La bible est assurément LA sortie littéraire rock de cette fin d'année. Consacré au Hellfest et à celles et ceux qui ont écrit son histoire (bénévoles, personnes de l'ombre, groupes,...), ce mastodonte est déjà essentiel pour tout fan du festival et de rock en général. Phil, également co-auteur de AC/DC : Tours de France et rédacteur en chef du mensuel Rock Hard, évoque sans filtre et avec passion cet ouvrage hors du commun...
Salut Phil et merci de nous accorder un peu de temps pour cette interview qui concerne la sortie de Hellfest - la bible. Avant d'entrer dans le vif du sujet, peux-tu nous en dire un peu plus sur la genèse du livre ? Depuis quand êtes-vous sur le projet ?
Le projet est né il y a à peu près quatre ans, quasiment jour pour jour. J'ai appelé Ben Barbaud pour lui soumettre l'idée d'un tel bouquin. On a dû parler vingt secondes au téléphone et il m'a dit "OK, c'est parti". Le projet est né de là et ça s'est fait aussi naturellement que ça. Avec Vanessa Girth, on adore le festival, tout simplement, comme de nombreux gens qui y vont. On connaît aussi très bien les gens du Hellfest, ce qui me permettait, et nous permet encore avec Rock Hard, d'avoir des accès privilégiés au festival. Il y a également une confiance réciproque entre nous qui s'est installée au fil des années, aussi bien professionnelle qu'amicale. Et par le fait même qu'avec Rock Hard, on fasse des hors-séries annuels consacrés au festival, on bénéficiait déjà d'une belle matière au niveau matériel (textes, photos). On n'a pas repris tout ça mais on avait une trace de chaque édition sur ces hors-séries. Et le troisième larron qui fait ça avec nous, c'est Baptiste Brelet qui avait déjà fait avec nous les deux bouquins "AC/DC : Tours de France". Lui est Nantais, il a fait tous les Fury Fest ainsi que tous les Hellfest. C'est vraiment un passionné du festival, probablement parce qu'il y est allé très jeune et je pense que, régionalement, ça a eu une vraie signification. Il n'était pas obligé de monter sur Paris pour assister à des festivals comme ça, parce qu'il avait ça "à la maison" ! Il a aussi archivé toutes les coupures de presse locales et régionales relatives au Hellfest depuis 2006, ce qui fait que, là aussi, on a pu grâce à cela bénéficier d'une manne d'informations assez incroyable qui étaient différentes de celles que nous apportions avec Rock Hard (avec qui on se focalisait plus sur la musique). Avec toutes les coupures de presse que Baptiste avait pu garder ou archiver, nous disposions d'événements locaux ou régionaux qui avaient pu se passer et ça nous a apporté une précision "locale" un peu inédite. Dans le livre, on parle évidemment du festival au niveau national, mais on apporte aussi un éclairage local et régional grâce à ces archives notamment. Pourquoi on a voulu faire ça ? Le Hellfest est "porteur", il ne faut pas se leurrer. Je ne pourrais pas faire ce type de livre sur des festivals de plus petite envergure mais avant tout, c'est parti d'une aventure humaine que nous trouvions vraiment incroyable. Le Hellfest a ses détracteurs, il a aussi ses fans. Mais nous, on trouve vraiment qu'il y a une âme dans ce festival, une âme qu'on a retrouvée nulle part ailleurs. C'est ça qu'on a voulu raconter : par-delà le festival, c'est une aventure humaine surtout.
On ne change pas une équipe qui gagne, même team que pour AC/DC : Tours de France : comment les rôles se répartissent ?
