût de ce premier album réellement atypique et tout aussi réussi de Mauvais Sang, tu peux visionner le single "Décor" sur ton écran préféré. Sinon, tu peux suivre l'avis de Juliette Binoche dans Mauvais Sang, le film : "Tu mets un disque ? Vite, avant que la mélancolie ne s'empare de tout".
Publié dans le Mag #54