Indus Indus > Jesu

Biographie > Justin Broadrick is Jesu

Après avoir sabordé volontairement Godflesh un an plus tôt, l'artiste surdoué et protéiforme qu'est Justin K.Broadrick fonde Jesu en 2003. Débordant de projets (Ice, Techno Animal, Final) un peu comme son ami Mike Patton, l'anglais se concentre seul sur cette nouvelle entité qu'est Jesu et livre dès 2004 un premier EP composé de deux titres (pour une quarantaine de minutes tout de même) intitulé Heart ache. Un brillant préambule à un premier album éponyme (chez HydraHead Records) qui mettra critique et public à genou l'année suivante et pour lequel, Broadrick décide de s'entourer du batteur Ted Parsons (ex-Swans, ex-Prong, ex-Godflesh), du bassiste Dermott Dalton (ex-Cable Regime, ex-Godflesh) et plus occasionnellement du guitariste Paul Neville (ex-Godflesh). 2006, Jesu ne baisse pas de rythme, Justin Broadrick sortant l'EP Silver avant d'annoncer pour l'année suivante le débarquement dans les bacs d'un deuxième album studio Conqueror, toujours via HydraHead Records. [  [fr] en savoir plus...: Focus #1 (557 hits)  External  ]

Jesu / Chronique LP > Heart ache & dethroned

Jesu - Heart Ache & Dethroned Il fallait sans doute boucler le bilan comptable de la boîte dans pas trop longtemps, alors les gens de chez Hydrahead se sont dit qu'il serait peut-être pertinent de sortir des trucs leur permettant de faire une jolie plus-value sur leur back-catalogue. Oui, la musique est aussi un business et même les gros labels indé n'y échappent pas s'ils veulent survivre. Logique. Et au sein de son roster, la structure fondée par Aaron Turner a quelques entités "bankables" : Isis, Cave In... et Jesu. Cette dernière était la plus prolifique (Justin K.Broadrick oblige), il n'est donc pas étonnant (vu la taille de sa discographie) de voir apparaître dans les bacs une réédition du tout premier effort du projet : Heart ache... agrémentée pour la peine d'un deuxième disque inédit. Celui-ci, prenant la forme d'un EP de chutes de studio jusqu'alors restées dans les tiroirs et légèrement retravaillées pour trouver leur place sur un objet dont le packaging a également été soigné pour le rendre présentable d'un point de vue marketing. Business is business.

Si Heart ache est connu des curieux et/ou inconditionnels de Jesu, Dethroned par contre est donc l'inconnue dans l'équation ici présentée. On ne va pas revenir sur les deux titres présents sur le premier disque, déjà chroniqué par ailleurs et donc s'attarder sur le second, compilant quatre pièces datant des débuts du projet. Et ça se sent sur l'éponyme "Dethroned", morceau inaugural de cet EP qui sonne comme du... Godflesh en mode shoegaze metal expérimental et assez curieusement emballé sur un rythme plutôt enlevé. Quand on sait ce qu'est devenu, en termes de tempo, Jesu par la suite, la vitesse d'exécution de ce premier titre a de quoi surprendre. La prod' de son côté, un peu "light", laisse entrevoir ce qu'était alors le projet à ses balbutiements artistiques alors que dès le second titre, "Annul", on sent que les choses prennent forme avec un peu plus de corps. Lourdeur post-metallique de rigueur, basses industrielles oppressantes et ce chant, trafiqué, qui semble planer au-dessus du magma instrumental, Justin Broadrick affine peu à peu sa griffe musicale atypique. Et la rend plus ambient et organique avec l'atmosphérique "Aureated skin" puis "I can only disappoint you", deux derniers morceaux qui complètent plutôt bien un EP qui n'a rien d'indispensable en comparaison des autres productions de Jesu, mais qui trouve quand même son intérêt en remplissant son rôle de collector : à savoir contenter les collectionneurs compulsifs invétérés et les curieux passés à côté du projet à ses débuts. Jackpot ?

Jesu / Chronique EP > Why are we not perfect ?

