Avec le nombre de Nordistes que compte l'équipe du W-Fenec dans ses rangs, il paraissait presque anormal de voir que les petits renardeaux du désert ne soient pas allés plus souvent tendre leurs oreilles du côté du Main Square Festival à Arras. La raison tenant surement au fait d'une programmation en adéquation ou non avec la sacro-sainte ligne éditoriale du magazine, qui est d'une largesse somme toute imposante, quand on y regarde de plus près, mais avec une préférence prononcée pour les artistes authentiques et atypiques. On ne déconne surtout pas avec ça, nos lecteurs nous connaissent trop bien, et quand les mythiques Radiohead furent annoncés pour cette 13ème édition comme l'une de ses têtes d'affiches avec System Of A Down et Die Antwoord, ils nous étaient alors impossible de louper cette journée du dimanche. Surtout en considérant qu'il s'agissait là du seul et unique concert en France de Radiohead sur sa tournée 2017. C'est vrai, nous aurions pu également vous relater l'ensemble de cette édition se déroulant du 30 juin au 2 juillet, mais les sempiternels problèmes d'emploi du temps additionnés au peu d'intérêt que nous procurait le line-up des deux premières journées (hormis une petite poignée de groupes déjà vus) nous ont convaincus d'abandonner l'idée. La volonté même de revoir Radiohead l'emportait sur tout.
Mark Lanegan - MSF 2017
Arrivée à Arras, 10h23. Le temps est couvert, mais la ville bien que quasi déserte est charmante. Obligés d'aller parcourir ses petites ruelles à la recherche d'une boulangerie pour bien commencer la journée, nous prenons par la suite la navette nous menant directement à sa citadelle (construite par Vauban au XVIIe siècle et classée au patrimoine mondial de l'Unesco) pour rejoindre le site du festival et plus particulièrement le camping. En attendant son ouverture, on y voit défiler une tripotée de festivaliers quittant les lieux visiblement fatigués par l'énergie déployée hier sur Die Antwoord, qui selon certains témoignages était LE concert à ne pas louper samedi, les médias dominant parlant eux plutôt de Vald. L'organisation est au poil une fois sur place et le monde tant cherché au cœur de la cité tantôt semble s'être réuni à quelques kilomètres de là pour fêter le grand rendez-vous musical de l'année. Selon les organisateurs, le compteur affiche 125 000 personnes sur l'ensemble des 3 jours, un record puisqu'il dépasse de 5 000 l'édition précédente. Fou, à tel point que la circulation dans le festival devient au fil de la journée de plus en plus difficile. On le payera cher sur Radiohead, mais ne sautons pas les étapes.
Spoon - MSF 2017
À peine nos accréditations récupérées, la Green Room (la plus "petite" des deux scènes, sponsorisée par une célèbre marque de bière hollandaise) est déjà prise d'assaut depuis un bon quart d'heure par un trio lillois nommé Vertigo, lauréat du tremplin organisé par le festival pour permettre aux jeunes groupes émergents de se produire dans des conditions optimales. Leur pop électro délicate et coquette câline allégrement nos oreilles et nous échauffe en douceur. On aime ou pas, selon les titres, mais force est de constater que le show est propre, malgré le manque cruel de niaque et de présence des musiciens. Dommage, car on s'était attaché à la voix de la chanteuse dont certains traits font penser à ceux de Beth Gibbons de Portishead. On en profite pour s'abreuver d'une Lagulinas à la Beer Factory, le même bar à bières que celui du Download Festival. Aucune place à l'authenticité sur ce point-là et il en est de même pour tous les stands de restaurations, mais le public ne manque de rien si tant est qu'il ait un bracelet cashless bien garni. En parlant de stand, nous avons marqué un arrêt à celui de la marque Zippo pour un atelier dessin et un tournage de roue pour gagner divers lots (médiator, place VIP, écouteurs). Pendant ce temps-là, le soft rock FM d'Highly Suspect résonne de l'autre côté du site, sans parvenir à nous attirer. Un petit conseil d'ami si vous les croisez sur une prog' : fuyez ! On pourrait dire quasiment la même chose de l'indie-rock de Kensington, à la différence que le quatuor hollandais tente de balancer de jolies mélodies accrocheuses à la Coldplay ou Snow Patrol (la liste est longue) mais le format pop avec ce chant trop propre sur lui, sans compter les chœurs mielleux à côté : trop peu pour nous !