Oui, c'est la même équipe que sur les Tours de France d'AC/DC pour une raison très simple : quand on a fait les deux livres d'AC/DC (7 ans ½ de boulot parallèlement à nos jobs, rien que pour le premier), au moment de publier le premier qui faisait 712 pages, on s'est dit que si on démarchait les éditeurs, ils allaient vouloir probablement amputer le livre, nous demander une pagination plus classique, et on risquait du coup de ne pas pouvoir sortir ce bouquin tel qu'on le voulait. Donc du coup, on a décidé de monter notre propre structure qui s'appelle Editions Point Barre. Pour le Hellfest, on s'est remis à collaborer ensemble car, déjà, nous sommes liés par cette maison d'édition, mais aussi parce que, tous les trois, nous sommes complémentaires. On l'était déjà sur AC/DC, mais pour le Hellfest, comme le hasard fait bien les choses, je te rappelle que Baptiste est Nantais et qu'il disposait de beaucoup d'archives, on était là aussi super complémentaires. Voilà pourquoi nous trois.
Parle-nous de la maquette et de ligne directrice : comment ça se décide ? Avez-vous des modèles du genre ?
Au niveau de la maquette, ça a été un des points que le Hellfest a voulu, non pas contrôler, mais à propos duquel il a voulu donner son aval. Le festival est très exigeant en matière de visuels, il a toujours une communication visuelle très léchée, alors ils ont demandé à voir nos premières maquettes. Ils nous ont donné le feu vert dès qu'ils les ont vues. Je pense que Ben Barbaud voulait quelque chose de plus dépouillé que les livres AC/DC ... et c'est ce qu'on a fait avec des blancs, des choses plus épurées. On a maquetté trois ou quatre chapitres, on leur a montré et ils nous ont dit : "Ok, on part comme ça". C'est la seule chose, avec la couverture, dont ils voulaient qu'elle soit l'œuvre de leur graphiste Mush. Exception faite de cette dernière, toute la maquette a été réalisée par Vanessa. C'est donc là le seul contrôle que le Hellfest a eu sur le livre.
Concernant la maquette, nous sommes partis d'une feuille blanche. Il n'y a pas eu d'inspiration précise. Concernant la répartition des tâches, Vanessa s'est donc occupée de la maquette, et elle a énormément de photos dans le livre. Elle n'est pas connue comme certains photographes, mais ça ne l'empêche pas d'avoir fait énormément de photos sur le festival depuis le début. On recherchait précisément des photos des groupes, évidemment, mais aussi et peut-être surtout des structures, des stands... du festival lui-même. Me concernant, je me suis occupé des textes. J'ai été aidé sur ces derniers par plusieurs personnes de Rock Hard notamment François Blanc et Benji, mais globalement, j'ai écrit 95% des textes. J'ai également réalisé quelques interviews. Quant à Baptiste, il nous a principalement apporté ses archives et s'est chargé de nombreuses interviews.
Le titre de l'ouvrage a un double sens presque évident. Pourquoi proposer un tel mastodonte qui, naturellement, impose un prix élevé ? Avec la crise actuelle, ne craignez-vous pas de prendre des risques ? Quel est le tirage prévu ?
Le tirage va tourner aux environs de 20.000. Est-ce qu'on prend des risques avec un tel ouvrage ? Dès qu'on publie en France un livre consacré à la musique ou à un évènement musical, on prend des risques. Si notre pays était Rock, ça se saurait. Il le devient un peu, c'est lent, mais on peut dire que la révolution est un peu en marche. Mais oui, bien sûr, quand tu sors un bouquin musical en France, tu prends un risque. Après, on se voyait mal faire un livre qui n'apporte pas quelque chose de plus par rapport aux autres bouquins déjà consacrés au Hellfest. Comme on est bavards et qu'on ne sait pas faire court, on s'est retrouvés avec un gros ouvrage, mais c'était l'idée. Je pense qu'inconsciemment ou consciemment, c'est parce que Ben avait vu et apprécié notre livre sur AC/DC qu'il nous a fait confiance. Je pense qu'il estime, à juste titre, organiser un évènement hors norme et que, par conséquent, il voulait un livre hors norme lui-aussi. Nous étions tous les quatre, nous trois et lui, sur la même longueur d'onde, qui consistait à dire : "ce sera un livre massif qui sera presque autant un objet de collection qu'un livre tout court." C'était donc quelque chose de souhaité dès le départ. Après, la pagination a évolué un peu en fonction de ce qu'on faisait, mais il était très clair dès le départ qu'on partait vers quelque chose de massif.