Jesu - Why are we not perfect Jesu : acte 11. En prise directe avec l'esprit légèrement embrumé mais incroyablement créatif de Justin K.Broadrick, les mélodies vaporeuses se démultiplient sans fin, les atmosphères cotonneuses se dévoilent lentement mais inexorablement. Toujours aussi prolifique dans ce qu'il entreprend (voir aussi : Justin Broadrick, le stakhanoviste de Birmingham), l'anglais a, au fil des sorties, façonné un style, une griffe musicale aux motifs aisément reconnaissables, aux esquisses, qui imperceptiblement, nous plonge dans une torpeur semi-consciente et nous emmènent admirer des territoires musicaux à la fois envoûtants et contemplatifs. Entre ambient indus et post-rock shoegaze, les morceaux de ce Why are we not perfect ? évoqueront peut-être quelque chose aux curieux et autres inconditionnels de l'oeuvre de Broadrick... Et pour cause, il s'agit là non pas d'un EP inédit, mais d'une version "redux" du split collaboratif partagé avec Eluvium et sorti par Temporary Residence Ltd. à l'été 2007. Version rallongée puisque, outre les trois morceaux déjà connus, cet effort est agrémenté de deux versions alternatives et d'un nouvel artwork, différant légèrement de l'original.
L'intérêt d'un tel EP est évidemment relatif et se limite essentiellement à faire céder les irréductibles collectionneurs aux caprices de leurs pulsions consuméristes compulsives. Dans le même temps, c'est également un excellent moyen de découvrir l'oeuvre de Jesu au travers d'un disque, accessible et assez représentatif de ce à quoi nous à habitué Justin Broadrick ces dernières années, que ce soit avec les EP Silver et Lifeline ou au travers de ses collaborations avec Envy et Battle of Mice. Vocaux minimalistes, une voix filtrée à travers les nappes synthétiques et qui se dilue dans des ambiances propices à un engourdissement physique pour mieux attiser nos sens, arrangements amples et envolées planantes ("Farewell", "Blind and faithless"), on est ici en terrain connu. Distorsion habilement noyée dans une reverb omniprésente et toujours cette voix, lointaine, légèrement effacée mais qui vient pourtant hanter les toiles musicales sur lesquelles Broadrick laisse courir sa créativité. Les trois morceaux étaient donc déjà connus, deux d'entre eux, complètent cet effort dans des versions alternatives. Le natif de Birmingham étant lui-même un excellent remixeur/arrangeur, il n'est pas étonnant de le voir ici, proposant des relectures légèrement différentes des morceaux originaux. Les différences ne sont pas réellement flagrantes et laissent plutôt supposer que sur une même trame de départ, Jesu peut faire évoluer sa musique en permanence. Elégante et organique...

Jesu / Chronique Split > Jesu | Battle of Mice

Split Jesu_Battle of Mice Jesu vs Battle of Mice, une collaboration de grande classe, un crossover haut de gamme sorti en édition limitée par le label Robotic Empire (Isis, Kayo Dot, Red Sparowes), plutôt coutumier du fait. Deux compositions pour chaque groupe et c'est Jesu qui ouvre les hostilités avec "Clear stream". Un titre inaugural qui lévite au grès des courants océaniques, au dessus de l'Atlantique nord pour déposer sur des récifs ambient industriels, quelques mélodies enfiévrées dont Justin Broadrick a le secret. Intensité émotionnelle et richesse des arrangements semblent être les maîtres-mots de ce titre, à l'amplitude rare, qui s'élève doucement dans la stratosphère afin d'enfanter une transition naturelle avec "Falling from grace", deuxième titre signé Jesu figurant sur ce split. Mélodies romantiques, instrumentations subtiles mises au service d'un chant toujours en apesanteur, comme venant d'un autre monde. Désenchantée, mélancolique, douce et gantée de velour, portée par un clavier dépouillé et des orchestrations denses, la musique de Justin Broadrick manie l'épure avec une classe folle pour parvenir à ses fins. Et à ce petit jeu, il est bien difficile de ne pas se laisser enivrer.
Lorsque vient le tour de Battle of Mice, on est encore plongé dans une semi-torpeur de laquelle, le groupe mené par Julie Christmas, nous extirpe avec un sens inné du réveil sauvage qui remet brutalement les idées en place. "The bishop, un chant tout en rupture, tension et nervosité sont ici palpables, tout ne semble plus tenir qu'à un fil et le groupe joue les funambules entre apaisement relatif et accès de violence éruptive qui font bourdonner les enceintes et rayent la platine CD. Un chant qui joue avec les codes du genre, laissant parfois aux guitares le plaisir de faire parler leur explosivité avant de saturer l'atmosphère de ces mélodies lunatiques dont on ne sait trop jusqu'où elles peuvent nous emmener. "Yellow and black" nous apporte un début de réponse... Dans des territoires musicaux où le groupe pourrait faire dérailler notre esprit pour l'emmener dans les limbes du royaume d'Hadès. Un chant qui oscille entre douceur carnassière et complainte à fleur de peau, suitant la douleur pour mieux exploser à la face de l'auditeur, avant de s'emporter dans un final épique, qui lorsque la pression retombe enfin, nous laisse en plan, seul, les nerfs à vifs...

