L'entrée de La Ferme Électrique, 2023 L'entrée de La Ferme Électrique, 2023 Petit avant-propos : Pour celles et ceux qui tombent sur cet article et qui n'ont jamais entendu parler de La Ferme Électrique, on les invite à consulter sur notre site web nos anciennes publications archivées sur le sujet afin d'éviter une nouvelle présentation du lieu et de ses curiosités. Sachez juste que le festival partage sa programmation musicale avec un "hors scène" constitué d'artistes plasticiens, illustrateurs, auteurs, tatoueurs voire coiffeurs... Parmi les habituels, citons Marion Chombart de Lauwe qui, avec le temps, s'est spécialisée dans la performance live en créant des œuvres pendant les shows et qui avait à sa disposition des "fenêtres" au-dessus de la scène "Grange" pour diffuser ses créations au public. Un talent pur qui partage régulièrement la scène avec Arthur de Bary, musicien programmé l'année dernière. Pour la liste complète des participants au "hors-scène", nous vous recommandons de consulter le site Internet du festival ou sa page Facebook retraçant en images et de belle manière les joyeusetés de ce lieu atypique grâce à l'œil bienveillant de la photographe Sael Darrig. Si vous êtes sensibles aux arts visuels et à l'éclectisme musical, nul doute que le contenu de ce programme risque de vous mettre l'eau à la bouche et de vous motiver à venir l'année prochaine partager, seul, entre amis ou en famille, des moments intenses et chaleureux à La Ferme Électrique.

Vendredi 7 juillet

Il fait très chaud ce jour-là. Les yeux peinent à s'ouvrir convenablement après une nuit peu réparatrice en partie faite dans un train en provenance de Caen après avoir enchaîné, avec mon acolyte photographe Rocco de Fixin, un aller-retour pour une journée de couverture du festival Beauregard. Les tentes sont montées sur le camping, nous croisons une connaissance en attendant l'ouverture du festival qui nous apprend que certains festivaliers galèrent dans les transports en commun pour rejoindre Tournan. Ce méfait aurait provoqué désespérément, d'après ses dires, l'annulation pure et simple de leur venue au festival à cause du retard et des arrêts trop importants des trains. On compatit, ça fout la rage.

A Place To Bury Strangers casse sa guitare A Place To Bury Strangers casse sa guitare A 18h30, le festival débute sur la scène de la grange avec un quatuor peu commun dans les sphères indé : Insólito Universo. Basé à Paris et mené par la chanteuse vénézuélienne Maria Fernanda Ruette, ce groupe nous fascine et gratifie d'un son inspiré par les musiques traditionnelles vénézuéliennes (joropos, valses, tonadas, merengues et afro-vénézuelienne) et teinté d'un psychédélisme invitant au voyage. On se laisse bercer par la maitrise de ses rythmes et ses sons venus d'un autre continent et ne cachons pas notre plaisir. Cela ne pouvait pas mieux commencer. Si tu as une appétence pour la musique latine, fonce vite découvrir Insólito Universo. In My Head enchaîne dans l'Étable et l'impression ressentie à l'égard de la musique du trio parisien est pour ainsi dire inversée. C'est trop rare pour le souligner, mais l'indie-pop du trio parisien ne nous emballe pas. Peut-être trop impersonnelle et peu surprenante, le groupe ne se facilite pas non plus la tâche en jouant souvent faux, enfin, surtout en ce qui concerne le chant. Nos oreilles donnent l'alerte et nous restons confus face à cette prestation scénique très moyenne qui ne s'arrange pas avec l'enchaînement des titres. Dommage, car nous aimons pourtant profondément la musique mélodique.

L'un des plus belles surprises de cette journée se nomme L&S. Cette bande comprenant notamment G.W. Sok (The Ex, King Champion Sound, Oiseaux-Tempête, Cannibales & Vahinés, Zu...) et le compositeur et ingénieur Anthony Laguerre (Filiamotsa, Praag, Noctura, Club Cactus...) surprend par l'intensité de sa musicalité. Illustrant la poésie de Sok, mi parlée-mi chantée, elle nous inonde par sa dimension à la fois acoustique et électrique. Chaque instant sonne juste et cohérent, une synchronisation chant/musique hérissant le poil, chaque titre est comme un chapitre d'un livre que l'on dévore sans trop réfléchir. Si bien que ce concert bouleversant passe à vitesse grand V. De l'ivresse, on n'en manquera pas aujourd'hui, à commencer par les Belges de MESO. Venus présenter leur premier album, Charivari, les gars ont foutu le feu sur la scène de l'Étable qu'ils ont pris grand soin d'occuper dans toute sa largeur. En effet, leur rock mâtiné de post-punk, de rock noisy énergique, et d'un je-ne-sais-quoi de foufou et d'étrange, a mis tout le monde d'accord. La Ferme Électrique a une longue histoire d'amour avec les groupes belges (La Jungle, Le Prince Harry...), il nous apparaît évident qu'elle n'est pas prête de s'arrêter. Pendant que MESO œuvrait, notre curiosité nous a amené à faire un petit détour pour contempler les chansons "sommaires post-médiévales" de Petrin. Ce projet d'Erwan de The Absolute Never, seul avec sa guitare électro-acoustique, ses effets/boucles et sa voix, hypnotise les festivaliers posés non loin du bar. Il y a en effet quelque chose d'ancestral et traditionnel dans le chant d'Erwan qui balance ses mantras et autres contes sur un fond de guitare folk pas très éloigné du drone par moments. En général, sur ce genre de show expressif, ça passe ou ça casse.

