Venus défendre leur nouvel album LUX dans un Bataclan complet depuis 15 jours, les membres d'Ez3kiel, à travers Johann et Sylvain, se sont posés une demi-heure à nos côtés pour évoquer ce nouveau disque et d'autres sujets non moins intéressants.
Vous disiez il y a si longtemps dans une interview que la presse ne s'intéresse pas à vous...
Johann Guillon (guitare, prog, claviers, ebow) : Non, c'est pas ça qu'on a dit. C'est plutôt que les grands médias ne s'intéressent pas à nous et on a surtout dit qu'heureusement que les webzines, les fanzines et les radios indépendantes étaient là pour relayer l'info sur nous.
Ez3kiel a changé son line-up pour la sortie de LUX. Yann a fait une sorte de "faux départ". Tenir la basse, les machines et les visuels, c'était trop ?
Johann : Il n'avait que deux bras.
Sylvain Joubert (basse, guitares, claviers) : J'ai pas l'impression qu'on puisse parler de faux départ pour Yann. C'était clair pour lui, il avait décidé de consacrer tout son temps à la mise en scène et à la création lumière du spectacle.
Johann : Oui, puis cela s'est fait petit à petit. Ca a commencé avec la dernière tournée Extended avec une formule contenant un petit orchestre de chambre. On était 13 sur scène et il s'occupait déjà de l'aspect visuel, il ne sentait pas de gérer les deux parce que c'est dur au bout d'un moment de faire la musique et les visuels, faire du code, voilà, c'était plus possible.
Yann a été remplacé à la basse par Sylvain qui était déjà là pour les lives en version Extended, c'était le choix le plus évident ?
Sylvain : Ouh la la, ben ils n'ont pas eu le choix en fait (rires). Disons qu'ils m'ont appelé pour prendre la basse sur la tournée Extended, pour un projet bien défini dans le temps, une tournée en l'occurrence. Et puis, il s'avère qu'en milieu de tournée, il y a deux ans à peu près, ils m'ont demandé de rester à plus long terme pour travailler en trio sur la composition de ce nouvel album. J'avais le gun sur la tempe, j'ai pas eu le choix (rires).
Johann : Sylvain, ça fait 20 ans qu'on le connaît, il jouait déjà dans un groupe au début d'Ez3kiel qui s'appelait Manifold. Pour la petite histoire, dans le Naphtaline Orchestra il y a un bassiste qui s'appelle Thomas Lesigne qui devait faire la tournée Extended et qui n'a pas pu parce qu'il avait d'autres plans. On ne connaît pas beaucoup de bassistes à Tours qui ne déménagent pas, ça nous a paru normal de faire appel à Sylvain. Et puis pour LUX, c'était évident qu'il reste avec nous, c'est aussi simple que ça.
Vous n'aviez pas envisagé de continuer à deux batteurs vu que Matthieu, membre originel du groupe, est parti ?
Johann : Trouver un bassiste c'est déjà dur, alors un bassiste plus un batteur, laisse tomber (rires). Non, quand Matthieu est parti, on ne s'est pas posé la question de jouer avec deux batteries. C'était très bien pour Battlefield parce que les morceaux étaient faits comme ça, mais là on voulait revenir à une formule simple en trio avec Yann aux visuels. Ca nous allait très bien comme ça.
Et il y a une raison sur le départ de Matthieu ?
Johann : C'est la vie ! Ca fait 20 ans qu'on était avec Matthieu, il avait d'autres envies, ça s'est fait très simplement. On est encore ami, d'ailleurs on le salue au passage. Ce n'est pas facile non plus quand on a passé autant de temps ensemble. En plus, Matthieu c'est quelqu'un qui est à l'initiative du groupe donc ça a été compliqué, autant pour lui que pour nous, mais ça a été le bon choix.
Depuis 2008 et Battlefield, tout s'est fait surtout en collaborations (Hint, The Naphtaline Orchestra, version Extended), ça fait quoi de revenir en "solo", était-ce un véritable challenge ?
