Bohren & Der Club of Gore - Piano nights De retour avec un nouvel album cinq ans après Dolores, les maîtres du jeu du Bohren & Der Club of Gore, indéniables mammamushis de la sphère doom-jazz planétaire qui ont entre-temps sorti discrètement l'EP Beileid (2011), livrent avec Piano nights une énième longue tirade emportant leur auditoire dans un véritable tsunami émotionnel. Une déferlante qui ne dit pas son nom et ne se dévoile qu'après de longues minutes d'introspection, explorant les méandres de cet univers à la fois elliptique et particulièrement immersif qui est le leur. Un monde où la lenteur hypnotique rythme un ensemble à l'étrangeté aussi classieuse que fascinante. Un espace d'expression au magnétisme qui fait peu à peu basculer l'état de pleine conscience de l'auditeur vers une douce torpeur narcotique.

Un (presque) coma sensoriel dans lequel on s'abandonne non sans verser quelques larmes, ce Piano nights exhalant une mélancolie à fleur de peau, une tristesse insondable qui marque les esprits de longues minutes durant, une fois l'écoute achevée ("Im rauch", "Bei rosarotem Licht"). Le trouble que le groupe instille en nous ne s'évaporant qu'au prix d'un petit moment de réacclimatation, on ne peut que se plonger encore et encore dans ce "Fahr zur Hölle", qui de par sa profondeur mélodique et ses arrangements subtilement névrotiques, nous emmène traverser le songe d'une nuit sans fin. Un voyage dans lequel on se perd, se laissant guider par des compositions qui serviraient de bande-son idéale aux films de David Lynch (Blue velvet et Lost highway en tête) si ce dernier n'avait pas déjà un compositeur attitré (NDR : Angelo Badalamenti). Mais la cinégénie de l'œuvre du Bohren & Der Club of Gore est également ce qui sert son album ("Irrwege").

Lequel ne dérive pas vraiment d'un iota des productions antérieures du groupe, s'inscrivant même dans leur lignée directe, crépusculaire et irrémédiablement fascinante ("Ganz leise kommt die Nacht" ou "SegeIn ohne Wind"). Entre ambient volatil, doom atmosphérique et jazz neuroleptique, avec ce soupçon de structure labyrinthique aux contextes horrifiques et noctambules. Et sans doute qu'il est là, d'ailleurs, le privilège des très grands : donner l'impression d'écrire tout le temps le même album, des nocturnes long-format à la beauté claire/obscure fascinante, des pièces aux similarités confondantes et pourtant tellement indispensables de par leur inexorable et obsédante intensité ("Unrasiert", "Verloren (alles)"). Bohren & Der Club of Gore ou la classe à l'état pure qui se répète encore et encore ("Komm zurück zu mir"). Sans jamais lasser.