S'il avait encore été parmi nous, notre ex-collègue Aurelio se serait jeté sans un soupçon d'hésitation sur la chronique de ce nouvel album de Kiasmos, tant le style du duo islando-féroïen constitué d'électronique raffinée - certains l'appelleront techno minimaliste pop, d'autres electronica experimentale - sied parfaitement à la respectable collection de ses désirs musicaux. Pour un coup qu'on ne s'attarde pas sur quelque chose qualifié de "post-machin" (son cheval de bataille qu'on apprécie ici aussi, il faut l'avouer), on ne va pas bouder notre plaisir, à moins que notre sujet ici soit de la "post-electronique" ? Ça lui sied d'autant plus que chez Kiasmos, il y a Ólafur Arnalds, un artiste qu'il qualifiait à l'époque de "petit prince de la musique néo-classique" ou "prodige". Carrément ! Avec son acolyte Janus Rasmussen, il fonde Kiasmos en 2009 et, en l'espace de 15 ans, le duo ne publie finalement que deux albums (dont ce II sorti l'été dernier, dix ans après le LP éponyme) et préfère le format EP. Par manque de temps peut-être ?
J'ai toujours préféré les artistes qui prennent leur temps avant de sortir des disques, ceux qui ont souvent plusieurs projets à côté, du reste. Avoir du recul, remettre ses idées en place, se nourrir d'autres aspects musicaux permet d'être dans de meilleures prédispositions afin de rebondir plus efficacement sur une suite discographique. Dix ans après (c'est long, j'avoue), sans compter les EPs qui s'apparentent pour certains à des singles étendus, Kiasmos revient avec beaucoup d'envie et lâche un II tenant toute ses promesses. D'abord, il y a dans cette œuvre une figure rythmique itérative à laquelle je ne m'attendais pas forcément et qui, qu'on le veuille ou non, devient un peu sa marque de fabrique. Ce fil rouge caractérisé majoritairement par cette "caisse-claire" frappée au 2e et 4e temps surprend de prime abord donnant l'impression que l'album ne contient finalement qu'une seule plage découpée en onze chapitres. On l'aura compris ainsi : si Kiasmos se plaît dans ce motif rythmique quasi minimaliste, c'est sûrement pour valoriser tout son impressionnant arsenal mélodique et ses arrangements qui l'accompagne.
Car II est un monstre en termes de sonorités aériennes et d'atmosphères exclusivement immersives. Un voyage sonore pensé et travaillé notamment lors d'un trip à Bali (mais aussi pendant le confinement de l'époque) qui dévoile toute sa force dans une forme singulière de fragilité. La mélancolie règne incontestablement sur cet album, qu'elle soit soutenue ou non par une cadence, et se manifeste aussi par son côté dramatique et poétique qu'on peut vivre sur des morceaux aux aspects cinégéniques tel que l'excellent "Dazed". D'autres chansons mettront davantage l'accent sur le mouvement. En somme, un équilibre parfait qui fait de ce deuxième album de Kiasmos l'échappatoire rêvé, une fuite d'une bonne cinquantaine de minutes à tester d'urgence.
Publié dans le Mag #64