Johann : Musicalement, ça a été un challenge parce qu'on avait pris l'habitude d'être plusieurs sur scène et en répétition. Les choix musicaux ne sont pas les mêmes dans le sens où chacun ne fait pas la même chose. On est content de l'avoir relevé, c'est vrai que c'était pas facile au début car il a fallu réapprendre à se retrouver à 4, à ravoir des automatismes qu'on avait peut-être perdu. Du coup, on est bien content de ce choix-là, on retrouve une vraie identité Ez3kiel, celle qui nous a fait connaître avec Handle with care et Barb4ry. C'est un peu un retour aux racines.
Avec l'orchestre, vous aviez repris le thème de "Requiem for a dream" de Clint Mansell, êtes-vous tenté par la reprise d'un titre d'un univers différent à quatre ?
Sylvain : Helmet !
Johann : Ouais, on en avait parlé, une reprise d'Helmet.
Sylvain : Ca n'a rien à voir du tout en plus. Depuis qu'on s'est mis à bosser sur LUX, on n'a pas du tout réfléchi à l'idée d'une réadaptation d'un morceau. C'est peut-être un peu tôt, ça va peut-être venir mais pour le moment, on a plus envie de défendre les morceaux qu'on a écrit. Enfin, je crois...
Johann : Oui, oui, tout à fait !
LUX est sorti le 10 novembre. Vous avez fait une série de dates de concerts avant, c'est une volonté ou ça s'est trouvé comme ça ?
Johann : En fait, on a pris du retard dans la création de l'album. On a repoussé et repoussé la date de sortie et on nous a fait comprendre que fallait que ça sorte à un moment. Les dates étaient calées avant la sortie de l'album, c'est juste qu'il aurait du sortir plus tôt.
Pouvez vous nous parler de LUX, sa genèse, son approche et sa direction artistique ?
Sylvain : Alors, la genèse. On s'est retrouvé à 3 en studio après la tournée Extended dans laquelle on était 13. On a eu un passage à vide c'est à dire qu'on a du apprendre à se retrouver et surtout à se trouver musicalement. C'est pour ça qu'on a mis un peu de temps à l'écrire, on avait cette envie de réécrire à 3 et de revenir aux sources du groupe. Concernant l'approche artistique, on voulait ce retour aux sources électroniques du groupe avec quelque chose de très brut, de très rock. On a essayé de synthétiser ces deux envies là au sein de cet album. Et puis la direction artistique.
Johann : C'est toujours dur de décrire la direction artistique, ce n'est pas à nous d'en parler. L'album ne nous appartient plus, il est maintenant aux gens et c'est à eux de se faire leurs idées, leurs rêves et leurs délires à son sujet. C'est compliqué de mettre des mots à notre musique quand on est dans notre local de répétition.
Sylvain : On ne s'est pas posé de limite artistique. C'est un peu bateau de dire ça mais on compose avec nos tripes, on fait des pré-prod', des rushs, on les écoute et si ça nous parle avec la tête et le ventre, on valide. Et puis s'il ne se passe rien, on jette, c'est comme ça qu'on avance. Au niveau des styles musicaux, il n'y a pas de limite.
La traduction de LUX, c'est lumière. Est-ce que c'est Yann, qui a justement apporté ce concept avec sa mise en scène, qui vous donné l'inspiration dans la composition ?
Johann : Non, ça s'est venu après. La création des morceaux ne s'est pas faite en fonction du concept qu'allait y avoir sur scène. Le nom de l'album est parti de là mais il est arrivé vers la fin. Certains titres ont été créés il y à 2-3 ans. Quand on sort un album, on sait qu'on va aller le défendre sur scène car c'est là qu'on touche le maximum de gens, ils peuvent nous écouter et nous voir dans la forme la plus authentique d'Ez3kiel. C'est un tout, en fait. Mais la création des morceaux, c'est quelque chose de tellement abstrait, c'est ce qu'il se passe autour de nous, ce qu'on entend autour de nous, ce qui peut nous arriver. C'est très basique au final.
Vous travaillez avec Fred Norguet depuis toujours, c'est un confort de continuer avec lui ?
