Dälek - Gutter tactics Un album de Dälek, c'est toujours un sacré morceau à avaler. Depuis Abandoned language, on sait qu'il faut du temps, des écoutes répétées pour plonger dans ses sphères, en comprendre le sens et apprécier le disque. Ici avec Gutter tactics c'est encore plus dur. Se forcer n'est pas le mot, mais il faut de la patience et du calme pour apprécier cet album qui est sans doute plus complexe, même si on tenait sans doute le même discours après les écoutes de son prédécesseur. A la lecture du tracklisting, on comprend que Gutter tactics puise son inspiration dans ce qu'est devenue l'Amérique moderne de G.Bush père et fils, patrie d'Oktopus et MC Dälek (le disque a été écrit avant l'avènement de Barack Obama NDR), soit un pays extrêmement inégalitaire, à l'horizon plus qu'incertain et, à l'image d'une grande partie de sa population, dans le noir total, en proie à une crise sociale et économique sans précédent. Ambiance. Deux morceaux plus loin et Dälek trouve la faille en nous, les beats lourds et noisy d'Oktopus désagrègent nos pseudo certitudes sur ce qu'est le hip-hop, le flow âpre et rageur de Mc Dälek, véritable catalyseur sensoriel, se chargeant d'infliger la sentence ("No question"). Gutter tactics exhale ce hip-hop expérimental, lourd, glacial et anxiogène aux tendances industrielle qui avait tout fait exploser sur Abandoned language. Heavy psyché, revendiqué comme étant interprété avec la même attitude que les Black Sabbath ou les Melvins, sorte d'agrégat sonore à la fois lancinant, rythmé et d'une froide efficacité, Gutter tactics ne peut laisser indifférent.
En prise direct avec son temps, Dälek a pris Abandoned language et en a écrit une sorte de suite, tout en tenant compte d'un contexte bien plus pesant qu'auparavant. La gravité qui s'empare de ce nouvel opus et à l'aune de ces textes acerbes évoquant à demi-mot les idéaux révolutionnaires, le tout sur fond d'urbanité toujours plus déshumanisée. Etouffant. L'homme et sa condition d'être aliéné par le mercantilisme et le pouvoir politique sont au centre de Gutter tactics et, à l'image des samples qui viennent s'assembler tout autours, se retrouve cerné par la machine, qu'elle soit réelle ou plus métaphorique ("Armed with Krylon", "Who Medgar Evers was..."). Disque presque visionnaire qui ne voit le futur qu'en noir ("2012 (The Pillage)"), cet album interpelle, insiste sur l'urgence d'une réaction afin d'endiguer notre chute, laquelle semble inéluctable pour le duo. Il y a donc un idéal d'insurrection dans le propos de Dälek, un sous-texte politique parfois oppressant, d'autre fois plus éthéré, mais toujours aussi implacable et d'une effrayante lucidité ("Atypical stereotype"). Larsens qui vrillent les tympans, groove faussement nonchalant, le duo ne se cache pas et envoie sur la platine un hip-hop savamment bricolé pour se révéler plus insidieux qu'il n'y paraît ("We lost sight"), car s'il est toujours engagé, le projet Dälek n'a sans doute jamais été aussi virulent qu'aujourd'hui ("Street diction", l'éponyme "Gutter tactics"), surtout lorsqu'il manie la saturation pour mieux brûler nos ornières et nous mettre face à la réalité. Comme éveil (forcé) des consciences...