Jesu / Chronique Split > Jesu | Envy

Jesu_Envy Split CD En attendant les collaborations avec Battle of Mice et Fear Falls Burning, Justin Broadrick et Hydrahead dévoilent l'association, attendue, du projet principal de l'ex-Godflesh, Jesu, et de la formation japonaise Envy. En post-rock délicat et ambient industriel aussi volatile qu'envoûtant, la complémentarité des deux entités musicales est, du moins sur le papier, alléchante. "A conclusion of existence" distille un post-rock voluptueux rythmé par des beats électroniques inspirés et des arrangements orchestrés avec une précision d'orfèvre. Lancinant, évanescent, titre aux effluves digitales bercées par des nappes délicatement intemporelles, ce premier des trois titres signés par la formation japonaise permet d'infirmer la thèse selon laquelle on pouvait s'attendre à retrouver ici des chutes de studio. Pour l'instant. Plus classieux malgré quelques accès de rage qui font exploser la sourdine, "A winter quest for fantasy" suinte cette violence soudurale à peine contenue que le groupe laisse furtivement échapper sur le final de ce second titre. Même s'il a déjà fait mieux auparavant. Impression plutôt confirmée sur un "Life caught in the rain" plutôt poussif et sur lequel, Envy ne fait pas nécessairement preuve d'une inventivité à toute épreuve. On était sans doute en droit d'attendre un peu mieux...
Place à Jesu et un premier titre "Hard to reach", long, mouvant et dopé aux textures électro clinquantes avant que les nappes hypnotiques dont Justin Broadrick a le secret n'emplissent inexorablement l'atmosphère. Mélodies lumineuses, un cheminement musical qui amènera lentement mais sûrement vers l'apaisement absolu, un sentiment de bien-être contemplatif que l'anglais développe l'espace de quelques 13 minutes et trente neuf secondes d'un voyage ambient/électro industriel explorant des contrées musicales aux panoramas idylliques. Malgré une productivité étonnante (pas moins de sept sorties pour la seule année 2007), Justin Broadrick démontre qu'il parvient pourtant à se renouveler sans cesse, tout en conservant sa griffe musicale, unique. Distillat sonore dense et organique, "The stars that hang above you" se fait l'écho d'une musique cathartique aux volutes aériennes et atmosphères éthérées. Quelques minutes d'errance narcoleptique et un final en forme d'une agréable apothéose émotionnelle, Jesu conclue avec classe cet effort sur lequel Envy se révèle un peu en panne d'inspiration pendant que Broadrick met sa créativité au service de ce split l'artwork réalisé par Aaron Turner (Isis) (qui réalise tous les visuels des disques que sort Hydrahead) et au contenu finalement inégal.