Johann : Pour le moment, ouais, c'est la personne qui nous correspond le mieux. Humainement, c'est quelqu'un qu'on apprécie, avec qui on s'entend très bien et sa manière de travailler, d'appréhender les sons et le mix, est très simple. C'est facile parce qu'on se connaît depuis 20 ans, il a fait notre première K7 donc tu vois, ça date pas d'hier. On a essayé avec d'autres personnes, ça s'est pas mal passé mais ce qui est assez incroyable avec Fred, c'est qu'il est autant ouvert sur le côté acoustique des prises que sur les machines. Et puis, il a tout le temps plein d'idées à proposer. Après, c'est vrai qu'on n'a pas rencontré beaucoup d'ingénieur du son parce que bosser avec Fred, c'est que du plaisir et c'est très simple.
N'avez-vous aucun attrait pour des producteurs étrangers qui sauraient apporter une autre vision ?
Johann : Si, mais ils n'ont pas répondu (rires).
Ils répondront peut-être un jour.
Johann : Ouais, comme les grands médias.
L'album existe en deux éditions, la classique et la Continuum comprenant un EP bonus. Quelle est l'origine de ces titres bonus ? Ils n'étaient pas assez bons pour l'album ?
Sylvain : Non, ce n'est pas une question de qualitatif. On ne voulait pas faire un album trop long mais plutôt quelque chose de dense, d'assez ramassé. On s'est dit qu'une petite heure de musique instrumentale bien agencée, ça suffisait, mais qu'en même temps c'était dommage de ne pas exploiter ces morceaux qu'on a créés aussi dans la dynamique de composition. C'est l'idée de Stéphane Grégoire, de notre label Ici D'ailleurs, qui est venu faire des écoutes dans notre local, nous a briefé sur l'ordre des morceaux, et qui nous a dit de faire deux versions de l'album. On est très content de ça d'autant plus qu'on n'y avait pas pensé du tout, on ne l'aurait jamais fait. On était tellement dans les morceaux, tellement plus objectifs par rapport à notre musique que quand Stéphane est arrivé, il l'a fait au bon moment. Il nous a un peu secoué, et a été tellement directif et convaincant qu'on s'est laissé faire. Il a eu des choix assez tranchés, même sur l'ordre des morceaux, on n'aurait jamais fait ça, mais on lui doit tout ça. Du coup, on est très content des choix qu'il a fait.
Parmi les invités de LUX, il y a Laetitia Sheriff sur "Eclipse" qui sonne très trip hop. Comment se créé un morceau comme celui-là ? Vous la dirigez totalement ou c'est un travail commun ?
Johann : Laetitia, on lui a laissé une liberté totale. L'instrumental, avant qu'elle pose sa voix dessus, est resté le même après, donc elle a vraiment fait ce qu'elle voulait. Pierre Mottron, ce n'est pas la même chose, il est arrivé à la genèse du morceau, on a plutôt fait des échanges ensemble. Au début, il y avait juste le couplet, les accords et la rythmique électro. Il a chanté sur un couplet, cela a donné une idée pour un refrain, ça a été du ping-pong pendant deux semaines, le temps qu'on fasse les prises de l'album. Voilà, donc c'est vraiment deux manières de faire bien différentes, mais c'était plus facile avec Pierre car il habite Tours. Il n'y a pas vraiment de mode d'emploi avec les invités, à chaque fois ça ne se passe pas de la même façon. Quand on fait appel à quelqu'un avec qui on veut bosser, on lui laisse totalement le choix sur l'écriture, sa manière d'interpréter, et on n'a jamais été déçu des collaborations en général.
Verra-t-on vos deux invités sur scène ce soir ?
Sylvain : On en verra un. Pierre sera là avec nous ce soir et on est très content car c'est la première fois qu'on va interpréter le morceau sur scène avec lui au chant.
Quelqu'un a-t-il déjà refusé de travailler avec vous ? Ou il y a t-il eu des rencontres qui n'ont pas pu se faire ?
Johann : On nous a empêché de travailler avec quelqu'un, ouais. Son directeur artistique.
Tu ne veux pas me donner son nom ?
Johann : Non ! Mais sinon, on a jamais eu de refus.
Le titre emblématique sur cet album ?
Sylvain : C'est compliqué de répondre à ça. Je n'ai pas de réponse à t'apporter mais tu as une idée peut-être ?
Non mais j'aime beaucoup "Zero gravity".
