C'est l'histoire d'un festival extrême. Non pas pour sa programmation, tu ne t'es donc pas trompé d'article et tu n'es pas sur la review du Hellfest, mais pour les moments vécus, de la joie au dépit. Du son parfait à une météo franchement moche, il n'y a qu'un pas. Et sur cette édition 2012, la météo, elle ne nous a pas fait de cadeaux...
Le ring de boue ?
"Jusqu'ici tout va bien. Jusqu'ici tout va bien."
Le festivalier moderne n'a pas encore forcément tiré les leçons des années passées : un festival n'est pas la semaine de la mode bien que certains magazines, blogs et autres style hunters cherchent à nous le faire croire. Les Eurockéennes ne dérogent pas à la règle : le site est grand, le site est majoritairement sur l'herbe, le site n'est quasiment pas protégé.
Qui dit grand, dit marche. Qui dit herbe, dit terre. Qui dit pas de protection, dit protège-toi toi même car le ciel ne t'aidera pas.
Le soleil avait pourtant du mordant en ce début de samedi. François & The Atlas Mountains distillait son african-pop, inspirée sans doute de Vampire Weekend, sous une chaleur extrême. Jusque là, on est raccords. Gentillet, bon esprit quoique trop maniéré, il y a du bon chez ce François : un son propre et des musiciens impliqués. Il y avait du moins bon mais la jeunesse a ses excuses et on ne leur souhaite que le meilleur. Meilleur : voilà un mot qui qualifie aussi la disposition de la scène de la Loggia par rapport aux autres années.
"Le soleil donne" disait Laurent. Ca n'empêchera pas Mastodon d'arriver sur la Grande Scène, déjà bien garnie de murs d'amplis Marshall, décorateur officiel de scènes rock depuis 1976. Pied au plancher (et sur la pédale Wah Wah...), le quatuor d'Atlanta ne rameute pas la foule mais peut compter sur un par terre de fans purs et durs pour sa dernière date d'une tournée marathon de 9 mois. Un début un peu froid mais l'ambiance monte au fur et à mesure que les solos diaboliques prennent place dans les enceintes. Le final fût fort en volume et en intensité, donnant ici une belle leçon de rock'n'roll made in USA.
Fin du concert et changement d'ambiance : les écrans affichent un message peu rassurant. "ALERTE ORANGE. RISQUE D'ORAGE". Bla bla bla.... Les festivaliers en ont vu d'autres, et la pluie ne leur fait pas peur. Amener à boire sur le site est interdit de toute façon, ça les rafraîchira. Un haussement d'épaule plus tard, on est abasourdis par The Oh Sees et sa prestation de qualité.
Direction la magnifique scène de La Plage pour le festival dans le festival : "La plage à Pedro". Késako ? Pedro Winter, le patron du label électro français, Ed Banger va investir la scène toute la soirée avec sa bande : Kavinsky, Sebastian, Busy P (aka Pedro Winter. Oui, oui, le sus-nommé.)...
Une chauffeuse de salle agaçante et ridicule plus tard, Electric Guest commence. Ils ont été invités par le label et on se demande pourquoi. Leur musique n'est qu'un concentré de "coming next" (les jingles utilisés pour les émissions du type Grand Journal) : en somme, le morceau commence, on le reconnaît vaguement, et passé cette curiosité, on s'ennuie ferme. Bref, c'est seulement hype et ça ne laisse que maigres, pour ne pas dire rachitiques, souvenirs. Sur les quelques 700 000 heures que vit un être humain en moyenne, en voilà encore une de perdue.
Kavinsky entre en scène, introduit avec classe, bon goût et science de l'Entertainment par la même chauffeuse de salle (on ne la reverra heureusement plus). Une claque plus tard, on se surprend à suivre les enseignements de Matthieu et à tendre l'autre joue. La faute à un son puissant, à des morceaux qui prennent une énorme largeur en concert et à une ambiance électrique. Aïe, le vilain mot. Les éclairs montrent leurs dents alors que commence "Nightcall". Le son est coupé, la scène évacué. La foule compacte, dense et stoppée dans son élan, ne sait que faire. Les maigres abris que constituent les quelques stands sont pris d'assaut et on regrette que le grand chapiteau qui trônait au milieu du festival ait été remplacé par une scène sans âme, jusqu'à son nom, Green Room, en référence à une marque de bière.
Un orage violent plus tard...
Le bilan est lourd, comme les vêtements trempés des festivaliers et comme leurs chaussures remplies de boue. Tout est arrêté, les scènes protégées, les systèmes sons et vidéos mis en berne. On se surprend à penser à l'édition 2001 et sa journée annulée pour des conditions météo similaires. Les festivaliers attendent et espèrent que ce n'est qu'un « épisode orageux » pour citer Evelyne Dhéliat. Mike Snow commence son set pour ceux qui daignent y jeter une oreille.