Jesu / Chronique LP > Pale sketches


jesu_pale_sketches.jpg Entre ses différents albums et nombreux EP's parus en 2007 sur l'un des labels poids-lourd de la scène metal (et affiliés) actuelle : Hydrahead, Justin K.Broadrick en a également profité pour réactiver son propre label Avalanche Inc., via lequel l'anglais a l'habitude de sortir des versions vinyles des opus de Jesu et ce qu'il produit notamment pour un autre de ses side-projects : Final. Mini-label qui lui a permit de sortir également Pale sketches dans une édition CD limitée à quelques 2000 exemplaires. Soit une compilations de morceaux inédits et composés depuis les débuts de Jesu et encore jamais publiés sur aucun des nombreux opus du projet. Etonnant de prime abord, mais en réalité pas tant que ça lorsque l'on se penche un peu plus en détails sur Pale sketches. Car il y en là pour tout le monde : de l'ambient rock romantique "Don't dream it" à l'électro glaciale hypnotique "Plans that fade", en passant par le trip-rock envoûté du très beau 'Wash it all away". Toute la palette musicale de Jesu y passe avec une légère prédominance des beats électro, ce que Broadrick semblait d'ailleurs délaisser de plus en plus dernièrement, privilégiant les longues nappes d'ambient atmosphérique digital. Moins convaincant, "Can I go now" et sa pop électronique saturée peine à sortir d'un certain conformisme quand à l'inverse, "Dummy" nous entraîne dans un univers particulièrement onirique. Welcome dans l'antre de Justin K.Broadrick. Mélodies vaporeuses, maelström sonique envoûtant, nappes instrumentales qui nous enivrent de leurs atmosphères aussi sereines que nostalgiques, l'ex-Godflesh démontre encore une fois qu'il est un compositeur hors-pair. "Supple hope", crépusculaire, enveloppé d'une atmosphères presque sépulcrale, dévoile toute la beauté sombre de Jesu, cette élégance rare, se jouant des clairs/obscurs pour mieux affirmer sa personnalité artistique, faite de contrastes et de paradoxes précieux. Unique. Décidé à fusionner les codes de l'électro-ambient et du (post)-rock atmosphérique si tenté qu'il y en ait, Broadrick livre un énième titre hybdride ("Tiny universe"), aérien et lumineux. Classe. En refermant cette compilations d'inédits par "Plans that fade", le natif de Birmingham met un point d'orgue à un disque qui n'a pas grand chose à voir avec un album du fait de son caractère hétérogène, mais qui consiste en une vraie collection de titres divers et variés autant que fouillés et inspirés. Idéal du reste pour découvrir l'oeuvre de Jesu. A méditer...

Jesu / Chronique EP > Lifeline


jesu_lifeline_ep.jpg Dans la lutte effrénée que se livrent Stephen Brodsky (Cave In, New Idea Society, Pet Genius, The Octave Museum), Mike Patton (Fantômas, Mr.Bungle, Tomahawk, Peeping Tom etc,...) et Justin K.Broadrick pour le titre de musicien indépendant le plus prolifique, ce-dernier a semble-t-il pris depuis quelques mois une légère avance sur ses deux proches concurrents. Un album long-format (Conqueror et son prolongement disponible en édition ultra-limitée Sun down/Sun rise, un Split w/ Eluvium, une compilation de raretés Pale sketches, un EP Lifeline, tout ça pour la seule année 2007, alors que sont annoncés pour 2008 un nouvel album pour Jesu, des sorties pour du projet Final et une collaboration avec Jarboe pour l'entité bicéphale J2, l'ex-Napalm Death/Godflesh est actuellement pris d'une boulimie créatrice qui n'entame pourtant pas la qualité de ses productions. Ou si peu... si l'on joue les difficiles.
Evidemment, comme on pouvait s'y attendre, étant donné le délai très court qui sépare les sessions d'enregistrements de Conqueror et celles de Lifeline, Justin Broadrick poursuit ici l'oeuvre entamée voilà trois ans et demi avec Heart ache, soit la composition d'une musique délaissant toujours plus les éléments métalliques du background de son auteur (Napalm Death tout de même...) pour s'orienter vers quelque chose de plus ambient, aérien et cathartique. C'est dans cet esprit que l'éponyme "Lifeline" vient poser ses quelques 5 minutes 20 d'un ambient rock racé et organique. Des nappes de guitares qui traversent la brume, des compositions orchestrées par Broadrick comme autant de vagues marines venant s'écraser en toute sérénité contre le phare qui illustre la pochette de l'EP. Décidé à poursuivre dans la même voie artistique, quitte à se mettre encore plus à dos les détracteurs de Conqueror (il y en a eu quelques-uns...), Jesu nous offre alors l'un des meilleurs morceaux de sa déjà bien complète discographie, avec le sublime "You wear their masks". Elegant, envoûtant et magnifiquement libérateur. Plus expérimental, appuyé par des beats électro-industriels hypnotiques, "Storm comin'on" est une sorte de trip hallucinatoire où la toujours délicieuse Jarboe vient fixer ses inénarrables inflexions de voix sur un titre au magnétisme animal quasiment anxiogène. Fascinant, mais si cette invitée de luxe en fait parfois un peu trop, là où toute l'essence de Jesu semble justement résider dans la retenue. Paradoxal. En guise de quatrième et déjà dernier titre, Justin Broadrick nous gratifie d'un "End of the road", plus rock et peut-être prophétique de ce que sera la prochaine (r)évolution musicale de ce qui est désormais son projet principal. Basse lancinante, voix lointaine qui semble s'égarer inexorablement dans les saturations instrumentales avant de se perdre définitivement dans des volutes de fumées post-pop. Remarquablement maîtrisé.
Etonnant (mais évidemment excitant) quand même de voir qu'après avoir oeuvrer dans un registre des plus violents avec Napalm Death, Godflesh ou Painkiller, des gens comme Broadrick ou Mick Harris aient voulu à se point changer radicalement leur approche artistique pour s'orienter vers quelque chose de complètement nouveau. Le premier avec Jesu et le second avec Scorn, deux projets innovants où su remettre leurs convictions musicales et leur inspiration en question afin de repousser leurs propres limites artistiques. Au vu des productions de chacun, difficile de s'en plaindre...

