Dälek - Asphalt for Eden Je suis membre d'une drôle de génération. La plupart des mes amis écoutent du rap, plus précisément de la trap. Beaucoup de rap, notamment des trucs vocoderisés/autotunisés à mort avec des instrus débiles qui n'ont d'égales que la vacuité de leurs textes. Ce sont quand même mes amis. J'essaye donc parfois d'échanger avec eux, régulièrement je leur demande, fier d'avoir trouvé une pépite qui leur a peut être échappé : "Tu connais pas Dalëk ?"

"Non, ça a l'air cool, j'irais écouter.", me répondent-ils à chaque fois. L'affaire reste toujours sans suite. Quand j'écoute le dernier album de ce groupe de hip-hop désormais signé sur un label de black métal, je commence à comprendre. Dans son esthétique et sa construction, Dalëk a bâti une musique qui ne pourra jamais atteindre les oreilles de jeunes blancs habitués à se prendre pour des petits blacks de Baltimore, parce qu'ils écoutent de la musique vide de sens qui véhiculerait des codes compréhensibles uniquement dans la street, dont ils font partie dans leur tête de jeunes blancs culpabilisés qui s'emmerdent. A tel point qu'on me le dit régulièrement : "Tu nous fais chier avec ton rap conscient !". Les camarades de ma génération préfèrent ne pas trop conscientiser, ils morflent déjà assez comme ça dans leur vie de tous les jours.

Or, écouter Dalëk relève quand même d'un certain investissement émotionnel. Écouter Dalëk, c'est dire oui pour un voyage pas forcément agréable, potentiellement toxique, voire déprimant. Dans ce registre, Absence était une réelle chape de plomb que l'on acceptait de se faire déverser sur la tronche jusqu'à l'étouffement complet et pendant un long moment. Écouter Dalëk, c'est plonger dans un brouillard urbain pollué, noir, dégoûtant, confortable et fascinant, revenir tout noir et ne pas être capable d'expliquer à ses potes où l'on a bien pu traîné pour être aussi cradingue.

On n'ira pas jusqu'à parler d'éclaircie avec Asphalt for Eden, mais clairement, le ciel y passe du noir au gris. Le groupe s'est longtemps évertué à nous dépeindre la dystopie d'aujourd'hui. Maintenant que nous y sommes réellement, il nous fournit quelques très bons réquiems aux instrus crépusculaires et liquides. Des sons qui filent entre les doigts, qui s'évaporent et s'inhalent. La bulle néanmoins éclate plus vite que prévu. Là où Dalëk nous laissait d'habitude exsangue à la fin de ces albums, il nous propose cette fois d'y revenir plus vite et plus facilement.

Possible que les fans soient un peu sur leur faim après 6 ans d'attente, sûr aussi que mes amis ne s'y mettront toujours pas. Chacun sa bulle.