Rencontre aussi évidente qu'improbable que celle de Martin Nathan aka Brain Damage, le prince du dub français, avec le leader charismatique de Groundation, j'ai nommé Harrison Stafford. Évidente car l'on sait que le Stéphanois aborde depuis plusieurs années les collaborations comme de véritables challenges, très souvent avec réussite (notons celles avec High Tone, Vibronics, Sir Jean et l'ambitieux projet en Jamaïque Talk the talk / Walk the walk). Improbable car autant nous savions que Brain Damage, avec ses 12 albums à la clé, s'est établi une petite réputation à travers le monde, autant toucher les États-Unis et ses artistes reggae était encore loin d'être d'une facilité déconcertante. Et pourtant, le français souhaitant s'ouvrir et casser davantage de barrières a souhaité poursuivre cette voie de "dé-dubisation " de sa musique en contactant le très courtisé rastafari Harrison Stafford, chanteur au timbre vocal instantanément reconnaissable. Ce dernier répondant à l'appel favorablement, le fruit de ce travail à deux se nomme Liberation time.
Que les choses soient claires dès le départ, Liberation time est bien un album de pur reggae (bon, OK, avec quelques relents évidents de dub quand même) composé et produit par Martin en 9 mois et chanté intégralement par Harrison Stafford. Un travail en duo qui s'est réalisé à distance à base d'envois de fichiers numériques et conclu par 10 pistes structurées de manière à en faire de véritables chansons originales et personnelles et non des titres aventureux sortis de je ne sais quel sound system. Une première pour Brain Damage qui assure avec son compère un album chaleureux invitant à l'évasion, plus du côté de Kingston que de Saint-Étienne ou de la Californie. Une production moderne (en doutait-on ?) qui rend grâce à toutes les formes de riddim du style susnommé et donc à une variation d'ambiance agréable où le skunk est roi. Dans une interlude où la trompette s'exécute, l'Américain en profite pour se présenter en langue française aux français et les remercie de leur soutien sur "Harrison Hello", un geste sympa comme cette propension à vouloir diversifier ses rythmique vocales, comme son débit rapide sur une partie de "Stand by me".
Sans révolutionner un genre bien défriché et qui ne révèle plus beaucoup de ses secrets, Liberation time a le mérite de sortir du lot par ses compositions plutôt fraîches et ses idées bien amenées. Brain Damage n'a visiblement pas tiré toutes ses cartouches et continue d'asseoir sa réputation dans le monde avec ce disque qui risque d'avoir de bons échos aux États-Unis. Alors, oui, un album reggae en "Disque du moment", ça peut paraître comme ça presque déplacé pour certains de nos lecteurs amateurs de rock stricto sensu. Mais n'oublions que le reggae est né d'influences musicales qui ont fait naître elles-mêmes des styles qui sont largement représentés sur notre mag.
Publié dans le Mag #33