Vendredi

Collées. Fixées au gaffer. Immobiles. Comme entrée en matière, les californiennes de Dum Dum Girls ont donné dans l'interminable, l'accablé et le solennel. Même Ouest France n'aimera pas. C'est dire.
Fort heureusement le rayon du bon goût se remplira dès l'entrée sur scène d'Owen Pallett. Bonnet mauve vissé sur la tête, le Canadien a fait décoller les premiers festivaliers. Quoique seul sur scène, sa musique bougrement contemplative aura su capter les piliers du bar VIP. Proche de Björk, dans l'ambiance dégagée davantage que dans ses choix vestimentaires, Owen envoûte, score des 06 et prépare le public du fort Saint Père au reste du (riche) programme.
Tiersen. Ahh Yann. Toi et tes bandes originales parisiennes. Tu ferais mieux de continuer de donner dans le rocambolesque entouré de 16 musiciens sur scène. Voisin d'Ez3kiel VS Hint pour la synergie électronique / guitares, de I'm From Barcelona pour le bordel sur scène, le show unique du localier a botté des paires de fesses. Regardez Papa, et apprenez. Comment on se met en danger, à plus de quarante berges. Malgré un son pourri : seize musiciens, quelle idée cacophonique ! A écouter sur CD très bientôt, mais à déconseiller aux programmateurs de festoches. Tiersen propose une œuvre digne d'une salle d'opéra, étriquée ici. Mais bordel, quel concert !
The Black Angels auraient pu être originaires de Norvège et proférer des insanités contre Vatican II. Mais non. Derrière ce nom téléphoné se trouve en réalité un distributeur de groove et de distorsion aux tempos marqués et à la présence dévastatrice. Incarnée, la prestation des Texans marque le début de l'agitation festivalière. La poussière s'élève, la pression monte. Le contemplatif, c'est terminé pour aujourd'hui.
Pour avoir fait la première partie des demi-dieux que sont Radiohead, Liars doit en avoir, du coffre. Complètement transi (quelle qu'en soit la cause, c'est selon), le leader de la formation américaine propose une entrée en scène mi je-suis-tellement-allumé-que-mon-état-est-totalement-normal, mi je-suis-fan-du-magicien-d'Oz-et-je-jette-au-public-des-mauvais-sorts-avec-mes-bras. Et là, c'est beaucoup moins ennuyeux que prévu. La prestation est grandiose, emportée, démoniaque. Les piliers du bar VIP ont apprécié. Si si.
Caribou sonnait bien, de loin. La faute aux paradis artificiels.

Samedi
Massive Attack - Route du Rock 2010 Massive Attack - Route du Rock 2010
Ploc. Ploc. Ploc. Il est 9h34 et les premières gouttes de pluie s'incrustent. Ondée quasi discontinue jusque dimanche après-midi. Le décor de la Route du Rock change. Les festivaliers emmènent leur gueule de bois au Décat' du coin pour dévaliser le rayon bottes. Les imperméables sont redevenus in. Et au sol, la boue. Partout.
Chacun y va de sa petite technique. Il y a ceux qui sont pieds nus ("c'est bon pour la peau de toute façon"), ceux qui font des montages à base de sacs poubelle ("putaaaaiiiin, ça marche pas !"), ceux qui se sont résignés à flinguer leur paire de pompe ("au moins ça me fera un souvenir") et enfin ceux qui font les malins en bottes et qui recensent les techniques des autres festivaliers pour surmonter les éléments.
C'est Foals qui marquera le véritable début de la soirée. Certes, les guitares sont hautes. Certes, les mèches ondulent. Certes, Foals n'a pas vraiment les faveurs de notre webzine. Il faut reconnaître quand on a tort.
Soutenue par un batteur métronomique, la formation ne joue pas pour ses fans, déjà conquis, mais bel et bien pour ceux, parmi les 7 000 festivaliers, qui auront l'audace de se laisser tenter. Effort qui paye : les Anglais sortent de scène sous l'ovation du Fort Saint-Père.
Enfin... Enfin Massive Attack se dévoile, en acmé du festival. Fort d'un nouvel opus solide et expérimental, les Anglais vont au-delà des attentes de la génération "Je kiffe la bande son de Snatch". L'identité visuelle du groupe est explicite, portée par un mur de LED affichant successivement messages (en Français) et animations. Engagé, politique, Massive Attack n'en oublie pas moins ce pour quoi il est là. Abordant sa discographie dans son ensemble, de Protection à 100th Window, le groupe ne laisse rien au hasard, présentant notamment Horace Andy pour trois titres, acclamés unanimement par un public désormais au sec. Certes, "Angel", "Teardrop" ou "Inertia creeps" sont des moments-clé du show, mais l'ensemble de la prestation est d'une homogénéité saisissante. Pris à la gorge, le Fort Saint-Père ne peut que s'incliner devant une prestation aussi attendue que mémorable.
Après cette avalanche, dur de porter une attention décente au reste de la soirée. We Have Band n'a fait que confirmer l'impression laissée plus tôt à Rock'n'Solex : pâle et froide. Il n'y a guère que Two Door Cinema Club qui saura capter un public encore perché.

Certes, les 20 ans de la Route du Rock a pris des détours météorologiques mal venus, mais qu'importe. L'essentiel était là. Un instantané qui a rendu justice aux meilleurs des groupes.