Jesu / Chronique EP > Sun down/Sun rise


jesu_sun_down_sun_rise.jpg Sun down/Sun rise est une autre des productions de Jesu à être sortie et vinyle ultra-limité chez Aurora Borealis et non Hydreahead Industries ou Avalanche Inc. comme à l'ordinaire... ou en bonus sur l'édition CD japonaise de Conqueror [car le marché nippon est toujours favorisé...]. "Sun down" d'une part, "Sun rise" de l'autre, deux compositions de près d'une quart d'heure chacune qui s'inscrivent comme le prolongement idéal des morceaux présents sur Conqueror. Une base métal, des guitares lourdes et éthérées, quelques textures digitales et une basse majestueuse posées sur une rythmique incroyablement heavy, puis cette voix, presque pop atmosphérique, qui semble inexorablement se perdre dans un écho toujours plus lointaint. Un climat qui mélange apaisement post-rock/ambient aérien et metal plus terrien aux textures industrielles, Jesu adopte un rythme de croisière volontairement lent, pour donner une sensation de torpeur à un auditeur perdu dans les brumes éthérées, les volutes de fumées shoegaze qui cherchent à brouiller les sens afin de donner plus d'impact à une musique désireuse de parler à notre inconscient.
Dans "Sun rise", deuxième partie de cet EP, les machines sont omniprésentes et Justin Broadrick, artiste à la personnalité complexe, livre un morceau complètement indus dans lequel se déverse une mélancolie douloureuse qui a le don de déprimer l'auditeurs pris dans ces tourments résignés. Le rythme toujours aussi lymphatique, une torpeur douce et cotonneuse qui nous enveloppe et Jesu nous emmène dans les lymbes de son univers musical ambient/post-rock/industriel à la lumière tamisée. A l'image de la pochette de l'édition vinyle de ce Sun down/Sun rise, Broadrick semble ici conclure ce que l'on pourra considéré comme un tryptique composé de Silver / Conqueror et l'objet ici chroniqué, avec toujours à l'esprit la volonté de faire parler des émotions contradictoires dans lesquelles il pourrait affronter ses démons intérieurs afin d'accéder à un état de sérénité absolue.

Jesu / Chronique Split > Jesu | Eluvium

jesu_split_w_eluvium.jpg Artiste protéiforme surdoué, Justin K.Broadrick (Godflesh, Final), n'en est pas moins un homme d'affaires avisé. Car entre les albums (Jesu, Conqueror) et autres EP's (Heart ache, Silver) destinés au "grand public", l'anglais aime publier des objets plus confidentiels souvent disponibles dans des éditions très limitées. Ainsi l'EP Sun down/Sun rise sorti en vinyle en Europe et sur l'édition CD japonaise de Conqueror fut très rapidement épuisé, la compilation de raretés Pale sketches n'est prévue qu'à 2000 exemplaires et ce split réalisé avec Eluvium par le label Temporary Residence (Explosions in the Sky) n'a été pressé qu'à 4000 exemplaires.
Collaboration ambitieuse entre Broadrick et le projet solo ambient/éléctro mené par l'américain Matthew Cooper, ce split se compose de 3 pistes signées Jesu et d'une seule à mettre au crédit d'Eluvium, celle-ci étant touefois divisées en trois parties. Sur la face A, 3 compositions évoluant entre post-rock ambient et shoegaze saturé, nappé de quelques lignes de guitares atmosphériques. "Farewell" et "Why are we not perfect", développent des ambiances chères à Jesu. Dans un véritable enchevêtrement sonore de boîte à rythme en retrait, de boucles et arpèges de guitares qui tournent sans cesse autours de nous et de vocaux éthérés signés Broadrick, on est emporté par la vague sonique ambient aérienne qui trouve un contrepoint sur le plus rythmé et instrumental "Blind and faithless". Sur la face B de ce split, une seule et unique composition signé Eluvium : "Time travel of the sloth parts". Une symphonie instrumentale ambient longue d'une vingtaine de minute et segmentée en 3 mouvements. Des guitares et claviers qui s'entrêmelent à l'infini dans un océan de d'effets, pour une longue plage musicale apaisante et envoûtante qui referme un split particulièrement soigné dont on ressort avec une certitude : celle qu'il faut se laisser posséder par la musique de ces deux projets afin d'en saisir tout l'éventail des émotions qu'elle procure...