Tu me parles de la crise, et j'en suis bien conscient. C'est donc pour ça que c'est une prise de risque, d'autant que le papier a subi une augmentation incroyable cette année, et que ce n'est pas fini. C'est une prise de risque, mais l'ouvrage est tellement hors norme que notre imprimeur, qui doit exister depuis 50 ou 60 ans et dont la spécialité est de faire des beaux livres - des livres importants - nous a dit que c'était l'ouvrage le plus imposant qu'il ait fait ! On a la faiblesse de croire que le bouquin va se vendre parce que c'est un beau truc. De plus, les livres, c'est cher. Le nôtre coûte 69 €. C'est indubitablement cher, mais au regard de ce qu'est bouquin quand tu le découvriras, son prix demeure raisonnable. Tous ceux qui l'ont vu jusqu'ici nous on dit que le prix était - je ne vais pas dire "donné" parce que ce serait exagéré - mais qu'il n'était pas cher. C'est à peine le double d'un livre édité par Camion Blanc. C'est aussi le double des livres qui sont déjà sortis sur le Hellfest, mais je pense qu'il n'y a aucune exagération dans le prix. Ça reste intrinsèquement cher, mais par rapport au prix de ce type de livres en Angleterre, c'est moitié moins cher. Ta question est légitime, mais au départ, quand on commence un bouquin, on ne se pose pas ce genre de question : on essaye de faire le meilleur ouvrage possible, avec ses qualités et ses défauts, et après, on avise. Le premier livre d'AC/DC, quand on a commencé, on pensait qu'on allait faire un bouquin de 300 pages et on s'est retrouvé avec 712 pages au final car notre enquête avançant, on trouvait de plus en plus de témoins, de documents,... On sait où on commence, mais on ne sait jamais toujours où on va arriver et il se trouve que pour la Bible, ça nous a aussi mené à quelque chose de massif. Ce qui, au final, fait un prix qui n'est pas rien, mais qui est tout à fait décent par rapport à ce qu'est le livre.
La plaquette que nous avons pu consulter parle du premier livre officiel. Toutefois, il est déjà paru des ouvrages sur le festival, et notamment Le Hellfest raconté par les groupes. Pourquoi un livre sur le Hellfest alors qu'est paru un ouvrage de ce genre de la part de Lelo Jimmy Batista ?
Plusieurs livres sont sortis sur le Hellfest, mais des beaux livres, il n'y en a que trois. Le premier, c'est celui de Lelo Jimmy Batista, qui est sorti en 2015 pour les dix ans du festival. Le deuxième, c'est celui de Cédric Sire, Le Hellfest raconté par les groupes. Ce dernier consiste en des interviews de groupes qui racontent leur expérience du festival. En aucun cas, il ne parle de l'histoire du Hellfest. Nous n'avons donc absolument aucun point commun avec ce deuxième livre.
Le premier livre est plus proche de ce qu'on a fait mais il résume la partie historique : de 2002, premier Fury Fest à 2015 en une vingtaine de pages. Il vire ensuite à la compilation de très belles photos et enfin, présente certains groupes à travers leur carrière sans dire généralement ce que ces derniers ont fait au Hellfest. C'est précisément ce pourquoi on a voulu faire le bouquin. On s'est dit : "c'est incroyable mais l'histoire du Hellfest, qui est quand même un festival comme on n'en avait jamais vu en France, et comme on n'en voit toujours pas d'autre en France, n'a jamais été vraiment racontée. C'est à dire dans le détail, en essayant d'être le plus précis possible, de retracer tout depuis le Fury Fest jusqu'à aujourd'hui." Sachant quand même que depuis que le premier bouquin est sorti, il s'est écoulé sept années et pas des moindres. Il s'est passé beaucoup de choses ces sept dernières années qui ne sont naturellement pas racontées dans le premier bouquin puisqu'il est sorti en 2015 !
