High_Tone_Ekphron A la fin janvier, High Tone annonçait l'arrivée d'un sixième album, en présentait dans le même temps son hallucinogène mais plaisant artwork, rapidement suivi d'un single intitulé "A fistful of yen". Le morceau en question résume à lui seul ce que représente cette formation aujourd'hui : être capable d'introduire en un seul jet de cinq minutes des atmosphères sonores totalement opposées, tel un véritable grand huit. Incartades électroniques surpuissantes et suavité insoupçonnée au programme, un cocktail pas toujours facile à avaler pour le quidam. On devine au loin certaines personnes grincer des dents : "Oh non, font chier à foutre des wobble bass partout !". C'était vraiment mal connaître les lascars parce qu'avec Ekphrön, les Lyonnais n'ont jamais autant usé de leur liberté artistique. Pour preuve, quelques temps plus tard, c'est au tour d'"Until the last drop" de venir faire résonner la toile avec un clip animé de très bonne facture, un morceau traitant d'écologie qui vient prendre le contre-pied du premier single en s'imposant tel un "hit": un morceau entêtant, percutant, groovy où les vocalises de Shanti D croisent une salade de bidouillages électroniques. Comme quoi...

Ekphrön signifie littéralement "hors d'esprit" en langue grecque. Pas étonnant au regard du contenu de ce disque qui correspond à un long voyage introspectif sinueux et aventureux. A commencer par son début assez saisissant mais inhabituellement placide. "Basis" nous égare dans une cavité où des gouttes d'eau tenant le rythme de façon inégale laissent entrer progressivement les notes vaporeuses de violoncelle du talentueux Vincent Ségal de Bumcello (mais pas que !). Lequel s'exprime au gré du vent et des triturations électroniques du quintet. Surprenant, d'autant plus qu'"All expectations" poursuit l'ouvrage en ce sens, le morceau s'accommodant dans un univers ambient séraphique pas loin de l'electronica. Le monstre se réveille sur "Wahqam saba", un titre hanté d'ondes orientales où le oud rencontre des tensions électriques faisant apparaître l'ombre d'un chant fantomatique. High Tone démontre qu'il n'a définitivement pas enterré ses influences world urbaines et récidive avec "Raag step" qui, comme son nom l'indique, mélange assidûment la musique indienne classique au dubstep. Cette réussite colore un peu l'esprit et complète la palette de ce qui s'est déjà fait dans le genre avec des artistes comme Talvin Singh ou State of Bengal, même si la manière de mélanger les styles est totalement différente.

La moitié de l'album est déjà bien entamée que "72' turned off" réveille en nous ces savoureuses escapades post-rock évolutives, scratching en sus, malheureusement entachées par des suites de notes de claviers un peu trop présentes au mix. "Old mind", dans un style orienté hip-hop, convie l'habitué Oddateee à venir déverser son flow sombre sur une structure très froide aux rythmes crus et à la frappe chirurgicale. La fin de ce voyage s'effectue en douceur avec "Super kat", une chanson en roue libre, indomptable, qui renoue avec un schéma dub-rock. Fait rare tant High Tone n'a jamais été aussi éloigné de la scène dub avec Ekphrön. On reprend progressivement ses esprits après trois quart d'heure d'immersion en ayant l'impression que cet album est incomparable avec le passé discographique du groupe, même si la touche des Lyonnais est évidemment aisément reconnaissable. Avec ce nouvel album, le quintet vient de réussir son pari, qui avec le temps devient de plus en plus difficile dans la vie d'un groupe : se réinventer.