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Biographie > Les Tétines Noires

A l'heure où sort sur nos platines la deuxième mouture indus-rock des excentriques Limited Teenage Noise Orgasm, aka Ltno, cette anthologie des Tétines Noires tombe à pic pour replacer tout de go le groupe dans le contexte arty où ils sévissaient, il y a plus de 10 ans en performeurs de l'underground barrés et inaccessibles. Car si aujourd'hui, le djeunz branché - mais pas trop - vient bouger son popotin sur la version gonflée à bloc du "Boys Boys Boys" de l'inestimable Sabrina (ah, ces posters centraux, Sabrina d'un côté, Samantha Fox de l'autre!), il ne faut pas oublier qu'en autre temps, autre époque, les Tétines Noires tenaient bien plus du corbeau que de la colombe. On est encore à la fin des 80', et le Comte d'Eldorado n'a encore que 13 ans, qu'il fonde ses Tétines avec son ami Goliam. C'est le début d'une petite aventure qui les conduira à sortir par la suite 3 petits albums (Fauvisme et pense-bête en 90, Brouettes en 92 et 12 têtes mortes en 95) aux limites du conceptuels, 'inspirés par un esprit diabolique à cheval entre un certain sectarisme littéraire et un romantisme échevelé croisant le goth au fond d'une bat-cave, enter minimalisme électro et poussés de guitares acnéiques. Aujourd'hui, Anthology, comme son nom l'indique si bien, retrace l'intégralité de cette carrière dont on ne sait toujours pas si elle est vraiment terminée malgré le succès actuel des Ltno.

Interview : LTNO, Les Tétines Modernes (mai 2018)

Interview : LTNO, interview (juillet 2000)

LTNO / Chronique LP > Anthomologies

LTNO - Anthomologies Quand tu découvres la box Anthomologies, ton excitation est telle que tu ne sais pas par où commencer, se jeter sur la musique ? Si oui, lequel des 4 CDs ? Et par quelle piste ? Une connue ou une rareté ? Ou alors se plonger dans le livret et disséquer chaque page et son lot de messages ? Personnellement, j'ai balancé les 12 têtes mortes par pure nostalgie. J'ai donc attaqué en terrain conquis puisque c'est l'album que je connais le mieux, album que j'écoutais en K7 dans les années 90 et que je n'avais pas écouté depuis très longtemps... Faute de l'avoir trouvé en CD et pas fan au point de lâcher 30 euros pour récupérer Anthology sur Discogs, je suis désormais bien content de pouvoir écouter Les Tétines Noires en CD, rien que pour ça, cette Anthomologies m'était essentiel.

Ni recueil de morceaux choisis, ni porté sur l'étude des insectes, Anthomologies, c'est à peu de chose près (il ne doit pas rester lourd de diffusable/exploitable dans leurs tiroirs) l'intégrale des Tétines Noires. Aussi atypique à l'époque que culte aujourd'hui, le groupe fondé par deux collégiens inspirés, a marqué les années 90 et hante encore les mémoires 30 ans plus tard. Pour disséquer cette boîte noire, j'ai décidé de faire les choses dans l'ordre en essayant de ne pas tout dévoiler, tu n'auras ainsi aucune description du livret d'une trentaine de pages proposant pochettes, dessins et photos qui mériteraient pourtant une analyse en profondeur.

Rangés par ordre alphabétique, on remonte le temps jusque 1982 pour ouvrir le bal des "Botanus tracks" (encore une histoire de mixage de botanique et de bonus), on est en Normandie et deux gamins s'essayent à un rock sombre où les expérimentations enthousiasmantes du début des années 70 (Pink Floyd ?) percutent les sentiments dépressifs de la fin de la même décennie (Joy Division ?), le son est bon et le génie créatif de la famille Hubaut est déjà éclatant. 1986-1987, quelques années ont passé, deux titres témoignent de cette époque, c'est plus rock, le son est plus froid, la cold wave fait des ravages, il faut des mélodies et davantage de chant, on se rapproche de ce qui sera leur première démo. Ce sont les cinq pistes suivantes, le son est plus brut, l'esprit plus sauvage, les ados sont devenus (post)-punks et jouent avec les codes du rock n roll (solo, refrain) sans pour autant soigner les mélodies et sans hésiter à casser les structures classiques. A l'heure du minitel, le nom du groupe va commencer à circuler avec l'album mais également avec des performances live hors du commun (notamment aux Transmusicales en 1990), un premier aperçu nous est donné avec le live du titre "Le loup des steppes" capté en 89 à l'Abordage (salle d'Evreux dans laquelle le W-Fenec a quelques souvenirs...), l'ambiance prévaut sur le rythme, il s'agit de marquer l'auditoire durablement et ne pas se contenter de faire un concert. Dixième plage, 1990, c'est l'année du premier album : Fauvisme et pense-bête, Les Tétines Noires y chantent français, totalement libérés, mettent en valeur les "Freaks", assument leur folie et se permettent des titres presque sans musique, en quelques minutes, le trio (Marcus est arrivée à la basse) dépasse le cadre de groupe pour devenir un concept. On peut jauger de l'évolution de "Crazy horses" ou de "Streap teac", entre la démo de 88 et la version album, le combo cherchant à pousser encore plus loin le curseur pour donner à leur musique une forme de cage où il faudrait les enfermer.