Qu'est-ce qui différencie selon toi les deux ouvrages ?
Ce qui nous différencie, c'est qu'on a voulu raconter l'histoire du Hellfest. Pas des festivaliers, mais du Hellfest et des gens qui le font. C'est pour ça qu'on est allé chercher aussi une trentaine de personnes clés du festival. Pour moi, le principal était d'évoquer l'aspect musical du Hellfest, qui n'avait jamais été abordé dans le détail, ainsi que l'histoire du festival. On a cherché, avec ce livre, à remettre la musique au centre du village. En fait, on a travaillé sur trois axes principaux :
- Le Hellfest lui-même, donc son histoire, ses structures, son évolution.
- Ceux qui le font, avec des portraits.
- Et enfin des résumés d'éditions avec, pour chaque édition : ce qui s'est passé avant l'édition, l'arrivée sur le site, les nouveautés, les principaux moments forts musicaux, et un bilan...
En dehors de nos hors-séries Rock Hard, et ce qu'on pouvait trouver sur le net, il n'y avait aucun livre qui racontait les principaux moments forts "musicaux". On voyait souvent des photos de types déguisés en Pikachu, mais on ne te parlait pas d'une jam incroyable avec Nick Oliveri, John Garcia et Brant Bjork, ce qui, pour les fans, fut un évènement incroyable. Alors évidemment, quand tu as 150 concerts par édition, tu ne peux pas parler de tout, mais on a fait une sélection - qui reste tout à fait subjective - de moments forts qu'on a classés par rubriques comme "les jams", "les OVNI", "les déceptions"... Ça nous a aussi permis de parler de ce qui s'était passé au Hellfest au niveau de la musique, chose que Ben souhaitait - et nous aussi. Ben dit souvent qu'on parle du Hellfest pour beaucoup de choses maintenant, mais un peu moins pour la musique, et il voulait que la musique revienne en avant.
Justement, Vous avez interviewé aussi bien le directeur du festival que les équipes de sécu, un viticulteur, des scénographes... Pour avoir côtoyé tout ce beau monde, les qualifierais-tu d'une grande famille sans qui tout cela ne pourrait pas être possible ?
Ce qui est étonnant, c'est que ce sont des gens qui viennent tous d'horizons différents et qui ont des passés incroyables. On ne les a pas interrogés que sur ce qu'ils faisaient au Hellfest : on a commencé par les questionner à propos de leur passé, d'où ils venaient, ce qu'ils avaient fait comme études, quel avait été leur parcours, et on s'est aperçu qu'ils avaient quasiment tous des parcours totalement atypiques. Quel que soit le champ d'action des personnes clés qu'on a pu interviewer, toutes se sont prises d'amour pour ce festival, que ce soit un type de la sécu, un vigneron ou un scénographe. La plupart d'entre eux avaient déjà travaillé sur des festivals, mais ils finissent tous par te dire que celui-là a quelque chose de plus. Ce qu'on pense nous aussi, d'ailleurs ! Et ils le racontent bien, ça met de l'humain dans le livre.