Jesu / Chronique LP > Conqueror

jesu_conqueror2.jpg Enregistré entre le Royaume Uni et la Norvège, ce Conqueror si mal nommé n'a définitivement rien à voir (sinon peut-être son titre...) avec les monuments indus tectonique de Godflesh. Au contraire, avec ce nouvel album, Justin Broadrick, aka Jesu décide de conquérir les plaines arctiques d'une musique atmosphérique, contemplatives, quasiment aux confins du mouvement shoegaze. La transformation de la musique de Broadrick, déjà largement entrevue lors de l'EP Silver avait de quoi surprendre, voire laisser quelque peu circonspect. Pourtant, tout au long des quatre titres que comptait ce maxi, l'ex-membre de Napalm Death, était parvenu à creuser le sillon d'une musique cépusculaire, tantôt sombre, tantôt lumineuse, mais toujours nuancée et envoûtante. A l'heure de ce nouvel album, Broadrick se fend de hui nouvelles plages musicales s'inscrivant dans la droite lignée des quatres titres parus sur le Silver EP.
Aux confins des mouveaux post-metal, sludge, rock et shoegaze,des morceaux tels que "Old year" ou "Transfigure" parviennent encore une fois à transporter l'auditeur dans un univers musical onirique et étonnamment personnel. Des morceaux aux climats lourds, aux instrumentations massives, ou à l'inverse aux couleurs plus légères et aux mélodies évanescentes, Justin Broadrick garde le même cap que sur l'opus précédent et s'il le fait avec une classe et une maîtrise remarquable, c'est un peu là que le bât blesse. Car, si l'EP avait laissé augurer de formidables futures compositions, Conqueror ne concrétise pas complètement toutes les promesses suscités par son prédécesseur. Laissant par là-même un léger arrière-goût d'inachevé, cet album à l'architecture musicale particulièrement homogène résiste à la fascination par l'absence de prise de risque qui s'en dégage. Comme si pour une fois, son auteur avait décidé de composer un diptyque musical (Silver + Conqueror), où le premier effort serait supérieur au second. Paradoxal tout de même.
Car si les huits morceaux de cet album auxquels ont peut ajouter les deux titres de l'édition limitée (en import japonais uniquement) sont tousde très honnête facture (ne boudons pas notre plaisir tout de même...), ont boucle l'écoute de ce nouvel effort avec une impression d'inachevée assez dommageable. Alors certes, "Weightless & horizontal", ou "Brighteyes" délivrent des mélodies empreinte de sérénité et d'une douce mélancole, pour parvenir à un sentiment de plénitude absolu, il faut reconnaître que ce ce sentiment d'aboutissement ne parvient pas à occulter le début d'ennui qui nous assaille à la fin de certains morceaux. Tel est donc Conqueror, un album qui aurait pu (du ?) être une "masterpiece" absolue et qui "n'est" au final qu'un bon disque, comme si Justin K.Broadrick avait décidé de prendre une ultime inspiration avec d'accoucher de son oeuvre ultime. A suivre donc.