Deuxième disque, 1991, Brouettes, c'est toujours gothique, c'est un peu plus flamboyant ou grandiloquent, le théâtre du grand guignol se joue sur plusieurs tableaux, les silences bousculent les larsens, les invités foutent le bordel, la cacophonie jouxte les parties éthérées, Les Tétines Noires partent dans tous les sens et ne sont vraiment pas faciles à suivre. Les 11 titres bonus enregistrés entre 1992 et 1994 qui suivent sont plus lisibles. Ils ressemblent plus à des chansons ou à du rock ("Lady memory") et certains sont mêmes particulièrement touchant et accessibles ("Shadow", "Lie down"). C'est aussi l'occasion de commencer à tâter de l'industriel avec notamment "Empire head buildind" et "Washing head" dont les démos annoncent le choc 12 têtes mortes. Une série de vingt-quatre pistes à base de "tête" dont une moitié qui sert de sauce pour lier le tout et l'autre qui sont autant de brûlots forgés dans un rock-métal machinal. Faut-il y voir les volontés de Jérôme (nouveau batteur), celles d'Entonie (nouveau bassiste), la patte d'Amadou (Treponem Pal vient de sortir Excess and overdrive) qui produit cet album ? Ou alors, une simple évolution et une attirance vers un mouvement qui prend de l'ampleur ? Rien qu'en 1992 sont sortis Psalm 69 : the way to suceed and the way to suck eggs de Ministry, Broken de NIN, Pure de Godlflesh, T.V. sky des Young Gods, Experience de Prodigy... les samplers se domptent plus facilement et ouvrent de nouvelles perspectives à la démence des Tétines. C'est l'album dans lequel je me retrouve le plus, entre décadence et fulgurance, le son permet à la fois les plus belles coquetteries et d'envoyer des riffs surpuissants, ça matraque, ça éclate, ça balance des psychotropes, sur une trame indus sans concession, le combo poursuit le dessin de son univers haut perché et le mariage fonctionne. Les 4 remixes proposés ensuite dénotent l'intérêt de la scène électronique pour le travail de bidouillage et l'idée que les titres peuvent être réinventés à l'infini. Ultime bonus de ce troisième disque, le morceau "Gymnopneudie" (dispo à la fin des années 90 sur la compilation Fractal Music) est aussi le dernier enregistré par Les Tétines Noires.

Le quatrième est dédié à un inédit qui ne ressemble à rien d'autre, enregistré en 2015 qui rend hommage à Jacques Luley et à 18 titres dans des versions live rares, captés à travers l'Europe (Paris, Prague, Berlin et même à Calais où je me demande si je n'étais pas dans le public...). Une sorte de best of sur scène entre 1987 et 1997 avec un très bon son (surtout pour l'époque) même si on entend rarement le public. Dans cette box de 90 plages, c'est donc toute l'histoire (ou presque) du monument qui nous est offerte, enfin l'histoire avant Ltno et ses autres suites car cette histoire ne sera jamais terminée...

Publié dans le Mag #45

LTNO / Chronique LP > Anthology

les tetines noires : antho N'ayons pas peur de choquer l'inconscient collectif, peu importe le venin que l'on pourra cracher ici, les Tétines Noires n'ont jamais vraiment eu de fans. Du moins pas au sens propre du mot, plutôt des fascinated-people parmi lesquels ces journalistes aujourd'hui défunts, studieusement appliqué en leur temps à jouer les avocats de la défonce pour faux groupes aux frontières du réel. Et si l'on a fait (à raison) les Tétines grands tenanciers incontestés d'une bat-cave gothico-romantique totalement inédite dans nos contrées, nous ne blesserons personne en relevant que la majeure partie des trois disques réédités ici dans leur intégralité se trouve être totalement inécoutable (voir inaudible, c'est dire) par le pékin moyen. Ce qui était de loin un des plus beaux compliments que l'on puisse faire à la bande du Comte de l'Eldorado, tout entier absorbés à leur monde mystique où personne d'autre qu'eux n'avaient de place, où une certaine poésie lunaire croisait le fer avec de douteuses ambiances à chaque coin de piste, où François Villon errait doucement entre réminiscences new-vawe et sinistres pendus grattant mécaniquement la corde mal huilée de leur potence.
On a pu les détester cordialement. Pour ça, ou pour ce que tout le monde appellera de la morgue. Mais une chose restera, et le respect avec : c'est que les Tétines Noires l'étaient. Noires. Désespérément, jusque dans l'immortalité.