C'est pour l'essentiel une grande famille. Ce sont des gens qui sont contents de se retrouver et il se passe des choses assez fortes entre les gens des différents corps de métier sur le Hellfest. Probablement parce que l'ambiance y est différente de ce qu'ils peuvent trouver sur d'autre évènements. Ben Barbaud est d'ailleurs très fort pour motiver ses troupes. Il faut pouvoir motiver 4.500 bénévoles, qui viennent travailler pour rien, si ce n'est pour l'amour de l'Art, et de pouvoir vivre une expérience hors du commun ! Tu parlais de famille, je parlerais plutôt d'armée ou de gang de motards, un chapitre de bikers ! Le festival a un fonctionnement très pyramidal, et certains des plus méritants ont droit à un blouson avec les couleurs du Hellfest qu'ils portent avec fierté. Je n'ai jamais vu ça ailleurs. C'est parti au départ de Ben Barbaud et d'une bande de copains, et non d'une grosse multinationale de concerts qui décide tout à coup de créer un festival comme ça du jour au lendemain. Ça a été et ça reste un long chemin de croix, et c'est aussi ça qui nous intéressait. Le Hellfest ne s'est pas fait du jour au lendemain : il y a eu vraiment beaucoup de bas pour encore plus de hauts, heureusement, mais ça n'a pas été de tout repos. Il a fallu beaucoup d'abnégation pour arriver à ce que c'est aujourd'hui.
Et justement, ces points critiques... parce qu'il y a eu un temps où, effectivement, le festival a été critiqué au niveau de l'organisation, de l'accueil du public etc. et même parfois par les groupes, est-ce que ça aussi, vous l'évoquez dans le livre ?
Oui, bien sûr ! ils ont voulu vérifier qu'on partait sur les bons rails au niveau visuel, et une fois qu'on les a rassurés sur ce point, ils nous ont laissé faire. Je leur ai même demandé : "soyez cools, relisez nos chapitres" et ils nous ont répondu : "non, c'est votre livre, on vous fait confiance, on ne veut rien lire." Donc à partir de là, j'ai dit à Ben : "attention, tu vas m'engueuler après, tu vas me dire qu'il ne fallait pas raconter ci ou ça..." et il m'a dit "non, non, c'est bon, écris la véritable histoire du Hellfest !". Et la véritable histoire du Hellfest, ce sont des hauts et des bas. Des bas que nous mentionnons également. Le festival, sur certains points, n'est pas du tout épargné. On a tenté de raconter la "vraie" histoire. Chacun a sa version de ce qu'est la vraie histoire, mais on a recroisé un maximum de sources pour essayer d'être au plus près de la vérité.
Il faut savoir qu'une partie de leurs bureaux et de leurs archives ont brulé dans un incendie. Ben avait aussi envie d'un livre qui retrace toute l'histoire du festival, avec beaucoup de détails, en réponse à cet incendie qui les a privés de toutes leurs archives. Il avait besoin que quelque chose soit écrit, que quelque chose reste, ce qui a aussi contribué au fait qu'il réponde aussi rapidement favorablement à notre projet.
Est-ce qu'une édition à l'international est prévue/envisagée/rêvée rêvée ? Un grand éditeur n'a-t-il pas cherché à acheter les droits, en France ou à l'étranger ?
Prévue et envisagée, non. Rêvée, non plus. J'ai écrit environ un million trois cent mille signes dans ce bouquin, alors, si un jour il devait être traduit en anglais, je souhaite plein de plaisir et un grand bonheur à celui qui se chargera de la traduction. Si une demande se manifestait, le Hellfest nous demanderait peut-être de le faire ou nous aiderait à le faire, mais pour moi, en tout cas, ce n'est pas du tout une fin en soi.
Tu évoquais tout à l'heure que c'était votre maison d'édition qui sortait le livre. Avez-vous été approchés par un grand éditeur qui aurait souhaité acheter des droits en France ?
Nous n'avons pas été consultés ou approchés, mais en même temps, on ne cherchait pas à l'être. Nous n'avons pas cherché de gros éditeurs. Si on a créé notre maison d'édition, c'est pour sortir des bouquins et non pour amener des projets "clés en main" à de gros éditeurs. Quand on a sorti le premier livre sur AC/DC qui est devenu un best-seller, nous n'avions aucune expérience en matière d'édition. Un mensuel, on sait faire, mais par contre, pour le livre, on a appris sur le tas. On a eu beaucoup de chances car des évènements ont aidé à la sortie du livre comme la sortie de l'album Rock or Bust, et le fait que le groupe ait aimé le bouquin. Et de toute façon, en ayant annoncé le projet assez tard, aucun éditeur ne serait venu vers nous, sachant que le projet était à ce point avancé.