Jesu / Chronique EP > Silver

Jesu : Silver Un artwork pour le moins nébuleux, voire inquiétant, dépouillé, presque minimaliste. A l'image des quatre titres qui le composent, ce Silver EP est un peu le prologue de l'album qui va le suivre un peu moins d'un an plus tard (Conqueror NDLR). Lentement mais sûrement, Justin Broadrick, assaini sa musique de ses éclairs de rage post-Godflesh, le temps a passé depuis la disparition du groupe, les ombres du passé se dissipent peu à peu, et l'anglais évolue en même temps que sa musique. Celle-ci progressivement transfigurée évolue désormais dans les eaux d'un ambient rock aux tendances industrielles et aux nuances magnifiquement subtiles. S'orientant de plus en plus vers le mouvement shoegaze, tout en se laissant aller à quelques accents cold-wave, Broadrick se fait plus imprévisible qu'auparavant, sans doute plus facile d'accès de part ses instrumentations presque pop... ou rock.
Au travers du titre éponyme qui est chargé d'ouvrir ce Silver, Justin Broadrick nous fait replonger dans son univers musical sans pareil. Magma sonore à la densité incomparable, nappes de guitares s'échevelant sur un tempo relativement lent et posé, mélodies célestes chargées en disto lointaine, la musique de Jesu s'est apaisée, nous laissant à arpenter avec son auteur un long chemin menant vers des cieux aux vélléités sonores inédites. Un mur de son quasiment infranchissable pense-t-on, puis une mélodie presque pop, des accents plutôt rock même si baignant dans une lumière encore tamisée, "Star" second morceau de cet opus, nous dévoile un Broadrick qui, au fil de ses nombreux projets ou collaborations post-Godflesh (Final, ses remixes pour Isis, Pelican ou Explosions in the Sky), a eu le temps de méditer sur ses aspirations artistiques et, désormais, complètement en phase avec son art, livre des compositions aux mille nuancesn désinhibées et à l'intensité émotionnelle fascinante.
Ambiances progressives, nappes synthétiques et instrumentations organiques, "Wolves" nous emmène lentement mais sûrement vers une contrée aux paysages désertiques et lunaires, quasi intemporels. L'ensemble, porté par un chant véritablement habité plonge alors l'auditeur dans une sorte de coma artificiel étonamment apaisé. Quatrième et dernier acte de cet EP, "Dead eyes" prolonge le voyage sensoriel vers la lumière. Exclusivement instrumental, ce dernier morceau mélange les deux facettes de la musique de Jesu : orchestrations planantes aux atmosphères feutrées et murs de son oppressant aux sonorités ambiant/ indus savamment maîtrisées; le tout pour un résultat tout en nuances, entre puissance post-métallique industrielle et légèreté rock atmosphérique. (Très) classe.

Jesu / Chronique LP > Jesu


jesu_st.jpg Douze ans après l'énormissime Street cleaner, Justin Broadrick confirme tout le bien que l'on pensait de Jesu, six mois après l'EP Heart ache. Avec entre les mains un premier album éponyme qui fera date dans la carrière de son maître d'oeuvre, on découvre un objet qui n'a pas finit de faire naître des émotions toujours plus complexes. Sorti début 2005 via la référence HydraHead Records, Jesu nous offre une petite huitaine de morceaux pour près d'une heure et quart de musique. Entouré de Ted Parsons (batterie, percussions), Diarmuid Dalton (basse) et Paul Neville (guitares), Justin Broadrick qui est le seul à composer et arranger les morceaux au sein du projet, livre un album qui semble sans cesse repousser ses propres limites. Dès "Your path to divinity" puis "Friends are evil", Jesu développe des ambiances aériennes enveloppées par des vocalises éthérées et des nappes de synthés, ce, même si le socle rythmique tellurique déjà entrevu sur l'EP précédent est toujours très présent. Il en résulte des compositions à la fois massives et saturées, monolithiques et dantesques, où la basse se fait plus lourde que jamais pendant que les guitares terrassent les auditeurs uns à un ; mais également atmosphérique dans ce qu'elles ont de mélancoliques et célestes. Quoiqu'il fasse, quelque soit le terrain musical dans lequel il s'engage, Justin Broadrick, ne fait jamais dans la demi-mesure. Il va même bien au-delà de ce qu'il se fait un peu partout ailleurs.
Douceur et tristesse pour un chant évoquant à bien des égards le shoegazing des Ride et autres My Bloody Valentine, puissance monumentale au travers d'un mur de son qui nous renvoie aux heures de gloire des premiers Godflesh, la musique de Jesu ne doit rien au hasard et vient sauvagement exorciser les démons de son auteur. Expérience sensorielle viscérale, elle navigue ainsi à vue entre mélodies stratosphériques domptées par des nappes synthétiques envoûtantes et la noirceur insondable d'un univers torturé où entreraient en collision frontale l'espoir et le chaos. S'il y a quelque chose de poétique dans les huit morceaux qui composent cet album, cela reste assez expérimental, voir radical dans l'approche artistique de Broadrick. Sans concession, sous tension constante, orageuse et fantomatique, les compositions de l'anglais savent se faire tantôt majestueuses voire grandiloquentes ("Tired of me"), tantôt plus retenues ("We all falter"), mais quelque soit le chemin musical emprunté, cherche constamment à dépasser les limites. On revient toujours à ça finalement. Véritablement monument de bestialité sauvage, "Man/woman" rompt avec le reste de l'album, largement moins violent que les manifestes indus hybrides de Godflesh, soit dit en passant. Mais ici, l'orage que l'on attendait/ redoutait (rayer la mention inutile) lors des premiers titres, s'abat brutalement sur la platine, sans que quiconque n'ait le temps de trouver un semblant d'issue. Nous voici prisonniers d'un univers industriel onirique sombre, lourd et apocalyptique. A percevoir sans doute comme le témoin de la déliquescence de notre monde, ce titre apparaît comme la manifestation violente des émotions intimes de Broadrick. Et malgré son côté radical, se fond naturellement dans cet ensemble hors norme, homogène et solide qu'est cet album à la beauté rare. Car là où Heart ache était sa bande annonce idéale dans ce qu'elle avait d'émotionnellement intense et d'apocalyptique instrumentalement parlant, Jesu est l'album qui cristallise l'ensemble des aspirations musicales de Justin Broadrick. Une oeuvre d'une maîtrise formelle et artistique rare. Un disque en forme de "master-piece" absolue. Remarquable.

