"Bonjour, je viens récupérer mon livre, Sales chiens." Ahaha, ça m'a bien fait rire de dire ça à mon libraire. La tête qu'il a fait au début. On s'amuse comme on peut.
Commençons par présenter l'auteur pour comprendre ce que cette chronique fait ici. En vrac il a dessiné la pochette d'un album live de Mudhoney, accompagné Pierre Richard à la guitare, été membre de Cobra 06130 en force, élu mec le plus drôle de Facebook en 2012, composé la BO d'un film avec Brigitte Lahaie, la musique du jeu vidéo Tortues Ninja chantée par Mike Patton etc. etc. et donc fondé le groupe de musique électronique dDamage avec son grand frère Fred, aux influences hip hop, techno, punk, noise, ambient... Le gars touche à tout, se lance dans l'écriture et bim, ça défonce !
Sales chiens raconte la tournée européenne de dDamage, les deux frangins accompagnés d'Ourko le chien imaginaire de Fred, en 2010 suite à leur signature sur un "vrai" label après dix ans de galères. Bon, ça c'est sur le papier car des galères et des situations abracadabrantesques, ils vont en croiser pas mal en chemin. Je parlais de roman car même si je suis certain que tout ce qui est narré ici leur est vraiment arrivé, des faits ont pu être rassemblés, condensés pour un confort de lecture et donner plus de rythme au récit. Et question rythme, on est plus sur du grind que du post rock chiant. Zéro temps mort et zéro envie de refermer le livre avant de l'avoir terminé. Dans cette culture du zapping où on se contente de scroller notre fil Fb, Twitter, Tinder, de liker, commenter des articles sans même parfois les avoir lus ("don't try this at home, kids"), ça fait vraiment du bien de se poser avec un bouquin et de voir le temps s'arrêter complètement, en se consacrant à une seule chose. En l'occurrence halluciner sur toutes les merdes qui leur arrivent, les personnages de ouf' qu'ils croisent. De la rave interdite dans un supermarché londonien sur plusieurs étages, désaffecté mais les rayons encore pleins, emmuré et cassé 2h avant le début de la teuf... qui finit en incendie, à un concert en Sicile dans une crêperie où, non payés, JB va furieux, seul et au culot réclamer leur cachet en pleine nuit dans la villa du patron plus ou moins mafieux, Gros Papa, qui le force (berger allemand à l'appui) à enchaîner les verres d'eau-de-vie frelatée pour le tester... rien ne se passe comme prévu. L'excellent Backstage passport de NOFX c'est du pipi de chien en comparaison. Et je reviens et insiste dessus mais au delà des anecdotes, c'est hyper bien écrit. Chaque page (il y en a 270), voire chaque phrase peut faire l'objet d'une punchline mais on n'est vraiment pas dans la surenchère. Le récit est très vivant (on a l'impression d'être embarqué avec eux) mais surtout touchant. Fred est atteint d'une maladie incurable qui lui défonce le dos et sous anti-douleurs plus ou moins légaux quotidiennement (elle a eu raison de lui en 2018, RIP) et ce bouquin est aussi pour JB un moyen de lui rendre un vibrant hommage, réussi et de faire perdurer ses et ces souvenirs, tout en délivrant une critique acide mais lucide et sans concession du monde musical...
Alors oui, ce livre parlera peut-être davantage à quiconque est déjà monté dans un van, pour subir 23h d'ennui et merdes diverses en échange d'1h de show déchaîné mais même sans ça, quel que soit le style de musique, qu'on connaisse dDamage ou non, il prend aux tripes et c'est juste une putain de chouette tranche de vie qui nous est racontée ici. Il y a du génie chez ce JB Hanak, comme celui qu'on peut trouver chez Charles Bukowski ou Hunter S. Thompson et Sales chiens n'est ni plus ni moins que le meilleur bouquin que j'ai pu lire ces vingt dernières années. Ouais.
Publié dans le Mag #50