Lors de la mise en vente des pass la semaine dernière, le festival a proposé un pack quatre jours avec le livre. Ça peut te sembler une question un peu bizarre mais est-ce que vous êtes "honorés" par ce genre de deal et est-ce que vous voyez un petit peu comme une consécration le fait de recevoir une telle confiance de l'équipe du festival ?
Ce qui nous a fait vraiment plaisir, c'est que Ben accepte le projet, et ce, en une poignée de secondes, même si nous nous sommes revus après pour discuter de ce qu'on allait faire. Le fait qu'il nous accorde sa confiance si rapidement, ça, pour nous, ça a été très gratifiant, d'autant que Ben est quelqu'un de très perfectionniste.
Chez Point Barre, on a l'habitude de sortir nos bouquins avec des souscriptions et en précommande : tu payes à l'aveugle et tu reçois le livre cinq mois après. Comme ce sont de gros bouquins, ça nous permet de les financer en totalité ou en partie. Il ne faut pas oublier que nous sommes totalement indépendants. Quand on a proposé ce fonctionnement à Ben, il nous a dit que ce n'était pas possible car comme le livre est "brandé" Hellfest et que le festival propose à la vente des pass à l'aveugle, il ne peut pas resolliciter les festivaliers avec un autre projet en payant une nouvelle fois à l'aveugle. Quand il a validé la maquette, Ben nous a alors proposé de le financer, devenant ainsi coproducteur ! Ce livre, il sort chez Point Barre mais il est financé par le Hellfest qui avance de l'argent, mais qui va le récupérer et même en gagner.
Le stock de livres que le Hellfest va recevoir équivaut à peu près sept fois le poids de la statue de Lemmy qui se trouve sur le site du festival ! Ça représente une masse au sol énorme, donc si Ben voulait récupérer ses billes le plus rapidement possible et ne pas avoir un stock gigantesque de livres partout dans ses locaux, il fallait que les bouquins arrivent et repartent immédiatement. C'est pour ça qu'il s'est dit que cette vente "bundle" à savoir un pass et un livre allait lui permettre de vendre en un temps record un certain nombre de bouquins, et donc vider les stocks de ses locaux.
Tu sais si ce pack bundle a bien fonctionné ?
Tout est parti. Je ne sais pas exactement combien il y en avait, mais on ne doit pas être loin des 5.000, peut-être même plus. Tout son stock est parti, hormis quelques exemplaires conservés pour ses partenaires et d'autres qui ont été mis en vente sur le shop en ligne du Hellfest. 95% de son stock est parti. Il se rembourse et gagne même un petit pécule.
De votre côté, avez-vous prévu une édition limitée comme vous avez pu le proposer pour les livres AC/DC ?
L'édition limitée, c'est celle proposée par le Hellfest, qui est agrémentée d'un fourreau. Le bouquin a été vendu par le Hellfest au même prix que le livre qui est désormais en librairie, mais avec un étui luxueux en plus, uniquement vendu par ce biais et donc collector. Pour information, le Hellfest vendait son pass 329 euros et 398,90 euros avec le livre, c'est-à-dire le prix librairie (69,90€), mais avec l'étui en plus qui doit coûter environ 6 euros et sans frais de port supplémentaires. Certains parlent de "vente forcée", mais le Hellfest perd de l'argent en proposant au prix librairie cette édition limitée avec les frais de port gratuits. Et puis, si certains n'en veulent pas, ils n'ont qu'à pas l'acheter, c'est pas plus compliqué que ça !
Sous la pression de ses lecteurs. Rock Hard va publier un hors-série Hellfest 2022. J'adore ces revues et j'avais même à l'époque adressé en 2014 au "courrier des lecteurs" une chronique d'un groupe, les Burning Heads bien sûr, qui n'avait pas été chroniqué par vos soins ! Comment vous répartissez vous le travail ?