La hargne de Blanco Teta La hargne de Blanco Teta A Place To Bury Strangers est l'attraction du jour (on ne compte plus le nombre de demandes de photos qui ont été faites au trio toute la journée). A priori, c'était une sacrée surprise de les trouver programmés dans ce festival, les Américains étant habitués aux salles importantes depuis pas mal d'années. Mais la bande d'Olivier Ackermann est tout aussi capable de faire forte impression sur la scène de la grange de La Ferme Électrique. L'un des meilleurs concerts de cette édition, mais aussi le plus troublant. Les puissantes vibrations du post-punk shoegaze d'A Place To Bury Strangers se sont faites ressentir de partout puisque qu'une partie du show a été réalisée au sein même du public. Entre lancés de guitare et martelage de fûts, les yeux et les oreilles ont été mise à rude épreuve. Toujours pas remis, nous poursuivons dans la foulée avec le duo angevin Scuffles, adepte d'une "techno garage" ultra efficace et tellement compatible avec ce que représente l'âme de ce festival. Il ne suffit pas de beaucoup d'instruments pour foutre le dawa : une guitare et un synthé, et en avant la musique ! Nos deux bagarreurs savent s'y faire avec leur coldwave dansante et hargneuse à l'image d'un Dalle Beton ou Le Prince Harry, voire pourquoi pas Infecticide (dont on réclame le retour ici, au passage). On se souviendra longtemps de cette grosse bastos dans l'Étable.

On a passé minuit depuis une demi-heure, l'esprit punk continue d'hanter la ferme avec cette fois-ci des Argentins répondant au nom de Blanco Teta. Issus du mouvement de la scène queer latine, Joséphina (chant), Violeta (violoncelle), Carola (batterie) et Carlos (basse) balancent un rock agité et irrité (les cordes du violoncelle morflent à temps plein), comme leurs revendications on imagine. On ne sait jamais sur quel pied danser, tantôt brutales et vigoureuses, tantôt lourdes et plus saccadées, les ambiances se succèdent et ne se ressemblent pas. Cela fait globalement penser à un cirque avec plein de numéros, tout aussi intéressants les uns que les autres. Une attraction presque ambitieuse couplée à un don de soi musical réjouissant. Turfu clôt cette journée en mode électro instrumentale dansante. Le duo composé d'un batteur/synthé et d'un accordéoniste égaye la nuit au rythme des kicks et des sons d'accordéons. C'est parfait avant de mettre les voiles car leur musique n'est pas trop agressive et se vit super facilement. C'est à ce moment-là qu'on se dit que le programmateur de La Ferme Électrique, tel un bon DJ, a tout bien calculé en pensant à nos petites oreilles avant d'aller se coucher. Même si certains morceaux sont un peu plus tapageurs que d'autres, ne boudons pas notre plaisir à l'issu de ce premier acte ma foi fort bien sympathique.


Samedi 8 juillet

Electric Vocuhila et capoeira improvisée Electric Vocuhila et capoeira improvisée À chaque édition, nos vieilles habitudes perdurent. Le samedi midi, on prend nos quartiers en centre-ville pour savourer un verre/café à la Croix Blanche devant LE concert du midi. Cette année, il s'agit de Trotski Nautique, le groupe de David Snug, l'auteur de BD. Accompagné d'Alda Lamieva au clavier, flute, et surement d'autres outils oubliés, ils sont pour ainsi dire la version musicale des BDs. Son esprit se retrouve dans les sujets traités par le duo, avec des textes (et les discours entre les chansons !!!) hilarants de bout en bout. Les bourgeois, les chômeurs, les artistes sont les thèmes récurrents qui viennent se poser sur des compositions de courte durée faites de bric et de broc rythmées par une boite à rythmes et des samples. Honneur aux reprises complètement pétées du duo (dont "Smell like teen spirit" de Nirvana), qui, là encore, sont le miel de ce cocktail musical très très spécial. Une petite sieste s'impose afin de reprendre des forces pour affronter ce deuxième acte avec sérénité.