Le premier artiste immanquable de la journée se nomme Mark Lanegan. Venu avec son groupe, l'ex-Screaming Trees et pionnier du grunge aux côtés de son ami Kurt Cobain assène au public un rock sombre et charismatique. L'élégance du bonhomme, associée à sa voix rauque, fait mouche sur la Main Stage, le public est conquis mais sa musique n'est fatalement pas adaptée aux conditions horaires (15h30, le soleil s'est progressivement levé), ni même aux festivals. Quoi de mieux que de se régaler d'un "Love will tear us apart" de Joy Division en guise de final dans une salle bondée plongée dans la noirceur ? Changement de décor avec une autre formation qui a su marquer son temps dans l'indie-rock, les Texans de Spoon. Le groupe mené par le guitariste-chanteur Britt Daniels, un espèce de faux sosie de Crispian Mills (Kula Shaker, The Jeevas), se défend plutôt bien sur scène en performant ses classiques et tubes pleins de légèreté pop ("Inside out", "Anything you want", "The underdog"). La vigueur et la jovialité de Britt contaminent le public de la Green Room, c'est de bon augure pour la suite. Nous virons dans la foulée sur la Main Stage où nous attend un artiste un peu à part musicalement parlant puisque Seasick Steve joue un blues-rock teinté de folk. Le septuagénaire à la longue barbe blanche se déchaine sur ses guitares totalement customisées, ce qui rend un grain unique à ses sonorités. Un véritable artiste qui ne met pas longtemps à nous embarquer dans son univers et dont les mesures sont assurées par un batteur se tenant à ses côtés. Ça joue juste, c'est totalement prenant, bref, encore un beau concert qui confirme tout le bien qu'on pense de cet ami de Janis Joplin dans les années 60 qu'on avait découvert il y a 6 ans à Rock En Seine.
Seasick Steve - MSF 2017
Il est temps pour nous de prendre une pause méritée et de déguster un cocktail composé avec amour par l'accueillante équipe de Jack Daniel's. À ce titre, nous souhaitions saluer les efforts apportés par tout le staff et les partenaires du Main Square pour que ses festivaliers VIP et les journalistes présents ne manquent de rien. Nous avons même l'opportunité de suivre le concert de The Lemon Twigs projeté au stand VIP afin de ne pas en louper une miette. À les regarder, les New-Yorkais ont effectué un saut temporel depuis les sixties en passant par les seventies pour rappeler à la jeunesse d'Arras toute la magie de la pop psyché et du flower-power. Le rétro, ça a toujours plutôt bien fonctionné et depuis notre écran de contrôle au loin, on sent le retour d'un public conquis. Nous bougeons en direction de la Main Stage pour retrouver La Femme sans grande motivation. En effet, n'étant pas des afficionados de cette formation à géométrie variable (ce jour-ci, elle comptait deux choristes supplémentaires) porté par un certain battage médiatique depuis quelques années, nous sommes pour ainsi dire consterné par cette synth-pop qui manque grandement d'intérêt. Sous couvert d'une singularité à la française (le chant et la pop 70's française), d'une musique sombre et mystérieuse (en rapport avec le nom de son dernier album en date), il faut bien avouer que La Femme ennuie profondément, d'autant que la communication avec le public n'est pas la force de ce groupe qui semble plus s'estimer lui-même que son audience. C'en est assez, nous errons autour de la Green Room pendant que les Naive New Beaters commencent à déverser leur pop électro funky et dansante calibrée radio et club, encore une déception mais on ne peut que saluer cette assurance indéniable qu'ont les Parisiens sur scène avec leur accoutrement excentrique. Ce groupe a du fun et en donne à go-go, c'est toujours ça de pris, et comme c'est dans le cadre d'un festival, ne nous plaignons pas.