C'est assez simple. D'habitude, un Hellfest dure trois jours, maximum quatre ou plutôt trois et demi, si on tient compte du Knot Fest que Ben ne souhaitait pas voir associé au Hellfest dans le hors-série. Donc, je rassemble toute l'équipe et je dis : "voici la liste des groupes, qui veut faire quoi ?" Une fois que chacun a choisi, je détermine ce qu'il reste important d'évoquer et j'attribue arbitrairement en fonction de ce que je pense correspondre aux goûts de tel ou tel journaliste. Chacun se retrouve avec sa petite liste et se démerde. Il prend des petites notes et quand je demande le rendu de ses textes, il me rend ses textes. Ça parait simple sur le papier, mais c'est un peu plus compliqué que ça car généralement, quand on sortait des hors-séries Hellfest, on les réalisait en revenant du Hellfest. On finissait le Rock Hard d'été, et on attaquait directement le hors-série qu'on devait faire en une semaine à peu près. On partait toujours en vacances sur les rotules ! Cette année, on ne l'a pas fait pour différents facteurs. Comme je devais finir le bouquin avec Vanessa et Baptiste, je savais que je n'aurais pas le temps de mener les deux chantiers de front et de prendre un peu de vacances. Ben était d'accord sur le principe. Mais, au retour des vacances, beaucoup de lecteurs nous ont demandé le HS. Dans un premier temps, on a continué à dire non, et puis, on a décidé de le faire quand même parce que la demande était forte. Et tu peux me croire, j'ai fini le Rock Hard de novembre hier matin (NdGdC : l'interview est réalisée le 26 octobre) et aujourd'hui, au moment où tu m'as appelé, j'étais en train de bosser sur la suite du hors-série. Puis ça partira à l'impression et ainsi de suite. Je "nage" dans le Hellfest depuis quatre ans avec ce bouquin, je sature un peu ! Mais nos lecteurs sont les plus forts, alors on le fait pour eux, mais je reconnais que je m'en serais bien passé cette année ! Même si, c'est très important de le préciser, je ne me plains pas, loin de là. C'est toujours un plaisir. Mais bon, un Hellfest de 7 jours, le livre à finir, Rock Hard en parallèle, etc., nous avons été très occupés.
Question simple, réponse, à mon avis, simple : tu es plus à l'aise dans le rôle de l'intervieweur ou de l'interviewé ?
D'intervieweur ! (rires)
Pourtant, tu fais bien l'interviewé !
Intervieweur, parce que je fais ça depuis bientôt trente ans. Interviewé, j'ai commencé à l'être quand le premier bouquin consacré à AC/DC a commencé à avoir du succès. Pour autant, ce n'est pas un exercice auquel je suis rodé !
Le dernier numéro de notre Mag a pour couverture le documentaire Fanzinat : un mot sur la presse en 2022, qu'elle soit pro ou fanzinesque...
Depuis février/mars 2020, c'est assez dur pour la presse papier par ce qu'elle a dû essuyer plusieurs tempêtes consécutives, la première étant évidemment la Covid qui a eu plusieurs répercussions. Prenons l'exemple de Rock Hard : le numéro d'avril 2020 n'est pas sorti en kiosque - numéro que nous avons mis en ligne à disposition de nos lecteurs - et puis après, tous les concerts ont été annulés, ce qui a eu une répercussion sur la pub puisque 50 à 60 % de la pub est liée au spectacle vivant. Ce qui fait qu'on s'est retrouvé avec 60% de pub en moins. Même en revenant très vite en kiosque, ça a été compliqué. Et quand on a commencé à ressortir la tête de l'eau, on a subi - et on subit encore - l'augmentation du coût du papier qui représente plus de 65 % pour nous aujourd'hui, certains journaux (qui utilisent un papier différent) ayant pris des augmentations de 100%. Ça continue encore aujourd'hui, et nous n'avons pas de visibilité : quand on commande du papier, on nous donne un prix, mais le prix qu'on va payer est celui que vaut le papier au moment où on va le recevoir! On nage dans une espèce de flou artistique qui fait qu'il est très dur de savoir vers où on va. De plus, on s'aperçoit que tous les efforts qu'on a faits, de reconstruction du magazine (nouvelle maquette, nouveau papier, retour des "dossiers", nouvelles rubriques...), compensent simplement la hausse du coût du papier. C'est plus difficile, même si nous ne sommes pas menacés. New Noise, qui est un journal que j'aime et que je respecte beaucoup, a lancé une bouteille à la mer et j'espère qu'ils vont y arriver.
