Ez3kiel - Battlefield Question existentielle : comment passer derrière une oeuvre de la trempe de Naphtaline, surtout à peine huit mois plus tard, quand le projet multimédia du groupe tourangeaud est encore dans tous les esprits. Battlefield répond brillamment à la question : en faisant quelque chose de complètement différent, sans jamais trahir ce qui fait l'essence de l'oeuvre d'Ez3kiel. "Au bord des fleuves de Babylone, Dieu choisit Ezekiel pour être son prophète. Au bord des fleuves conduisant à une noirceur sans fin. A l'inverse des autres prophètes, Ezekiel apporta alors lumière et espérance à un peuple qui se sentait abandonné, de quoi affronter le long et douloureux champ de bataille qui se dressait devant lui" nous confie à l'oreille le dossier de presse présentant ce nouvel opus. Battlefield illustre parfaitement ce propos tout au long d'"Adamantium" puis "Volfoni's revenge", les deux premiers titres du présent effort. A la fois lumineux et tourmentés, mélangeant dub, électro-rock, trip-hop et musique industrielle, les débuts de cet album sont à mille lieux de Naphtaline. Lucide, torturé, le groupe traverse les ténèbres, accompagnés des onze morceaux composant sa garde rapprochée, contemplant avec un mélange de fascination et de haine le champ de bataille artistique qui se dresse devant lui. Ez3kiel est devenu rock dans l'âme, faisant voler en éclat les certitudes que l'on pensait avoir sur son évolution musicale au sortir du project intéractif Naphtaline.
Guitares acérées, basses énormissimes, rythmiques indus-rock aux fulgurances métalliques, mélodies allégoriques en collaboration avec le groupe Narrow Terrence, un chant complètement habité ("Spit on the ashes")... Là où le précédent effort du groupe nous enveloppait d'un cocon de douceur raffinée, Battlefield nous jette au visage des émotions brutes, tissées à la force du riff de gratte. Un petit interlude "Coal flake" aux percussions envoûtante, l'oeuvre de Stéphane Babiaud, nouveau venu au sein d'Ez3kiel par là-même devenu quartet ; un "The wedding" inclassable aux allures de bande-son western post-moderne (l'ombre d'Ennio Morricone planant sur ce morceau...) et au lyrisme inégalable voguant sur des nappes pas si éloignées de la mouvance post-rock. Comme à son habitude, le groupe tourangeauds, cultive sa différence, manie le mélange des genres en brouillant habilement les pistes. Inclassable, mais également insaisissable, il nous assène un monstrueux "Break or die" sans le moindre remords. Riffs indus-rock turgescents, arrangements électriques chirurgicaux, Ez3kiel fait parler la puissance, sa rage instrumentale qui se déverse sur un morceau à l'efficacité diabolique. Invité sur "Alignment", le Mc de Blu Rum 13 égrène son flow hip-hop sur des arrangements électro graciles et des ambiances glaciales perçant difficilemment l'atmosphère électrique qui enveloppe ce Battlefield. Ez3kiel ensuite étalage de son goût prononcé pour les contrastes musicaux, dévoilant un "Lull" feutré serti d'instrumentations post-rock célestes et enfantines, avant d'asséner son "Firedam", véritable bombe à retardement jettant dans les enceintes sa fureur hardcore noise chaotique sortie d'on ne sait trop où. Sauvage, dérangeant mais implacable. Et le le groupe de poursuivre comme si de rien n'était avec le seul titre de cet album renvoyant directement à l'univers de Naphtaline, une reprise tempétueuse et originale d'un extrait du "Romeo et Juliette" de Sergeï Prokofiev (en l'occurence "Danse des chevaliers") réalisée avec leurs compères de DAUU. Se réappropriant totalement l'oeuvre du maître russe pour l'intégrer à son univers si particulier, le groupe livre une interprétation étonnante mais respectueuse de son modèle, avant de conclure son album par un "Wagma" dub/rock/électro maîtrisé de main de maître. Comme si l'oeuvre d'Ez3kiel se devait d'être en perpétuelle évolution, toujours à contre-courant de nos attentes, pour mieux les combler avec humilité et inventivité... Hors-normes.