Jesu / Chronique EP > Heart ache

jesu_heart_ache.jpg Godflesh est bien mort et enterré. Et un peu plus d'un an depuis la fin du groupe, Jesu, le nouveau et ambitieux projet solo du phénomène Justin K.Broadrick est mis sur orbite. Mais, qui en doutait ( ?), on pense souvent à l'ancien groupe de Broadrick tout au long du premier essai discographique, enregistré aux studios Avalanche de Birmingham, de ce nouveau projet. Rien que dans son nom déjà, (Jesu étant le dernier titre de l'album Hymns de Godflesh), l'ombre de la première entité plane largement sur celle qui lui succède maintenant. Car dès les premières secondes du premier des deux titres de cet EP (pour quarante minutes de musique tout de même...), ça démarre. comme du Godflesh. C'est d'une lourdeur étouffante, tout en saturation tourmentée et oppressante, le riff de gratte limite stoner tourne en boucle, puis la mélodie fait enfin son entrée pour aérer un peu l'ensemble. Entre enfin le chant, éthéré et à fleur de peau. La qualité mélodique est étonnante, la mélancolie latente et toutes deux laissent entrevoir une petite évolution dans la musique de Justin Broadrick, à savoir qu'elle se veut peut-être moins métallique pour s'orienter vers quelque chose où tout ne serait qu'ambiances et atmosphères.
Gorgé d'effets ambiant/ indus, mélangeant guitares électriques et acoustiques, le tout au service d'arrangements aussi subtils qu'émouvants, "Heart ache" réussit parfaitement son entrée en matière et laisse à penser que la suite ne peut que mériter notre attention. Là ou le premier titre de cet EP nous faisait entrer de plein pied dans un univers sombre et lourd et dissonant, "Ruined" joue au départ la carte de la retenue. Le chaos ne saurait tarder. Mais pour le moment, le piano se fait délicat, élégant, raffiné et finalement assez posé. Et puis lentement, l'atmosphère commence à changer, comme une journée de printemps qui commencerait sous les meilleurs hospices avant que l'ouragan ne fasse oublier l'aube ensoleillée. Dès lors, la météo se fait changeante, l'orage gronde et la guitare fait son entrée. Massive, lourde, elle fait écho à une basse d'une lourdeur incommensurable et à des effets synthétiques dissonants qui ne font rien pour alléger l'ensemble. Pris dans une gangue de plomb, ce deuxième morceau nous rappelle que son auteur voit la vie de manière relativement désabusée, ce au travers d'un prisme où tout ne semble qu'être que douleur et tristesse. Justin K.Broadrick semble hanté par des fantômes très personnels et sa musique est largement empreinte de ce qui torture son âme. Mais l'homme est suffisamment doué pour ne pas trop se mettre en avant et parvient à s'effacer derrière son oeuvre. Car au final, Heart ache, est un EP qui sait trouver sa voie, entre ambient industriel torturé et rock atmosphérique douloureusement mélancolique et qui annonce des lendemains sombres mais excitants pour Jesu.