On doit à la fidélité de nos lecteurs et à une campagne d'abonnements et de réabonnements massive d'être encore là. On a de la chance d'avoir des lecteurs fidèles. On n'est pas My Rock ou anciennement Rock Sound ou Rock One, qui étaient des journaux auquel le lectorat s'intéresse quand il a tel ou tel âge et qu'il délaisse ensuite : à Rock Hard, les gens qui nous suivent sont là tout le temps, il n'y a pas de phénomène de mode, ce sont des accros ! Du coup, on n'a pas de grosses surprises sur les chiffres de vente grâce à un lectorat stable.
Tu es fan d'AC/DC. Notre premier contact repose sur une proposition de papier pour notre rubrique "fan attic". Tu n'échapperas pas à la question : AC/DC au Hellfest, c'est possible ?
(Longue réflexion) Je ne crois pas. Non, je ne crois pas. Le Hellfest a failli les faire en 2015, je le raconte dans le livre d'ailleurs. Ça a été assez loin dans les discussions, au point que des affiches ont été faites, qui ne sont jamais sorties mais qu'on peut voir dans le bouquin. Aujourd'hui, pour que le Hellfest puisse avoir AC/DC, il faudrait qu'AC/DC tourne. On a aucune espèce de garantie sur le fait qu'AC/DC tourne en 2023, ce qui serait d'ailleurs souhaitable car s'ils ne tournent pas en 2023 ou en 2024, ça va être compliqué, on ne les verra plus. C'est mon avis. Beaucoup de personnes pensent que le Hellfest a rajouté une quatrième journée pour AC/DC mais je ne le crois pas. En même temps, je n'en sais rien du tout ! Si AC/DC devait tourner d'ici juin, il y aurait déjà un petit bouillonnement. J'ai fait Brian Johnson en interview il y a cinq jours. Je ne lui ai pas parlé de la prochaine tournée, mais j'ai pas senti "que"... Je n'y crois pas. AC/DC, aujourd'hui, pourrait fait cinq Stade De France qu'il pourrait remplir rapidement. Le groupe a-t-il un intérêt à jouer à Clisson, sur une scène qui n'est pas la sienne, devant un public qui serait, jauge oblige, moins massif que celui d'un Stade de France ? Ou alors il faudrait qu'AC/DC joue au Stade De France puis vienne jouer dans la foulée au Hellfest... Ce serait possible. Si un jour ça se faisait, je verrais plutôt quelque chose du genre : édition du Hellfest puis, une semaine après, sur le même site, programmation d'AC/DC. Ou alors, ça a lieu sous le nom Hellfest mais le concert d'AC/DC a lieu le mercredi précédant le Hellfest sur un autre site, pas trop loin, ce qui a failli se faire en 2015.
Merci pour cette fine analyse !
Je ne sais pas si elle est fine ! Si ça se trouve, ça sera annoncé en novembre ou décembre (rires) Tu me demande mon pressentiment, je ne vois pas le groupe au Hellfest cette année. Mais j'aurais adoré.
Je n'en doute pas. Merci pour tout !
Merci à toi.
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Merci Phil, merci Roger Replica !
Publié dans le Mag #53