Un deuxième orage violent plus tard...
Les espoirs s'amenuisent. Il est 22h30, The Cure sont censés commencer et toujours rien. Certains abandonnent, frigorifiés car peu équipés (le célèbre K-Way s'avérant inutile dans ces situations et les tongs superflues) et retrouveront en masse le chemin de la sortie. Les concerts de la Plage sont annulés.
En coulisse, on imagine la réunion au sommet entre organisateurs, préfet et gendarmerie pour décider de l'issue de la soirée... passée près de l'annulation totale, apprendra-t-on plus tard.
Robert Smith et sa bande rentrent sur scène une heure en retard et livre un show précis à la hauteur de la longévité du groupe. Entre tubes et morceaux plus récents, on se surprend à se demander comment cet homme a pu préserver une voix aussi adolescente et personnelle malgré les abus et les années passées sur la route. 2H30 plus tard et une foule achevée, Justice débarque sur scène devant un public clairsemé et refroidi qui en prendra plein les mirettes tellement le light show est précis et efficace. Ce n'est pas forcément le cas de leur son, un peu poussif par moment mais la fatigue, la pluie et le froid ne sont pas les meilleurs alliés au moment de juger. Laissons (la) Justice faire son travail.
"Après la pluie, le beau temps".
Le dimanche a le mérite d'être différent : il n'y a plus d'orage. Il pleut seulement en trombe depuis 6 heures du matin sans interruption jusqu'à 14 heures. Le site est dans un état vietnamesque et on se surprend à comprendre Jane Birkin et sa gadoue. La journée sera harassante, aucun endroit n'étant praticable pour s'asseoir.
Robe blanche et élégance. Voilà comment qualifier Lana Del Rey. Un set gentil, un peu gauche et touchant car même si on n'est pas des inconditionnels de la demoiselle, il se passe quelque chose... si on est dans les premiers rangs, l'ambiance de festival n'étant pas la plus adaptée. Le son se coupe à un moment, la belle reste, fume une cigarette et vient prendre quelques photos avec les fans (qui finiront à n'en pas douter sur Instagram). En somme, une petite leçon de style et comment faire taire les nombreux détracteurs : on n'est loin du naufrage annoncé.
"Can I scream ?" Refused est de retour. Et en grande forme. Le frontman, Denis Lyxzén, est une pile alcaline qui emboite les retours les uns sur les autres et s'en sert comme plate-formes pour mieux sauter. Woody Harrelson n'a qu'a bien se tenir ! Le public est acquis à la cause des suédois qui ont réussi leur come-back. Refused joue aujourd'hui sur des scènes plus grandes qu'à leur époque et ils semblent décider à en profiter (et à empocher quelques dollars de plus comme quoi, on peut avoir des convictions étant jeune sur le maudit système et savoir l'accepter quelques années plus tard).
The Buttshakers laisseront une impression de déjà vu plutôt qu'un souvenir impérissable : pourtant leur soul tarantinesque et leur chanteuse de qualité se donnent à fond mais la sauce ne prend pas. On évite poliment Charlie Winston qui emballe la foule avec brio et sympathie, on se surprend à apprécier Orelsan quelques instants bien que sur la longueur, on s'ennuie un peu. Mais avouons-le, le seuil de patience est bas aujourd'hui : se déplacer est pénible car la boue est aussi lourde que la foule est compacte.
Jack White, oui la moitié des White Stripes, venu en solo, sauvera aussi la journée avec un set dont il a le secret et qu'on aurait préféré apprécier au sec et au chaud. Sec, chaud... Les mots sont lâchés et ne sont que tentations. Et on cède, la perspective d'un bain chaud et de vêtements secs est plus séduisante que Cypress Hill, vus de nombreuses fois, et que Carbon Airways, la nouvelle sensation électro clash menée par des gosses d'à peine quatorze ans.
"Eurockéennes, mon amour"
L'année prochaine, je souhaite dans mon festival
Si tu veux que je revienne, un temps plus estival
Le retour du grand chapiteau, moins de monde et moins d'eau
Et, si une meilleure programmation me ramène à toi, dans le doute
J'aurai un ciré de protection contre le froid et ma paire de Rain-Boots
Une pensée humide pour François, Roman, Clémence, Clément, Tiniouze et surtout pour Bernard, le héros de l'ombre des Eurockéennes 2012 qui nous a sauvé avec son engin de 1957. Comprenne qui pourra.
Merci à Aurélio, le W-Fenec, Ephélide et à tous ceux qui ont bossé pour ces Eurockéennes dans des conditions extrêmes.