Sylvain : D'accord !
On va aborder la partie visuelle d'Ez3kiel même si Yann n'est malheureusement pas là pour en parler.
Pouvez-vous nous expliquer comment il a réalisé la conception visuelle de LUX ?
Johann : En fait, c'est comme si tu me demandais comment les morceaux ont été fait, c'est compliqué hein. C'est du code, c'est tout ce que je peux te dire (rires). C'est des 1 et des 0.
Sylvain : Grossièrement, oui, c'est du code. Il a généré son logiciel, il l'a créé lui même en ayant en tête qu'il avait ses outils rigolos qu'on appelle les Magic Panel qui lui ont permis de faire ce mur de lumière. L'idée, c'était de pouvoir diriger grâce à son logiciel ce grand rectangle composé de 48 Magic Panel. C'est manuel, il le dirige aussi avec des lasers, ce sont des machines autonomes les unes par rapport aux autres et qui sont synchronisées en même temps pour faire des figures. A partir de là, tout le challenge pour lui, c'était de créer des tableaux originaux et détourner l'utilisation qu'on peut avoir de ces machines jusque ici. Ce sont des trucs assez puissants, il les sous-exploite, il utilise 30% de leur puissance pour pas que les gens finissent aveugles à la fin du show parce que c'est assez intense.
En effet, j'ai eu un aperçu pendant vos balances, c'est assez incroyable. Est-ce que vous savez ce que ça représente en nombre de lumières ?
Sylvain : C'est simple, tu as 48 Magic Panel contenant 36 Led chacune. Donc 48x36 et tu as le nombre (NDR : ça fait 1728).
J'imagine que vous avez vu l'exposition de Yann "Les Mécaniques Poétiques". Pouvez-vous me dire en quoi consistent ces installations interactives ?
Johann : C'est le prolongement du DVD-ROM Naphtaline qu'on avait sorti. C'était des tableaux interactifs sur ordinateur où on pouvait manipuler le son et l'image. Et le prolongement de tout ça, c'était des installations multimédia sous forme d'objets anciens comme une vielle machine à coudre Singer par exemple. Les gens se posent devant, tu as un pédalier que tu actionnes, tu fais tourner des cylindres sur l'écran et ça fait du son. Ça a été décliné sur 10 installations comme un vélo qui se trouve face à un écran, quand tu pédales, tu avances dans l'image, quand tu donnes un coup de sonnette, il y a un événement à l'image avec un son, un coup de frein, ça va être autre chose. Voilà, et je crois que maintenant il y a 12 installations dans un musée à Agen où se trouve l'expo actuellement.
Pourquoi Ez3kiel ne fait pas de clip alors que vous êtes très lié à l'image ?
Johann : Parce qu'on avait pas assez d'argent. Mais là, on espère en faire un pour la prochaine tournée qui va commencer en mars. On a des idées de clip et des envies pour bosser avec certaines personnes sur ce projet. Ouais, c'est quelque chose qu'on aimerait bien mettre en place.
Quelles sont vos inspirations en matière de réalisation images, je pense notamment au cinéma ?
Johann : Parlons d'un réalisateur comme Jim Jarmusch où la musique tient une place importante dans ses films. C'est une personne dont les travaux m'inspirent, d'ailleurs pas mal de nos morceaux font références aux personnages de certains de ses films, on a même samplé des dialogues issus de ses réalisations. Et puis il y a un autre réal' que j'aime beaucoup qui s'appelle Nicolas Winding Refn, qui a notamment fait "Drive" et "Only God forgives"
Il y a t-il des travaux de lumière ou de VJing de confrères qui vous touchent ?
Johann : Oui, toute l'installation lumière de Nine Inch Nails, c'est un truc de fou. J'avais pris aussi une bonne calotte avec le cube d'Etienne De Crecy, et je dirais la dernière tournée de Vitalic, un grand moment.
Merci à Ez3kiel, à Jean-Philippe de Martingale, à Fabienne Wessier, à Guillaume, Lenny, Antoine et Olivier pour le tournage vidéo et le Bataclan Café.
Merci à Oli pour l'aide à la rédaction des questions de l'interview.
Photos : Alexis Janicot