La Femme - MSF 2017
Savages était surligné au stabilo sur notre planning, les retours scéniques étant plus dans le vert que dans le rouge, on se précipite sur la Main Stage pour découvrir la formation féminine anglaise menée par la comédienne française Camille Berthomier. On assiste à une performance post-punk saisissante, carrée, délicate mais forte et touchante à la fois. Nous ne sommes pas forcément fans de tous les morceaux, mais l'équilibre trouvé dans leur setlist est d'une efficacité redoutable. Aucun titre ne semble se détacher plus qu'un autre, procurant ainsi ce sentiment tant recherché d'immersion totale, si bien que le temps passe vite. Mention spéciale à ce show de Savages et à sa "sauvage" de chanteuse qui n'a pas vraiment hésité à rejoindre la fosse et ne faire qu'un avec le public définitivement séduit par cette formation marquante. L'heure fatidique se rapproche progressivement, et Thylacine vient clore le programme de la Green Room. Ce saxophoniste angevin, passé orfèvre en musique électronique pleine de douceur percussive, nous fait voyager avec ses sonorités inspirées de son voyage à bord du Transsibérien, lieu où a été composé son dernier album Transsiberian. C'est franchement savoureux à l'oreille mais, malheureusement pour cet artiste, pas mal de personnes étaient déjà entassées devant la Main Stage par souci d'être mal positionnée devant Radiohead. On en fait logiquement les frais, se retrouvant à la limite du dernier tiers en profondeur, entre des supporters lensois (véridique ! avec l'écharpe et les chants qui vont avec), et des gens assis complètement indifférents au mythique groupe anglais. Hallucinant !
Il est un peu plus de 21h45, 42 000 font face à Radiohead qui établit un démarrage assez long et en douceur avec le single "Daydreaming" puis "Desert island disk", deux extraits de son dernier album. Thom Yorke pose une voix fragile et plaintive à t'en foutre la chair de poule. On savait que les Anglais allaient ouvrir avec quelques extraits d'A moon shaped pool dont l'excellent et progressif "Full stop". Le son est assez moyen voire brouillon depuis le fond, surtout la basse de Colin un peu trop haute en saturation, mais tend progressivement à s'améliorer au fil du temps. Malgré quelques titres énergiques (l'historique "My iron lung", le désarçonnant "Myxomatosis", la galopante "Bodysnatchers", l'entêtante "Idiotheque" et le cultissime "Paranoid android"), Radiohead fait globalement la part belle à ses titres les plus suaves. C'est étonnant d'un côté car on connaît le potentiel rock du groupe ("2+2=5", "The national anthem", "Karma police", "Planet telex") mais de l'autre c'est fortement plaisant car le groupe fête respectivement les 20 et 10 ans de OK Computer et In rainbows, deux albums connus pour avoir accouché de morceaux plus intimistes mais d'une beauté absolue magistralement représentés à Arras ce soir. Décevant pour les uns car certains tubes ont été mis de côté ("Creep", "Karma police", "High and dry"), jouissif pour les autres un peu plus die-hard fan, finalement peu importe, les Anglais ont assuré le show. Ce prétexte de célébration nous a quand même permis de (re)découvrir en version live certains titres desdits albums un peu oubliés sur les précédentes tournées.
Savages - MSF 2017
Leurs trop rares couacs ("The Gloaming" n'ayant pas été terminé visiblement à cause des problèmes de fausses notes de Colin et de trous de mémoire), n'égaleront pas dans la médiocrité le manque d'implication d'une partie du public venu plus pour prendre le pouls des festivités locales que pour apprécier à sa juste valeur un spectacle qui, l'air de rien, se fait plutôt rare à la vue du nombre de représentations du combo anglais sur cette tournée (51 concerts après 4 années sans tourner) comparés aux précédentes. Cela n'empêche pas la bande de Thom de profiter de sa tribune pour communiquer et de pousser à plusieurs reprises quelques exclamations de gratitude envers le public du Main Square Festival et de balancer des messages opportuns comme ce "We are taken hostages by fucking idiots, we are sorry for this, for Brexit." juste avant un "No surprises" d'anthologie. "Paranoid android" jouée en guise de bouquet final explosif ne masquera pas la frustration de certaines personnes déroutées par une surprenante fin anticipée du show, les Anglais ayant décidé de ne pas boucler les 15 dernières minutes prévues sur le programme de leur date unique française de l'année. Un sentiment étrange plane, entre joie, déception et incompréhension, lorsque les lumières autour du périmètre de la Main Stage se rallument et que dans la foulée, les services de sécurité s'empressent de dégager la foule massive vers une sortie unique qui génère logiquement des encombrements inquiétants en terme de sûreté. Pas le temps de se remettre progressivement de nos émotions, juste de se ruer vers les derniers stands ouverts pour vider notre bracelet cashless dans la bouffe et la boisson, et de rejoindre sagement notre campement afin de se refaire mentalement ce concert déconcertant et riche en émotions. Pouvait-on en attendre autrement de Radiohead ?
Un grand merci à Myriam Astruc & Louise Privat pour leur confiance et leur accueil.
Photos : © Guillaume Vincent / Studio Paradise Now
Publié dans le Mag #29