The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble Il y a des gens pour qui un chef d'oeuvre ne peut décemment être livré dans un packaging ne lui rendant pas grâce. Les deux mélomanes et collectionneurs avertis présidant aux destinés du label Denovali en font assurément partie. Multipliant depuis six ans maintenant les sorties dans des styles musicaux relativement variés mais avec une exigence de qualité constante, tant du point de vue du contenu que du contenant, le label s'est forgé, en quelques années, une solide réputation de défricheur, de découvreur de talents multiples et originaires d'horizons géographiques divers. A chaque fois, le même soin apporté à chaque nouvelle sortie, peu importe qu'il s'agisse d'un nouvel album, d'une réédition, d'une version vinyle, voire collector... à l'image par exemple de ce que ces gens ont fait pour le premier The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble.
Sortie à l'origine, relativement confidentiellement en 2006, ce premier effort long-format et éponyme se voit réédité aujourd'hui dans deux très belles éditions CD cardboard arigato et vinyle 2x12'' chez la maison allemande. L'objet est magnifique certes, mais ce qu'il recèle ne le sera pas moins. Onze compositions oscillant entre darkjazz, electronica et musique électro-acoustique, jouant sur les effets de répétition avec "The nothing changes", la cinégénie sensuelle et enfiévrée de "Lobby" ou l'électro sauvage et turgescente de "Pear is for swine", TKDE semble être déjà maître de son art et cherche à en explorer les moindres recoins. Du swing minimaliste d'"Adaptation of the Koto Song" au jazz mouvant et organique de "Parallel corners", le collectif d'origine néerlandaise joue avec les codes des genres qu'il courtise, se les approprie et en repousse indéfiniment les limites. Notamment sur l'énigmatique "Rivers of Congo" aux tentations bruitistes assumées ou encore "Salomon's curse", lancinant et hypnotique.
Quoi qu'il fasse, The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble parvient à trouver le moyen de créer quelque chose de systématiquement différent, invariablement brillant, exploitant par là-même, les infinies potentialités de son concept et notamment de son line-up imposant (ils sont pour rappel depuis 2008 sept à composer le groupe). "Amygdhala" est ainsi un modèle d'ellipses narratives bercé par une electronica aussi étrange que tortueuse, labyrinthique et ténébreuse, "Guernican perspectives" jongle avec les esquisses mélodiques pour nous envelopper de quelques figures de style jazz, chaloupées et envoûtantes, avant que "Vegas" nous ramène brutalement à la réalité. Frontal, électronique, mutant, cet avant-dernier morceau nous renvoie à la facette la plus expérimentale de TKDE, une froideur clinique au service d'une virtuosité formelle et collective assez ahurissante. Quant à "March of the swine", final s'étendant sur quelques vingt minutes et deux petites secondes de musique, il apparaît comme la synthèse de l'album. Une symphonie jazz expérimentale électroacoustique et symbiotique dans laquelle le collectif jette ses derniers éclairs de génie. Bluffant... à tel point que l'on n'est pas loin du chef-d'oeuvre...