Le premier concert du samedi sera d'entrée une belle découverte, à savoir Electric Vocuhila. Ce quatuor composé en partie de membres de Rank-O a été le plus intensément rythmé du festival avec une musique instrumentale tout droit venue d'Afrique est plus particulièrement le tsapiky malgache que l'on peut écouter sur leur dernier album Kiteki sorti l'année dernière. Tout en n'ignorant pas non plus le sungura du Zimbabwe et d'autres genres du continent, le groupe sait comment faire danser les foules qui répondent en partie à coup de capoeira brésilienne. Mais pourquoi ? Surement la puissance de leur sonorités absolument contagieuses et énergétiques. Ce n'est pas tout à fait le même cadre artistique qui résonne peu après dans l'Étable. Le duo Grand Veymont (du nom du point culminant du massif du Vercors) s'aventure dans les longues plages ou il expérimente l'électronique sur des supports aussi différents que la pop, la folk ou d'autres terrains de jeu à l'envi. Face à face, Béatrice (orgue, flûte, chant) et Josselin (orgues, synthés, percussions, voix) nous hypnotisent et saisissent nos sens à plein régime. Un moment quasi intimiste adéquat pour à la fois faire redescendre le calme après la densité musicale d'Electric Vocuhila et nous préparer à attaquer ce qui va suivre.

Hey, Oi Boys, let's go ! Hey, Oi Boys, let's go ! The Married Monk était programmé l'année dernière mais a dû annuler. Ce n'était en effet que partie remise puisque le groupe mené par Christian Quermalet s'est produit sur la scène Grange. Autant il est plaisant de vivre le retour d'une formation (ou ce qu'il en reste) telle que The Married Monk, un précieux représentant de l'histoire de la pop-rock indé française, autant il est difficile de cerner ou de s'identifier à son style ou ses chansons. Aussi bizarre que cela puisse paraître, le concert fut plaisant, mais on n'en a pas retenu grand-chose au final. En revanche, le concert de Wine Lips, lui, nous aura tous marqué. Assurément la puissance et la vigueur communicative de son rock, ou alors le look des Torontois ? Un peu des deux. Son garage-punk fuzzy a soulevé l'Étable et nous a un peu rappelé la fougue des Oh Sees. Si vous ne connaissez pas ce quatuor, jetez-vous sur Mushroom death sex bummer party, leur dernier album. C'est fougueux à souhait et ça réveille bien. En parlant de punk, on a encore été servi du côté de la Grange avec le synth-punk d'Oi Boys. C'est un peu les rejetons des Bérus mais avec un côté coldwave, et forcément on a encore laissé tomber des gouttes de sueur sur le sol en dansant comme des cons. Avec un chant vociférant et casse-gueule, Oi Boys marque son empreinte dans un univers qui sent la crasse. Décidément, les groupes s'enchaînent et ne se ressemblent pas.

On loupe une bonne partie du show de Head 1st dans l'Étable pour reposer les organismes (cette pièce est un four !) avant la dernière ligne droite. Les quelques morceaux de pop indé vus laissaient présager pourtant du bon. Dommage, on a préféré garder notre énergie pour découvrir Chester Remington. Et là encore, les ambiances passent les unes après les autres. Perdus par la musique du Rémois qui ne sait pas vraiment là où il se sent bien (probablement partout !) - passant sans ambages du stoner à la pop joyeuse, de la surf music au punk-rock, si ce n'est pas le grunge/rock indé 90's - on ne retiendra en somme que l'énergie rock n'roll d'un garçon et de sa bande un peu égarés dans toutes ses influences. Ce sont deux connaissances du festival, soit Guillaume de l'Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et Cosmic Neman de Zombie Zombie qui ont été désignés pour entreprendre l'épilogue de cette édition. Regroupés sous le patronyme Ding Dong, le duo n'a rien enregistré, préférant faire vivre son art sur scène. Et il s'agit là d'une véritable performance à base de percussions qui cadence notre dernière nuit à La Ferme Électrique. Même si ce n'est pas le même style, la musique du duo nous a un peu ramené à quelques éditions en arrière quand les 2 batteurs de Deux Boules Vanille avaient clôturé le festival avec leur musique percussive et expérimentale. On quitte donc les lieux sur une bonne note et se disant que cette édition 2023 valait vraiment le coup et que La Ferme Électrique a sensiblement retrouvé cette couleur "rock" voire "punk" qu'elle avait un peu perdue l'année dernière. De bon augure pour l'année prochaine.